Faits divers – JusticeDossier : Nordahl Lelandais
Procès Lelandais : comment l’enquête a progressé grâce aux experts de la gendarmerie nationale
Mardi 27 avril 2021 à 3:00 – Par Anabelle Gallotti, France Bleu Pays de Savoie, France Bleu Isère, France Bleu
Le procès de Nordahl Lelandais s’ouvre le 3 mai devant la cour d’assises de la Savoie. Le Savoyard est accusé du meurtre d’Arthur Noyer en avril 2017. Cette enquête de plusieurs mois a été résolue en partie grâce à l’analyse scientifique d’ossements retrouvés dans une forêt. Explications.
Nordahl Lelandais est poursuivi pour le meurtre du caporal Arthur Noyer. Ce jeune militaire a disparu à Chambéry, en Savoie, dans la nuit du 11 au 12 avril. Ses ossements ont été retrouvés plusieurs mois après, dans une forêt, à une vingtaine de kilomètres de Chambéry. Ce fût un des éléments forts qui a permis de faire avancer l’enquête, puisque, dans cette affaire, Nordahl Lelandais n’a reconnu les faits qu’une fois mis devant les preuves et indices scientifiques.
Comment ces experts travaillent-ils ? Explications du général Patrick Touron, du Pôle Judiciaire de la Gendarmerie Nationale (PJGN), le pôle d’expertise voué à la criminalistique et à l’intelligence judiciaire.
Comment procédez vous quand un crâne, retrouvé dans une forêt comme dans cette enquête, arrive dans vos services ?
Patrick Touron, commandant du PJGN : Par rapport à l’examen d’une découverte d’ossements, ce qui arrive assez souvent en France, on met tout de suite les anthropologues sur le sujet. Pourquoi ? Pour pouvoir associer ce crâne à une personne, pour déterminer que c’est un crâne humain. Il faut savoir que la plupart du temps, nous sommes saisis pour des ossements animaux. Dans le cas présent, c’était un ossement humain. Donc la deuxième question qui se pose immédiatement c’est : à qui appartient cet ossement ? Est-ce que c’est récent ? Est-ce que ça appartient à une personne récemment disparue ou est-ce que ça peut être un vestige d’une guerre, par exemple.
Dans cette affaire, rapidement, on a vu que c’était des ossements relativement récents. Ensuite, il faut identifier, parmi toutes les personnes qui sont décédées et dont on n’a pas retrouvé le corps, si on peut les associer. Pour ce faire, traditionnellement, on utilise l’ADN, qui est une technique d’analyse génétique qui permet de retrouver une personne assez facilement. S’il n’y avait pas de référence ADN, on utilise l’odontologie légale (l’étude des dents et des maxillaires par des médecins légistes, ndlr) ou les traces qui permettent de tirer un portrait robot génétique, ce qui peut aussi être fait.
Est-ce que ce sont des analyses longues à réaliser ?
Le temps scientifique est relatif. Une analyse ADN, ça peut se faire en quelques heures ou quelques jours. Une analyse odontologique, c’est la même chose. Ce qui est souvent le plus long, c’est de récupérer les éléments de comparaison. Si on a deux ou trois cents personnes disparues, il faut savoir comment s’orienter pour comparer l’ADN, pour savoir avec quelle victime disparue on voudrait pouvoir associer le crâne découvert.
Dans le cas d’Arthur Noyer, vous avez retrouvé ce crâne, vous l’avez identifié. Et ensuite, vos services sont retournés dans la forêt pour tenter de retrouver s’il y avait d’autres ossements. Quels sont les outils avec lesquels vous travaillez à ce moment là ?
Traditionnellement, lorsqu’on a identifié un crâne, on se doute bien qu’il n’est pas tout seul. Donc on essaye de retrouver d’autres ossements. C’est le minimum que l’on doit aux victimes. Pour ce faire, la gendarmerie a plusieurs méthodologies. La première, la plus classique, c’est le chien. Nous avons des chiens qui sont dressés pour retrouver des personnes vivantes, mais aussi des chiens qui sont dressés pour rechercher des personnes décédées, ou même dressés spécifiquement pour la recherche d’ossements humains. Donc, on utilise cette méthode.
Une seconde méthode consiste à utiliser ce qu’on appelle des géoradars, c’est-à-dire un outil qui permet de voir sous la couche, sous la couche de feuilles ou de terre récente et qui permet de voir des traces, des ossements ou une fosse. On distingue, dans le sol, une déformation qui permet de voir une fosse par exemple. On peut aussi utiliser l’infrarouge pour voir un corps récemment déposé. Lorsque les méthodes précédentes n’ont pas fonctionné, il existe une troisième méthode qui consiste à creuser avec une pelleteuse qui, couche par couche, va dégager le sol jusqu’à identifier un endroit où on aurait pu retrouver des ossements.
Finalement, vous utilisez des méthodes traditionnelles, anciennes (comme les chiens) et de l’ultra moderne ?
Oui, ces méthodes sont complémentaires, c’est-à-dire que l’une ne se substitue pas à l’autre, mais l’une vient compléter l’autre. L’idée générale que l’on a, c’est de ne pas passer à côté d’une information. Et les informations, bien souvent, en tout cas en science, c’est grâce à des techniques qui se recoupent, qu’on peut être sûr que rien ne nous échappe.
Aujourd’hui, le temps qui passe n’est plus votre principal obstacle dans ce type de recherche ?
Le point le plus important, c’est de permettre à la victime, à la dépouille, de s’exprimer. Et donc, lorsque l’on aura fait une fouille, on va retrouver des éléments attestant d’une violence ou pas, on va pouvoir montrer si c’est un accident ou pas. On pourrait retrouver des traces, des séquelles. Et tout ça, c’est très important. C’est pour permettre à la victime de s’exprimer de manière à ce que, au procès, on n’entende pas qu’une seule voix, celle de l’auteur. Bien souvent, c’est le seul qui reste, l’auteur d’un crime et c’est quand même malheureux que la victime ne puisse pas s’exprimer. C’est ce que les scientifiques essayent de faire. Permettre à la victime de donner sa version des faits au travers des cicatrices ou des stigmates qu’elle porte encore. À lire aussi De la disparition aux obsèques : l’affaire Arthur Noyer, première victime connue de Nordahl Lelandais