ENQUÊTE LIGNE ROUGE – TUEUR DE GENDARMES: LA DÉRIVE D’UN ULTRA-VIOLENT
Pauline Revenaz, Juliette Pelerin, Etienne Grelet, Hugues Dugué et Ambre Lepoivre Le 08/03/2021 à 22:00
Fin novembre, Frédérik Limol a tué trois gendarmes qui venaient au secours de sa compagne, victime de violences conjugales. Plusieurs alertes sur sa dangerosité avaient été émises, mais ignorées par la justice.
Trois plaintes, plusieurs alertes mais à chaque fois la même réponse: « Affaire classée sans suite. » Pourtant, derrière ces cris inaudibles dénonçant des violences conjugales et des menaces de mort, se cache l’inquiétant profil de Frédérik Limol, un loup solitaire, mu par la colère, aux déviances survivalistes et complotistes. Valérie, son ex-épouse, ne masque pas son écoeurement car, au fil des années, elle n’a cessé de prévenir les autorités de la violence et de la dangerosité de cet homme.
« Si quelqu’un avait enquêté, si on avait pris ma plainte, est-ce qu’on en serait là aujourd’hui? Moi j’ai une idée de ce que ça a donné: trois gendarmes par terre », souffle-t-elle, bouleversée devant notre caméra.
Le dernier drame d’une longue série de violences se joue le 27 novembre 2020 dans le hameau du Cros, dans le Puy-de-Dôme. A 19h30, Frédérik Limol est seul avec sa nouvelle compagne, Sandrine, sur qui s’abat un déferlement de haine et de rage. Après avoir essuyé plusieurs coups, elle parvient à s’échapper par une fenêtre et se réfugie sur le toit de la maison. Elle envoie une photo de son visage tuméfié à l’une de ses amies qui alerte la gendarmerie à 20h52. Cinq agents sont dépêchés sur place, guidés par les SMS de Sandrine.
Lourdement armé et surentraîné
A peine les forces de l’ordre arrivent-elles devant la maison du couple que Frédérik Limol, posté dans l’encadrement d’une fenêtre, ouvre le feu. « Il n’y aura pas de phase de négociations. Les seuls contacts avec l’intéressé sont les échanges de coups de feu », explique le colonel Patrice Martinez, second du groupement de gendarmerie du Puy-de-Dôme.
Un gendarme est tué sur le coup, un autre est grièvement blessé. Alors que Sandrine est toujours réfugiée sur le toit, Frédérik Limol met le feu à la bâtisse et prend la fuite, profitant de la nuit pour échapper à la vue des forces de l’ordre.
« On apprend qu’il est lourdement armé, déterminé, avec un état d’esprit et des propos qui font penser à un survivaliste. Il n’a plus rien à perdre », ajoute le colonel Martinez.
Face à cet adversaire très mobile et surentraîné, les gendarmes ne font pas le poids. Dans la nuit noire, il ouvre à nouveau le feu, deux autres officiers tombent sous ses balles. Au total, 350 hommes et femmes sont mobilisés pour arrêter le tireur. Vers 2h30, le GIGN se joint aux troupes mais le fuyard reste introuvable. Finalement, sa voiture est retrouvée au petit matin, accidentée à 1,5 km de la maison. L’homme est assis à côté, il s’est tiré une balle dans la tête.
« Il a fait une sortie de route, il a quitté son véhicule, il s’est adossé à un arbre avec ses armes à portée de main. On pense qu’il attendait les gendarmes pour une confrontation finale », dépeint le colonel Quentin, commandant en second du GIGN, interrogé par les équipes de Ligne rouge.
« Adversaire dangereux »
Frédérik Limol voulait achever sa croisade avec un piège ultime: « Le véhicule était piégé. Un fusil était placé de manière à ce que l’ouverture de la portière droite déclenche un coup de feu. Ça donne une idée du ‘jusqu’au-boutisme’ de l’individu. Des adversaires dangereux on en a régulièrement à gérer mais aussi lourdement équipé, avec de nombreuses armes de guerre, des talkie-walkies, des gilets par balle, des masques à gaz, des vivres pour plusieurs semaines… Ça reste assez exceptionnel », poursuit-il encore stupéfait.
Cette violence est ancrée dans le caractère de Frédérik Limol depuis de nombreuses années.
« Le Fred de 2020 il était déjà là en 1995. Il était déjà fâché contre le système, contre les ‘connards en costards’, comme il disait. Il avait la passion des armes, il avait des machettes. Et il faisait des combustions spontanées de colère », se rappelle Emmanuelle, une amie qui a fait sa connaissance à Paris quand il était en école d’ingénieur.
« Radicalité antisystème »
Elle voit en lui « un fond de colère dans lequel il s’enfonce ». Au fil du temps, « il a de plus en plus de moments violents » et il s’emmure dans « sa radicalité antisystème ». C’est à cette époque qu’il rencontre Valérie. Tous deux se marient en 2012 à Dubaï, où elle travaille. Quatre jour après leur union, la première scène de violences apparaît.
« C’est un peu comme un tsunami. C’était calme et d’un coup ça ne l’était plus. Il a commencé à tout casser. Il m’a attrapée, m’a étranglée, il tapait contre le mur juste à côté de mon visage en criant: ‘C’est moi le plus fort' », confie Valérie à BFMTV.
Les insultes, les séquestrations et les menaces de mort se répètent, les suivent jusqu’en France, à Salon-de-Provence, alors que Valérie est enceinte de lui.
« Un soir je me suis réfugiée dans une chambre et il tapait contre la porte en hurlant: ‘Je vais te buter connasse. Tu verras jamais la tête de ton gamin, je te tuerai avant' », se remémore-t-elle, effarée.
Dans la maison, Frédérik Limol vit déjà comme dans un camp retranché, son épouse, elle, s’y sent prisonnière, incapable de demander de l’aide. « Je n’ai pas osé faire le 17 parce que, à la maison, il y avait deux portails et la porte d’entrée donc je me suis dit que ça ne servait à rien. Le temps qu’ils arrivent, je serais déjà morte. »
Illuminati, francs-maçons et complots
L’ingénieur informaticien se noie dans les théories complotistes et survivalistes. « Pendant longtemps, je me suis dis qu’il jouait au fou. Je ne pensais pas qu’il y croyait. Il parlait des Illuminati, des francs-maçons, il disait que la pandémie a été créée pour réduire la population mondiale… », se désole son ancienne épouse. Face à ces dérives, elle parvient à prendre le large et obtient le divorce en 2015 avec l’autorité parentale exclusive sur les enfants.
En 2017, elle porte plainte dans un service de gendarmerie près d’Avignon, pour menaces de mort réitérées. Mais, après vérification, les gendarmes écrivent qu' »aucune mesure particulière de protection ne nécessite d’être mise en oeuvre ». L’année suivante, elle dépose une nouvelle plainte dans la même gendarmerie, expliquant: « Il me dit qu’il va me crever: ‘En 3 secondes tu es morte' ». Mais rien ne bouge, la plainte est encore classée sans suite, sans même que le mis en cause ne soit entendu.
En 2019, Valérie découvre qu’il s’entraîne dans un centre de tirs. Il a obtenu l’autorisation de détenir des armes de catégorie B: deux pistolets Glock et un fusil semi-auto. La préfecture a donné son accord malgré les plaintes déposées contre lui. Là encore, son ex-femme prévient les gendarmes et dépose une main courante.
« Je me dis que ça pue et qu’avec le fait qu’il ait des armes les gendarmes vont comprendre que ça pue vraiment. Mais ils m’ont dit qu’il n’y avait rien d’illégal », déplore-t-elle.
« Une fois, on a fait un repas avec lui et on a découvert qu’il avait une arme sur lui. Il a tiré des coups de feu. On n’a pas su comment réagir mais on a compris qu’il fallait faire attention », se rappelle, encore choquée, une voisine de Frédérik Limol dans le Puy-de-Dôme, là où il tuera plus tard trois gendarmes.
« Loup solitaire » passé sous les radars
Ignorée, Valérie ne baisse pas les bras pour autant. Elle dépose une troisième plainte pour abandon de famille mais, là encore, l’affaire est classée sans suite. « Le lien n’a pas été fait entre les plaintes car elles ont été traitées par des services d’enquête différents, qui dépendent de juridictions différentes », justifie le procureur de la République de Clermont-Ferrand.
Dès lors, la justice passe à côté d’un autre pan de la personnalité de Frédérik Limol: sa radicalisation n’a pas été décelée alors qu’il passait des heures sur internet.
« C’est exactement le loup solitaire qui est craint par les services de renseignement et qui baigne dans une espèce d’ambiance malsaine, vénéneuse, en s’alimentant de tout ce qu’il voit sur la toile, sur les sites de propagande nazie et d’ultradroite », analyse le journaliste du Parisien, Jean-Michel Decugis.
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Même si l’homme s’est donné la mort après son assaut sanglant, l’enquête se poursuit pour tenter d’appréhender cette nouvelle forme de radicalisation entre complotisme, ultradroite et délire survivaliste.
Pauline Revenaz, Juliette Pelerin, Etienne Grelet, Hugues Dugué et Ambre Lepoivre