Sécurité. Les quatre vérités du « général courage »
Le général de gendarmerie Bertrand Soubelet fait « sauter le verrou » qui interdit aux militaires de s’exprimer, dans un livre présenté comme « une contribution citoyenne sans aucun esprit partisan » mais rédigé comme une charge contre le gouvernement.
Dans « Tout ce qu’il ne faut pas dire », à paraître chez Plon le 24 mars, l’ex-numéro 3 de la gendarmerie, aujourd’hui commandant de l’Outre-mer, revient sur son audition, le 18 décembre 2013, par la commission de « lutte contre l’insécurité » à l’Assemblée nationale, qui le fera sortir de l’anonymat. Ce jour-là, le directeur des opérations et de l’emploi à la direction générale de la gendarmerie (DGGN) exprime des réserves sur la politique pénale face aux délinquants, relevant notamment que, « dans les Bouches-du-Rhône, en novembre 2013, 65 % des cambrioleurs interpellés sont à nouveau dans la nature ». Ses propos lui avaient attiré les foudres de sa hiérarchie et du ministre de l’Intérieur de l’époque, Manuel Valls, mais ils lui avaient aussi gagné la sympathie de nombreux gendarmes de base saluant, sur les réseaux sociaux, le « général courage ». Celui-ci affirme tirer de ce fait d’armes « une certaine légitimité » pour « contribuer au réveil collectif ».
Juges, jeunes, politiques…
Il est muté, à l’été 2014, au commandement de la gendarmerie de l’Outre-mer, un poste qualifié de « prestigieux » par Beauvau à l’époque mais une décision vécue par Bertrand Soubelet, aujourd’hui âgé de 56 ans, comme une « éviction ». Alors, dans un livre fourre-tout nourri d’un populisme décomplexé, il dit vouloir « résister activement au cynisme et à l’hypocrisie », se risquant à une expression publique inédite pour un haut-gradé en exercice de la gendarmerie, qui laisse présager de possibles sanctions. Il fustige ainsi « le mirage de la sécurité » et s’en prend à un « système judiciaire qui n’est pas en capacité de répondre ».
Il attaque les magistrats « jusqu’au-boutistes » et ceux qui « exercent leur métier à l’aune de leurs idées philosophiques ou politiques ». Dénonçant « une déperdition certaine de notre système de valeurs », il souhaite, pour les jeunes, des « centres d’éducation par le travail » et « un service national rénové », civil et obligatoire, de quelques mois. Convaincu de l’« atomisation de la société française », le général s’en prend pêle-mêle au système syndical « dispendieux », aux partis politiques « globalement disqualifiés », au coût de la démocratie, à la fraude fiscale… Mais ses mots les plus durs vont aux responsables politiques. Ils « se sentent souvent acculés à des renoncements face à la pression de la rue et à des annonces péremptoires très médiatisées et rarement suivies d’effets avec, en permanence, le souci du coup politique qui permet de briller ou qui compense un échec », affirme-t-il, citant l’affaire Leonarda, l’adolescente rom dont l’expulsion de France avait créé une polémique en 2013.
Ayrault entre « détachement » et « ignorance »
Si le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, est absent du livre et Manuel Valls à peine cité, son prédécesseur à Matignon, l’actuel chef du Quai d’Orsay, Jean-Marc Ayrault, est directement attaqué. Le général revient sur un déjeuner, en 2013, réunissant les grands patrons de la police et de la gendarmerie chargés d’exposer au Premier ministre d’alors la situation de la délinquance dans le pays. « Ce jour-là, on pouvait percevoir ce que j’ai interprété, au mieux comme étant du détachement, au pire comme de l’ignorance, dans les réactions du Premier ministre concernant les questions de sécurité », déplore Bertrand Soubelet.