Lutte contre l’immigration irrégulière et clandestine : la côte d’Opale sous haute surveillance
Auteur : capitaine Marine Rabasté – publié le 7 septembre 2022
Face à l’augmentation du phénomène migratoire, les gendarmes de la compagnie de gendarmerie départementale de Calais poursuivent leur engagement dans la lutte contre l’immigration irrégulière et clandestine, afin de protéger la vie de ceux qui, chaque jour, se mettent en danger en tentant de traverser la Manche.
Entassés sur de petites embarcations, nombreux sont les clandestins qui, depuis Calais et ses alentours, espèrent rejoindre l’Angleterre. Visible depuis la côte, ce qui leur apparaît comme un Eldorado n’est qu’à une cinquantaine de kilomètres. Une distance infime par rapport au périple déjà effectué. Mais la traversée est périlleuse, comme en témoigne le naufrage d’une embarcation en novembre 2021 ayant causé la mort de 27 personnes. Face à ces tragédies, qui ne dissuadent pourtant pas les clandestins, le président de la République avait alors déclaré que « la France ne laissera pas la Manche devenir un cimetière ». Sur la côte d’Opale, la sauvegarde de la vie de ces hommes, femmes et enfants est une priorité de longue date, justifiant la mise en œuvre d’une politique de Lutte contre l’immigration irrégulière et clandestine (LIIC).
Avec le Traité du Touquet, signé en 2003 et amendé depuis par de nombreux accords bilatéraux, la frontière britannique a été déplacée sur les côtes françaises. Le contrôle et la sécurisation des frontières sont du ressort de la France, en contrepartie d’une contribution financière de la part de Londres. Sur les 45 km de côte qui séparent Calais de Dannes, au sud de Boulogne-sur-Mer, cette mission est prise en compte par les militaires de la Compagnie de gendarmerie départementale (CGD) de Calais.
Passage outre-Manche, un phénomène en constante évolution
« La lutte contre l’immigration irrégulière et clandestine est l’un des principaux enjeux pour les gendarmes de la compagnie de Calais », explique le chef d’escadron (CEN) Vincent Riffault, commandant la CGD de Calais. Et la mission n’est pas des moindres. S’il y a quelques années, les départs étaient majoritairement concentrés sur l’agglomération calaisienne, ce n’est aujourd’hui plus le cas. « Les modes d’action des filières d’immigration illégale se sont adaptés aux nôtres, précise le CEN Riffault. Quand la présence des forces de l’ordre à Calais a été renforcée et que les contrôles se sont intensifiés, la zone de franchissement s’est élargie et les mises à l’eau se font désormais beaucoup plus au sud, parfois même jusqu’à Ouistreham. » Des mises à l’eau la plupart du temps simultanées, afin de saturer le front de mer et donc le dispositif de surveillance étatique. De plus, les embarcations de fortune, aussi appelées « small boats », laissent également place à des bateaux neufs, de plus grande capacité, pouvant accueillir jusqu’à 60 personnes, au lieu d’une dizaine auparavant. Face à l’organisation et à la grande adaptabilité dont font preuve les filières de passeurs, les gendarmes de la compagnie de Calais doivent donc sans cesse adapter leur manœuvre et leurs modes d’action.
À noter : Dans son rapport pour l’année 2020, le CROSS Gris-Nez déclarait qu’« en zone de compétence locale, les opérations de recherche et de sauvetage au profit des migrants sont devenues de très loin la première mission du CROSS », précisant que les mouvements migratoires avaient connu « une augmentation exponentielle » et constituaient désormais « un phénomène structurel, amené à durer ».
Une mission d’ampleur nécessitant un effectif dédié
Pour le CEN Riffault, la complexité du phénomène nécessite une connaissance et un savoir-faire particuliers. « La mise en place d’un dispositif spécifique de lutte contre l’immigration irrégulière et clandestine est primordiale. Le terrain doit être constamment occupé, afin d’observer les mouvements de migrants. Cela permet d’identifier en amont le lieu de leur départ et ainsi de les intercepter avant la mise à l’eau. » C’est pourquoi, au sein de la compagnie, des gendarmes d’active et de réserve sont dédiés à cette mission.
Mise en place à la fin de l’année 2020, l’opération « Poséidon » permet à la compagnie de bénéficier d’un renfort permanent de réservistes. Ainsi, trois Sections de réserve territoriales (SRT), en provenance de différentes régions de France, se partagent la côte et ses abords. Elles sont renforcées par un Détachement de surveillance et d’intervention de réserve (DSIR), composé de réservistes de la région des Hauts-de-France.
Ce dispositif est complété par une Brigade de gestion des événements (BGE) spécifique à la LIIC, armée par des gendarmes d’active détachés des brigades de la compagnie, et par le Peloton de surveillance et d’intervention gendarmerie (PSIG) de Marck, dédié à cette mission. L’ensemble est coordonné par un Directeur opérationnel (D.O.), dont la mission est d’orienter l’effort du dispositif d’interception sur la base des renseignements recueillis. « Actuellement, nous bénéficions par ailleurs d’un peloton de gendarmes mobiles, agissant principalement la nuit, dans les zones boisées comportant de nombreux itinéraires d’infiltration », ajoute le commandant de compagnie. Un dispositif conséquent donc, mais indispensable.
Adapter ses moyens d’action aux modes opératoires adverses
Avec ses grandes plages de sable blanc bordées par quelques zones boisées, la côte d’Opale fait rêver. Mais ce n’est pas toujours un avantage pour les gendarmes. « Les plages sont immenses. Aller jusqu’au point de mise à l’eau demande du temps. Or, pour intercepter un départ d’Étrangers en Situation Irrégulière (ESI), une intervention rapide est nécessaire. » Au Sud de la compagnie aujourd’hui et demain au Nord, ces interceptions seront facilitées grâce au buggy « Polaris ». Ce buggy biplace offre une capacité de projection et d’intervention rapide jusqu’au bord de l’eau. « Il peut tout aussi bien être utilisé pour effectuer du contrôle de zone, en patrouillant sur les plages et dans les dunes, que pour observer depuis un point fixe afin d’intervenir rapidement sur le point de mise à l’eau. » Les dispositifs thermiques viennent également compléter les moyens dont sont dotés les gendarmes pour opérer la nuit sur le secteur et déceler les groupes de clandestins. Les drones, particulièrement utiles dans les zones difficiles d’accès et les vastes étendues, sont employés dans le cadre de la sauvegarde de la vie humaine. « Avec les renseignements recueillis, nous sommes davantage en mesure d’anticiper la mise à l’eau des ESI », ajoute le commandant de compagnie.
Adapter ses moyens à terre, mais aussi en mer. Lorsque les conditions météorologiques sont favorables, le groupe nautique de la compagnie est de sortie. « Les gendarmes de brigade disposant de la qualification Pilote d’embarcation gendarmerie niveau 1 (PEG 1) sont mis à disposition par les commandants d’unité et nous armons les bateaux appartenant à la compagnie. Leur mission est d’observer le littoral depuis la bande des 0-300 mètres, afin de renseigner les militaires déployés à terre, et ce sont ces derniers qui interviennent. »
Agir avant la mise à l’eau
La mise à l’eau des migrants signe la fin de l’action des gendarmes au sol. « Une fois en mer, c’est le CROSS qui prend en charge le suivi du franchissement, car il s’agit d’une opération d’assistance et de secours », explique le CEN Riffault. La mission des gendarmes est en effet de sauvegarder la vie humaine en empêchant la mise à l’eau, par la neutralisation du matériel et/ou l’interception des clandestins.
À noter : à la mi-août, 3 166 migrants ont été interceptés depuis le 1er janvier 2022, sur le secteur de la compagnie de Calais, dont 2 925 sur le cordon dunaire. Cela représente 14 % de plus qu’en 2021, témoignant ainsi de l’augmentation du phénomène migratoire sur le secteur de la compagnie. Quant aux matériels, 61 bateaux, 75 moteurs et 1 419 matériels divers ont déjà fait l’objet d’une découverte par les gendarmes.
Une fois interceptés, les migrants sont remis à la Police aux frontières, qui s’occupera de la procédure. « Entre ces deux actions, nous avons toutefois des conduites à tenir particulières, en fonction de la situation, ajoute le commandant de compagnie. Il y a, par exemple, des précautions à prendre lorsque nous interceptons des groupes comportant des femmes et des enfants, notamment lorsque les températures sont basses. Nous sollicitons l’intervention des pompiers, qui évaluent leur état de santé. Nous avons également des process établis avec les mairies et des contacts avec les associations spécialisées pour ce qui concerne la mise à l’abri et la prise en charge des migrants. » Mais les migrants ne sont pas les seules cibles de la LIIC. Les passeurs et les personnes Aidants à l’entrée et au séjour illégal (AESI) sont également recherchés par les gendarmes. Pour eux, le trafic s’avère extrêmement lucratif. Profitant de la misère et de la détresse des migrants, ils monnaient les passages à plusieurs milliers d’euros, faisant fi du risque auquel ils exposent plusieurs centaines de personnes chaque jour.