L’ONDRP observe « une situation inédite » dans la comptabilité des faits constatés par la gendarmerie nationale
« Aujourd’hui, l’observatoire est confronté à une situation inédite car les nombres de faits constatés par la gendarmerie nationale depuis près d’un an, et en particulier depuis le mois de juin 2012, affichent des particularités d’autant plus remarquables que dans le même temps rien de comparable n’apparaît dans les statistiques enregistrées par la police nationale ». C’est ce qu’indique l’Observatoire nationale de la délinquance et des réponses pénales dans son bulletin de novembre 2012, publié mercredi 5 décembre 2012. L’ONDRP considère « qu’il n’est plus possible de présenter et, a fortiori, de commenter, les chiffres obtenus en faisant la somme des faits constatés par la police et la gendarmerie. Les statistiques collectées sur les crimes et délits non routiers par les deux forces doivent, à titre provisoire, être appréhendées distinctement ».
L’observatoire précise avoir « engagé un dialogue avec la gendarmerie nationale afin d’essayer de comprendre » cette situation. Le bulletin de novembre 2012 constitue donc « un rapport d’étape sur une situation statistique qui va exiger encore de nombreux travaux afin d’en comprendre l’origine et le mécanisme ».
L’ENQUÊTE DE VICTIMATION, SEULE SOURCE STATISTIQUE FIABLE EN 2013
L’ONDRP rappelle que la gendarmerie nationale « a mis en œuvre, début 2012, la modernisation de son application informatique de saisie des procédures judiciaires, [Pulsar] tandis que la police nationale est victime de nombreux reports à ce sujet comme le prouve les nombreux acronymes évoqués depuis dix ans mais n’ayant jamais abouti (Ardoise, Ariane ou LRPPN) ». Dans ce contexte, « assurer la continuité, en termes de conditions de collecte et de financement, du dispositif d’enquêtes annuelles de victimation ‘Cadre de vie et sécurité’ Insee-ONDRP apparaît comme une tâche encore plus importante que précédemment ». L’observatoire estime ainsi qu’en « 2013 et 2014, il se peut que ce soit la seule source statistique fiable fournissant des données exploitables sur l’évolution des phénomènes de criminalité et de délinquance en France ».
Selon l’observatoire, « l’absence d’effet du système Pulsar est très improbable compte tenu de la singularité des variations observées et de leur calendrier d’apparition. Il envisage même que cet effet en soit l’explication principale. Aucune autre hypothèse à ce jour ne semble pouvoir remplir de façon aussi convaincante les deux conditions suivantes : être propre à la gendarmerie nationale et être en phase avec les mois au cours desquels les fortes augmentations ont été mesurées ». Il indique qu’une « seconde démarche, qui ne pourra être menée qu’une fois l’effet Pulsar établi ou démenti, consistera à rechercher les cause de l’accélération de la hausse des faits constatés de certains index à partir de juin 2012, voire pour d’autres, de l’inversion de tendance qu’ils ont connu à cette date ». Une des pistes que « souhaite explorer l’ONDRP concerne l’arrêt annoncé au mois de mai 2012 de la ‘course effrénée aux chiffres’ ou plus simplement l’arrêt de la ‘politique du chiffre’ ».
Le général Jacques Mignaux, directeur général de la gendarmerie nationale, a indiqué, lors de son audition par la mission d’information de la commission des Lois de l’Assemblée nationale sur « la mesure statistique des délinquances », mardi 4 décembre 2012, que la mise en place de l’application Pulsar pouvait « avoir jouée » dans cette augmentation, a estimé que cette explication n’était « pas totalement exacte, puisque sinon nous aurions une évolution sur l’ensemble du territoire ».
UNE AUGMENTATION « ENCORE PLUS VISIBLE SUR LES CINQ DERNIERS MOIS »
L’ONDRP considère qu’il est « peu probable que les nombres de faits constatés enregistrés par les gendarmes au cours des derniers mois, et tout particulièrement depuis juin 2012, l’aient été dans des conditions similaires au passé. Pour certaines catégories d’infractions, la comparabilité des nombres de faits constatés par la gendarmerie nationale semble avoir été perdue ». Il pointe ainsi une augmentation de « 108,1 % sur douze mois en octobre 2012 pour les faits constatés de ‘violences, mauvais traitements et abandons d’enfants’ par la gendarmerie nationale (soit + 3 555 faits constatés) » et de 73,3 % pour les « harcèlements sexuels et autres agressions sexuelles contre des mineur(e)s (soit + 1 871 faits constatés) ». Sur la même période, « le nombre de faits constatés de ces mêmes index d’infractions a peu varié en zone police », soit une augmentation de 0,3 % pour les « violences, mauvais traitements et abandons d’enfants » et une baisse de 1,1 % pour les harcèlements sexuels.
Cette augmentation en zone gendarmerie est encore plus visible sur les cinq derniers mois : + 142,3 % et + 98,9 % si l’on compare les faits constatés entre juin à octobre 2011 et juin à octobre 2012. L’ONDRP affirme que « des causes externes », telle qu’une « forte augmentation du nombre de victimes ou de leur propension à déposer plainte », n’apparaissent pas susceptibles de pouvoir expliquer ces hausses « à elles seules ». Cela laisserait en effet supposer que « les victimes, y compris dans les zones les plus urbanisées, seraient amenées à déposer plainte uniquement dans des brigades de gendarmerie, et non au commissariat de police proche de leur domicile ». L’observatoire suppose donc que ces évolutions « sont, au moins en partie, le résultat de processus internes qu’auraient connus la gendarmerie nationale en 2012 ».
DIVERSITÉ DES INFRACTIONS EN HAUSSE
L’ONDRP constate d’autre écarts importants entre les faits constatés par la police et ceux constatés par la gendarmerie. Ainsi, les faits constatés de « destructions et dégradations de véhicules privés » connaissent une baisse de « 6,6 % sur douze mois en octobre 2012 en zone police (soit – 9 318 faits constatés), dont – 6,3 % sur les cinq derniers mois (soit – 3 547 faits constatés) » et une hausse de 44,7 % sur douze mois en zone gendarmerie (soit + 4 898 faits constatés), « dont + 78,4 % sur les cinq derniers mois (soit + 3 481 faits constatés) ». De même, les faits constatés de « menaces ou chantages » enregistrent une hausse de 1,9 % sur douze mois en zone police, « dont + 4,2 % sur les cinq derniers mois » et une hausse de « 15,4 % en zone gendarmerie, dont + 29,2 % depuis le mois de juin ». Les faits constatés de « violences à dépositaires de l’autorité » baissent de 0,4 % sur les cinq derniers mois en zone police et augmentent de 37,5 % en zone gendarmerie. Les faits constatés de « falsification et usages de chèques volés » augmentent de 5,5 % sur les cinq derniers mois en zone police et de 57 % en zone gendarmerie.
Cette « diversité de la nature des infractions ayant connu une évolution intrinsèquement singulière en zone gendarmerie au cours des douze derniers mois, et de surcroît très différente de celle observée en zone police, vient, selon l’ONDRP, conforter l’hypothèse d’une origine du phénomène, qui serait, en partie au moins, interne à la gendarmerie nationale ».
Certaines hausses constatées en zone gendarmerie constituent cependant des « phénomènes structurels […] en cohérence avec le passé ». C’est le cas par exemple des faits constatés de cambriolages de locaux d’habitations principales, dont la hausse est « passée de moins de 32 % sur douze mois en octobre 2006 à 38,7 % en octobre 2012 ». De même, « les vols à la tire fournissent une illustration d’un index d’infraction […] et pour lequel la part des faits constatés en zone gendarmerie s’élève mais sans pour autant dépasser, en octobre 2012, des niveaux déjà atteints au cours des six dernières années », explique l’observatoire. En outre, au sein des atteintes volontaires à l’intégrité physique, « il apparaît aussi que les faits de vols violents avec arme ne présentent pas de variations singulières en zone gendarmerie ».