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Le - Policiers et gendarmes en ont ras la casquette

Policiers et gendarmes en ont ras la casquette

Sécurité : le gouvernement a concédé une rallonge financière pour calmer les troupes et remonter leur moral

Dans la police et la gendarmerie, le moral des troupes est bas à cause du manque de moyens 

POLICE-DÉLINQUANCE-IDFLe coup de gueule poussé par le général Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), a eu du bon pour ses troupes. En fin de semaine, le Premier ministre a décidé le « dégel » de la somme de 111 millions pour terminer l’année 2013. Une enveloppe qu’il faudra tout de même partager avec la police nationale. Cette rallonge budgétaire permettra aux forces de sécurité de parer à l’urgence mais pas de jouer à l’écureuil, puisque les caisses sont vides.

Auditionné le 16 octobre devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale, le « 5 étoiles » a été on ne peut clair plus sur le contexte financier actuel de la gendarmerie nationale : « Le moral est morose. Les gendarmes pensent qu’ils n’ont pas les moyens d’accomplir leurs missions. Ils ne demandent rien pour eux, ils aspirent juste à pouvoir faire leur travail dans de bonnes conditions. Nous sommes dans une situation difficile ». Lors de son exposé, le DGGN a précisé ne pas avoir été en mesure, cette année, de passer commande de véhicule, ni d’ordinateur. Il a même annoncé ne plus pouvoir mettre de carburant dans les véhicules et ne plus être en capacité de payer les loyers des gendarmes aux collectivités locales.

« Le système D prime pour faire tourner la boutique »

La Région de gendarmerie de Haute-Normandie ne fait pas exception. Les 18 millions d’euros alloués en 2011 pour le fonctionnement de l’institution ne sont plus qu’un lointain souvenir. « Ça, c’était avant ! Pour reprendre l’expression publicitaire du moment, confie dépité un sous-officier. Les crédits ont sérieusement baissé. Aujourd’hui, c’est le système D qui prime pour faire tourner la boutique. » Un autre militaire, affecté en brigade territoriale, affirme que son commandant de compagnie a donné pour instruction (verbale) à ses hommes de patrouiller à proximité de la brigade, alors que le territoire à couvrir s’étend sur plusieurs dizaines de kilomètres. « Pour faire des économies, on doit rester dans le coin, sauf si on est appelé par notre centre opérationnel pour une intervention. Dans ce cas seulement, on se déplace. Cela veut dire que s’il ne se passe rien de spécial durant plusieurs jours la population ne nous voit pas… » Autre exemple d’économie livré par ce gendarme : l’impression des procès-verbaux. « On imprime le strict minimum pour être dans les clous de la procédure, mais pas une feuille plus ! Un collègue a pris une remarque par son supérieur à ce sujet il y a à peine quelques jours. » Contacté, l’état-major régional de la gendarmerie ne souhaite pas faire de commentaire. « On a reçu des instructions de Paris pour ne pas parler », précise un officier. Fermez le ban !

Les gendarmes ne sont pas les seuls à manger leur pain noir, leurs collègues policiers ont aussi leur ration. « C’est dur au quotidien. Dans tous les services, les collègues essayent de joindre les deux bouts pour essayer de faire leur travail au mieux. Mais faire au mieux ne veut pas dire faire dans de bonnes conditions », déplore Frédéric Desguerre, secrétaire régional d’Unité SGP-Police.

« Les policiers souffrent, le citoyen trinque »

Le syndicaliste dresse une liste à la Prévert pour illustrer son propos : « Je pense à l’informatique. Les ordinateurs sont actuellement dotés de nouveaux logiciels, mais les machines que nous avons ne sont pas assez puissantes… Je pense à des collègues partis en audition à plusieurs kilomètres pour prendre une déposition, qui ont dû faire l’aller-retour pour venir imprimer le procès-verbal au commissariat et le faire signer puisqu’il n’y avait plus assez d’imprimantes portables. Je pense à certaines réfections de bureaux de police qui ne sont pas réalisées et qui donnent au public une image déplorable. Je pense aussi aux collègues qui, avant, partaient en mission à deux au bout de la France et qui, désormais, partent seuls ou même demandent à leurs collègues du département concerné de prendre en charge une partie de la procédure. Il n’y a plus suffisamment de crédits. Les policiers souffrent, mais au final, c’est le citoyen qui trinque. »

Les chiffres semblent donner raison au syndicaliste : le budget annuel de la direction départe- mentale de la Sécurité publi- que (DDSP) de Seine-Maritime, qui emploie le gros des troupes de l’effectif policier en Haute-Normandie, a baissé d’environ 20 % en l’espace de quatre ans, passant ainsi de plus de 4 millions d’euros à 3,25 millions en 2013. Cette année encore, le contrôleur général François Mainsard – qui refuse de s’exprimer sur ce sujet – a été contraint de « réclamer du rab » au Secrétariat général de l’administration de la police (SGAP) de Rennes afin de boucler son budget.

Pendant l’été, les grosses cylindrées restent sur le parking

Au service régional de Police judiciaire (SRPJ) de Rouen, malgré le pâle soleil normand, le budget fond également tous les ans. D’après nos informations – qu’il ne confirme pas -, Philippe Ménard, le « patron », demande chaque été à ses enquêteurs d’éviter d’emprunter les voitures de grosse cylindrée pour économiser du carburant. « On les sort uniquement en cas d’ultime nécessité », confie un enquêteur chevronné. Plus révélateur encore de la santé financière fragile du service : la présence permanente sur le parking de certains véhicules. « Comme on n’a pas les moyens de tous les réparer, ils restent ici… Ça attendra l’année prochaine ! », lance un autre « PJiste », qui affirme cependant qu’à ce jour aucune enquête n’a pâti du manque de crédits. « Elles peuvent être, en revanche, plus longues à sortir. Car, au-delà du manque de moyens matériels, on manque aussi d’effectifs. On ne peut pas être au four et au moulin. »

Faute de budget extensible dans les mois et les années à venir, le locataire de la place Beauvau pourrait bien prendre une décision lourde de conséquences pour faire des économies d’échelle : accélérer le rapprochement police-gendarmerie amorcé début 2009 par le rattachement des militaires au ministère de l’Intérieur. Pas sûr que cela satisfasse les principaux intéressés.

 111 M€ débloqués en urgence

Le ministre de l’Intérieur Manuel Valls a annoncé en fin de semaine le déblocage de 111 millions d’euros pour la police et la gendarmerie, après que plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer les difficultés budgétaires touchant les deux forces.

Cette annonce de Manuel Valls devant les députés de la commission des Finances et de la Défense de l’Assemblée nationale « était éminemment attendue », a expliqué une source proche du dossier. Le ministre a également indiqué le déblocage de 10 millions d’euros supplémentaires pour répondre « aux besoins immobiliers les plus pressants dans la gendarmerie nationale », et notamment le « lancement de travaux urgents dans les logements des gendarmes les plus dégradés ». Le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), Denis Favier, était monté au créneau devant la commission de la défense de l’Assemblée à la mi-octobre, évoquant la « situation difficile » de son institution du fait des restrictions budgétaires imposées par Bercy (lire par ailleurs).

Rappelant que la « sécurité de nos compatriotes » était une priorité du président de la République, Manuel Valls a donc annoncé que le Premier ministre avait décidé de « dégeler 111 millions de crédits », octroyant ainsi aux deux forces « les moyens nécessaires à leur fonctionnement jusqu’à la fin de l’année ». Interrogé sur la répartition de ces 111 millions entre la police et la gendarmerie, le ministre a dit « y travailler encore » mais que cela « se fera dans l’équilibre nécessaire ».

Concrètement, ces crédits sont destinés à donner les moyens nécessaires au fonctionnement de la police et de la gendarmerie (carburant, équipements de protection, tenues…), à soutenir l’engagement des forces mobiles (CRS et gendarmes mobiles), à soutenir les investissements nécessaires à la montée en puissance du renseignement intérieur et à améliorer le parc automobile de la gendarmerie. Des équipements informatiques seront également financés dans la gendarmerie ainsi que des projets informatiques visant à la modernisation de la police.

Les crédits ont baissé de 18 % entre 2007 et 2012

Traditionnellement, les crédits bloqués en début d’année pour faire face à d’éventuels aléas sont toujours dégelés avant la fin de l’année. Le ministre a précisé que, pour la première fois depuis 2007, le budget alloué aux policiers et aux gendarmes était ainsi en augmentation « de 2 % », rappelant que ces crédits avaient baissé de 18 % entre 2007 et 2012.

Dans un rapport d’information parlementaire sur les investissements dans la police et la gendarmerie, le rapporteur du Sénat, Jean-Vincent Placé (EELV), fait état d’un besoin de financement de l’ordre de 300 millions d’euros pour les casernes de gendarmerie.

En revanche, le ministre de l’Intérieur est resté ferme sur la baisse prévue dans le budget 2014 de l’indemnité dite de sujétions spéciales de police (ISSP) des élèves policiers et gendarmes, contestée par les principaux syndicats de police.

En début de semaine dernière, le locataire de la place Beauvau avait affirmé que la police et la gendarmerie avaient les « moyens nécessaires » de fonctionner. « Il y a des voitures qui roulent, il y a des commissariats qui fonctionnent et des policiers et des gendarmes sur le terrain », avait-il précisé.

La justice malmenée aussi

« Ce jour-là, cela s’est joué à peu de chose pour que l’on passe à côté d’un meurtre… » Cet enquêteur haut-normand en parle encore avec effroi. Il y a quelque temps, il a été appelé à se rendre sur les lieux de la découverte d’un cadavre dans la région (*). « Le corps ne présentait pas de trace de violence apparente et l’absence d’éléments dans l’environnement pouvait laisser à penser qu’il s’agissait d’une mort naturelle. Mais certaines choses nous paraissaient toutefois suspectes. On était hésitant sur l’origine de ce décès. » Un magistrat du parquet s’est également rendu sur place. « Après discussion, le magistrat a indiqué qu’il n’ordonnerait pas d’examens médico-légaux. Il nous a précisé qu’il prenait cette décision car, au regard des éléments en sa possession, engager des frais n’était pas justifié. »

« Les délais de procédure rallongés »

D’après cet enquêteur, il a fallu que son supérieur insiste « avec diplomatie et persuasion » auprès du procureur de la République pour qu’une autopsie ait lieu. L’examen, pratiqué plusieurs jours après la découverte du corps, a finalement révélé que la personne avait été victime d’un meurtre. Quelques semaines plus tard, l’auteur(e) présumé(e) du crime a été mis(e) en examen et écroué(e) en maison d’arrêt.

Cet exemple, qui révèle l’insuf- fisance de moyens de la justice, Rozenn Gernier, membre du Syndicat de la Magistrature (SM), ne souhaite pas le commenter. « Je peux simplement dire qu’il me surprend », précise-t-elle. En revanche, la juge d’instruction rouennaise n’hésite pas à affirmer que son institution est malade. Si elle s’est « habituée » au dé- ficit de moyens matériels – « insuf- fisance de CD-Rom, imprimante défectueuse, achat de codes limité… » -, elle dénonce la pénurie d’effectifs. « Il n’y a plus assez de personnels. À titre d’exemple, en 2010, le juge d’instruction à Bernay a été supprimé ; à Évreux, depuis 2011, ils ne sont plus que deux au lieu de trois ; à Rouen, au lieu de six, nous ne sommes plus que quatre… Forcément cela pose des problèmes et cela rallonge les délais de procédure. » « Mais, les juges d’instruction ne sont pas les seuls à souffrir, poursuit Rozenn Gernier. Les autres magistrats sont aussi dans le même cas, comme les collègues du greffe, de la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse, NDLR), du Spip (Service pénitentiaire d’insertion et de probation, NDLR)…»

La magistrate évoque aussi le cas des psychiatres et psychologues qui sont de moins en moins nombreux à accepter de prêter leur concours à la justice. « Comme les traducteurs, ils sont mal payés et avec du retard. » Mis en cause lors du procès d’Outreau, l’expert-psychologue rouennais Jean-Luc Viaux avait déclaré en 2005, avant de présenter ses excuses : « Quand on paye 15 euros des expertises au tarif d’une femme de ménage, on a des expertises de femme de ménage. » Du point de vue financier, les choses n’ont pas l’air d’avoir beaucoup évolué.

(*) Notre rédaction ne précise pas volontairement certains éléments (lieu, date, sexe de la victime, conditions du décès, service enquêteur…), afin de préserver l’anonymat du témoignage

B.L.
b.laureau@presse-normande.com

Source : paris normandie fr(1)  www.paris-normandie.fr

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