Mort de Rémi Fraisse : décision cruciale mardi de la Cour de cassation
Justice, Faits divers, Barrage de Sivens
Publié le 21/03/2021 à 08:18
En cas de rejet de son pourvoi, la famille du militant écologiste tué par une grenade en octobre 2014 verrait son espoir s’amenuiser, voire réduit à néant, d’obtenir le « procès public » qu’elle réclame.closevolume_off
La mère et la sœur de Rémi Fraisse « ne se font pas beaucoup d’illusions », a déclaré à l’AFP leur avocate Claire Dujardin. « C’est un dossier qui implique l’État », a-t-elle argué.
La famille a d’ores et déjà prévenu que, si elle n’obtenait pas gain de cause en France, elle saisirait la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).
Dans un entretien à la Dépêche en octobre dernier, Jean-Pierre Fraisse, le père de la victime, disait « ne pas être dans la vengeance, ni dans la haine vis-à-vis de la gendarmerie ». « Six ans après, j’ai le sentiment que mon fils est mort pour rien. Rien ne change. On a l’impression que les politiques locales ne sont pas animées d’une volonté assez forte pour changer les méthodes de l’agriculture trop consommatrice d’eau et de pesticides. »
A lire aussi : VIDEO. Mort de Rémi Fraisse à Sivens : les confidences de son père à La Dépêche six ans après les faits
Rémi Fraisse, botaniste de 21 ans, avait succombé à l’explosion d’une grenade tirée par un gendarme lors de violents affrontements sur le chantier de la retenue d’eau controversée de Sivens, le 26 octobre 2014.
Le militaire qui avait lancé la grenade responsable du décès n’avait pas été mis en examen. Il avait bénéficié en janvier 2018 d’un non-lieu, confirmé par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Toulouse en janvier 2020.
C’est contre cette décision que la famille Fraisse a formé un pourvoi devant la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, qui est le juge du droit et ne se prononce pas sur les faits.
À l’audience, le 16 février, l’avocat général avait préconisé le rejet du pourvoi. Les « faits ont déjà été soupesés par des juges d’instruction et en appel par la chambre de l’instruction » et leur décision était « motivée », avait estimé le magistrat.
Au cœur de cette affaire, la question du maintien de l’ordre et de l’adéquation des armes utilisées. Selon la loi, n’est pas responsable pénalement le fonctionnaire de police ou le militaire qui a fait un usage « absolument nécessaire » et « strictement proportionné » de son arme.
Suspension de l’usage des grenades offensives
La famille de Rémi Fraisse reproche à la chambre de l’instruction de ne pas avoir « pris en considération » un certain nombre d’éléments avant de fonder sa décision.
Devant la Cour de cassation, l’avocat de la famille, Patrice Spinosi, avait lancé : « Vous ne pouvez pas vous borner à un satisfecit des motifs rendus par la chambre de l’instruction sans être assurés que tous les éléments du dossier aient été vérifiés ».
Me Spinosi estime notamment que le recours à une grenade offensive OF-F1, une grenade par explosion, était une « réponse inadaptée » car elle avait été choisie « faute de mieux », le gendarme n’étant alors pas doté d’autres types de grenades.
« Dans une obscurité totale », le gendarme avait d’autre part tiré « en cloche » et non au sol, et la grenade s’était coincée entre la veste et le sac à dos du jeune militant, avant d’exploser, avait appuyé Me Spinosi.
Deux jours après la mort de Rémi Fraisse, le gouvernement avait suspendu l’utilisation des grenades offensives, avant de les interdire définitivement quelques mois plus tard.
Dès lors, les grenades GLI-F4 – munitions à triple effet lacrymogène, sonore et de souffle – avaient été privilégiées. Accusées de causer des mutilations, elles ont aussi disparu de l’armement des forces de l’ordre.
« Immense gâchis »
« Rémi Fraisse est en réalité mort pour rien. Il a été victime de l’application déraisonnable d’une doctrine de maintien de l’ordre, qui par la suite va être de plus en plus contestée », avait déploré Me Patrice Spinosi, évoquant un « immense gâchis ».
« Un homme est mort et (on ne peut) que le regretter », lui avait répondu l’avocat du gendarme, Emmanuel Piwnica.
Mais « il n’y a rien à reprocher aux gendarmes. Leur attitude a été exemplaire », avait-il défendu. « Encerclés par des groupes qui lançaient sur eux des projectiles et des engins incendiaires », les gendarmes avaient dû répliquer, avait argumenté Me Piwnica, rappelant que les grenades offensives étaient alors autorisées et n’étaient pas classées dans la catégorie des armes létales.
Les gendarmes « n’ont fait que respecter la loi » et « la chambre de l’instruction l’a constaté », avait-il dit.
Le projet de barrage à Sivens, retenu en 2012 malgré une levée de boucliers des environnementalistes opposés à la destruction d’une zone humide, a été abandonné après la mort de Rémi Fraisse. Un nouveau projet d’irrigation dans la zone a depuis refait surface, relançant, dans l’attente d’un arbitrage, la mobilisation des écologistes.
La rédaction avec AFP