Loir-et-Cher Gens du voyage et gendarmes : relations toujours tendues
Tribunal correctionnel de Blois
Agé de tout juste 20 ans, Jason était jugé mardi après avoir eu un contact très houleux avec les gendarmes de Saint-Aignan. Tout commence le 28 novembre 2011. Les militaires viennent le voir à son domicile de Sassay afin de lui notifier une suspension de permis de conduire. Le jeune homme les accueille par une bordée d’injures. Le lendemain, les gendarmes viennent l’interpeller pour ces outrages. La situation dégénère, le jeune homme profère des insultes et des menaces de mort. Dans le fourgon qui le conduit à la brigade, il se montre agressif. Mais c’est surtout dans les locaux de la gendarmerie qu’il perd tout contrôle en assénant un violent coup de pied dans la jambe d’un militaire et en crachant au sol.
A la barre, le jeune homme fait profil bas : « J’en avais marre, les gendarmes venaient toutes les semaines pour me poser des questions dès qu’il y avait un vol dans le secteur, à chaque fois c’étaient des histoires qui ne me regardaient pas. C’est pour ça que je les ai insultés. Le lendemain, ils sont arrivés avec leur berger allemand qui s’est arrêté tout près de mon bébé, ça m’a mis en colère. »
Le président Xavier de Bernouis demande au prévenu si ces relations tendues avec la gendarmerie ne remontent pas aux événements de Saint-Aignan en juillet 2010. Jason a en effet été impliqué en tant que mineur dans les dégradations de l’ancienne brigade au lendemain de la mort de Luigi Duquenet.
Me Durand, partie civile pour le gendarme blessé à la jambe (8 jours d’ITT), estime que Saint-Aignan appartient au passé, que les choses doivent s’apaiser et que les gendarmes doivent pouvoir effectuer leurs missions normalement. Même position de la part de Mme Puechmaille, procureure de la République, qui réclame un travail d’intérêt général.
« L’affaire de Saint-Aignan a laissé des traces entre gendarmes et gens du voyage, constate Me Vinet. Toute la communauté en paye encore les séquelles, elle est rejetée par la population. Lui a été condamné pour avoir jeté un bout de bois contre le mur de la brigade. Cette affaire l’a beaucoup marqué au point de déménager. Depuis, on entend plus parler de lui. »
Jason a été condamné à effectuer 120 heures de travail d’intérêt général. Le gendarme blessé à la jambe s’est vu accorder un total de 800 euros en réparation.
Source :Loir-et-Cher/Actualité/Faits-divers-justice le 09/11/2012
Rappel des faits :
Mort d’un gitan à St-Aignan : un gendarme sera mis en examen
A l’origine du tir qui a coûté la vie à Luigi Duquenet, sa mise en examen est « programmée ». Les gendarmes défendent la thèse de la légitime défense.
Le frère de Luigi Duquenet était au volant lors de l’interpellation et conteste, depuis le départ, la version de la gendarmerie.
La mise en examen du gendarme à l’origine du tir qui a coûté la vie au jeune gitan Luigi Duquenet dans le Loir-et-Cher en juillet dernier est « programmée », a déclaré jeudi 9 septembre la procureure de Blois, Dominique Puechmaille.
« La mise en examen du gendarme est programmée. Elle devrait intervenir prochainement », a déclaré la magistrate en se refusant à dire à quel point cette mise en examen contredit la thèse de la légitime défense soutenue par les autorités depuis la mort du jeune de 22 ans, recherché pour avoir volé 20 euros.
La famille du jeune a été reçu jeudi matin par le juge d’instruction Xavier Girieu, qui lui a fait part de cette prochaine mise en examen, a précisé Me Jean-Claude Guidicelli, un de leurs avocats.
« Luigi n’était pas Mesrine »
« On est satisfait, la justice suit son cours et fait son travail, nous apprécions d’avoir été reçus », a dit le père de Luigi, François Chisserez. « On a fait un grand pas vers la vérité », a pour sa part estimé Me Guidicelli.
« La thèse de la légitime défense ne peut être retenue », a-t-il ajouté en assurant que les résultats de l’autopsie, comme les premières expertises, démontrent que le tir mortel a été effectué « latéralement » par le gendarme, du côté passager.
L’avocat a également affirmé que « le gendarme a reconnu lui-même ne pas avoir fait de sommations préalables », contrairement à ce qui avait été dit à l’époque par ses supérieurs à la presse. « Luigi n’était pas Mesrine. Pour moi, dans cette affaire, la messe est dite », a-t-il dit.
Le gendarme muté depuis le drame
Dominique Puechmaille a confirmé que la mise en examen du gendarme aurait dû intervenir « fin août » mais qu’une première convocation adressée par le juge d’instruction à la brigade de Saint-Aignan n’était pas parvenue au fonctionnaire, muté depuis le drame.
La mort du jeune gitan avait suscité la colère de sa communauté et plusieurs des siens ont ensuite mené une action spectaculaire dans le village de Saint-Aignan, avec quelques voitures brûlées, deux vitrines brisées et quatre arbres coupés.
Dans le prolongement de ces faits, le président Nicolas Sarkozy avait annoncé une réunion sur les « problèmes que posent les comportements de certains parmi les gens du voyage et les Roms », première étape de sa politique de reconduite aux frontières.
Source : Nouvel Observateur du 09/09/2010
REPORTAGE Brice Hortefeux s’est rendu hier dans la ville où la gendarmerie a été prise d’assaut samedi.
A Saint-Aignan, village du Loir-et-Cher de 3 400 habitants, Luigi Duquenet était connu. Des forces de l’ordre, certes, mais aussi du maire et des habitants. «Pas le pire de la famille», résume un commerçant. En forçant un barrage de gendarmerie vendredi soir, le jeune homme a perdu la vie, victime de deux tirs. S’en sont suivies deux nuits de heurts, la communauté gitane accusant les forces de l’ordre d’avoir exécuté Luigi par «racisme antigitans».
Incendie. Samedi soir, la gendarmerie a été attaquée par une cinquantaine d’individus cagoulés. Des arbres ont été sciés, des voitures incendiées, des devantures de magasins criblées de roulements à billes et une boulangerie pillée. Dimanche soir, alors que d’importants moyens policiers avaient été déployés à Saint-Aignan, ce sont les communes alentour qui ont subi un nouvel assaut. Bilan : trois véhicules en feu, une voiture bélier et l’incendie de la salle des mariages du village voisin de Couddes.
«Il avait 22 ans, il aimait faire la fête comme tous les gens de son âge», pleure Alison, sa compagne. Elle reçoit les journalistes sur le terrain provisoire des gens du voyage de Blois. Ici, point d’eau, ni d’électricité. Pas même un coin d’ombre. Mais l’essentiel des revendications n’est pas là. «Les gendarmes, ils nous aiment pas, explique un cousin germain de la victime. Celui qui l’a tué le connaissait. Pourquoi il ne l’a pas laissé partir pour le cueillir le lendemain dans sa caravane ?» Ce que les proches de Luigi attendent, pour calmer le jeu, c’est «la vérité sur les circonstances de sa mort».
Ce drame fait ressortir de vieux dossiers. Sur l’aire d’accueil, on parle facilement d’un autre mort par balles. Le père de Luigi aurait été tué en 1985 et, selon eux, par les gendarmes. «Ils attendent que la presse s’en aille pour classer l’affaire. Mais nous, nous avons un témoin qui a tout vu et qui pourrait tout raconter.» Dans le village, les esprits sont frappés. Frappés, mais pas surpris. «Ça devait arriver», rapporte une habitante sous couvert d’anonymat. «Certains sont agressifs et violents et, lorsque l’on en parle à la police, elle nous conseille de rentrer chez nous ou explique que les moyens ne sont pas suffisants.» Une autre habitante ne comprend pas les scènes de violence : «Mon fils a été tué par un chauffard, ce n’est pas pour cela que je suis allée brûler des voitures !»
Lavomatic. Près de la gendarmerie, en attendant la venue de Brice Hortefeux, le ministre de l’Intérieur, un habitant peste contre Jean-Michel Billon, le maire sans étiquette de la commune : «Pourquoi vous n’avez rien fait contre cette famille ? Ça fait un an qu’on vous prévient !» L’élu rétorque : «J’ai eu à faire face à une situation extraordinaire et subite qui a découlé de ce contrôle routier et de sa fin tragique. Cela n’a rien à voir avec des histoires passées. Ce qui s’est passé ce week-end aurait pu se passer dans n’importe quelle banlieue.» Quand le ministre arrive enfin, les esprits s’échauffent. Certains, comme ce commerçant, propriétaire d’un magasin caillassé, l’interpellent : «Qu’est-ce qui peut être fait pour les gens du voyage ? Ça devient infernal !» Après avoir rassuré la boulangère pillée – «On sera là pour vous protéger» – et visité le salon de coiffure, puis le lavomatic caillassé, le ministre a reçu les maires du district.
Hier soir, 300 gendarmes, ainsi que des renforts militaires et deux hélicoptères dotés de caméras géothermiques, devaient assurer la sécurité du village. Le maire, lui, affichait son espoir d’un retour au calme : «J’ose espérer, que, d’un côté comme de l’autre, les gens ne soient pas décidés à ce que cette situation perdure et qu’à la suite des obsèques les esprits seront apaisés.» Pour lui, ce n’est pas de la haine qui anime le village. «De l’incompréhension plutôt.» Luigi doit être inhumé aujourd’hui, dans une relative intimité. «Les obsèques, chez nous, c’est un moment de recueillement qui ne peut pas rimer avec de la violence», insiste le cousin germain.
Source : liberation.fr du 20 juillet 2010.
Les suites de Saint-Aignan : Le chauffeur condamné pour refus d’obtempérer
20 mois après les faits, le très sensible dossier de la mort de Luigi Duquenet qui avait déclenché une rude manifestation à Saint Aignan. En réaction, le gouvernement d’une politique répressive à l’égard des campements rroms à connu un nouvel épisode judiciaire le 13 mars dernier.
Miguel Duquenet, chauffeur de la voiture dans laquelle a été tué son cousin Luigi, lors d’un contrôle routier en juillet 2010 a finalement été condamné à 24 mois de prisons, pour refus d’obtempérer, soit à peine plus que le temps de la préventive. Le gendarme auteur du tire mortel avait quant à lui obtenu un non-lieu. L’affaire s’était déroulée lors des émeutes urbaines de Grenoble. Lors des semaines précédentes plusieurs gendarmes avaient été blessés lors de contrôles routiers.
Mort pour un soupçon de vol de 20 €
Ce contexte a sans doute joué un rôle dans la tournure dramatique d’une opération de police débutée sur une accusation de vol de 20 € porté contre Luigi Duquenet et l’un de ses amis. Dans un premier temps des gendarmes avaient tenté d’appréhender les deux hommes en état d’ébriété. L’un des militaires s’étant retrouvé pendant quelques mètres sur le capot de la voiture, une importante opération avait été lancée. 2 heures plus tard une nouvelle tentative d’interpellation sur la voiture conduite par Miguel Duquenet, non impliqué dans les faits précédents est tentée entrainant des tirs et la mort de Luigi Duquenet. Selon les comptes rendus d’audience, les débats ont porté sur la vitesse réduite de la voiture et l’interprétation de l’attitude du chauffeur qui aurait accéléré soit avant, soit après les coups de feu ayant mortellement atteint son passager. En accordant un non-lieu au gendarme, la justice avait estimé qu’il pouvait se considérer comme ayant été en état de légitime défense. De son côté la famille s’interroge sur la disproportion entre l’issue fatale et les faits reprochés. Luigi étant connu des gendarmes, il leur était possible de s’assurer de sa personne à un autre moment dans des conditions moins dangereuses pour tous que lors d’une poursuite nocturne.
Y a-t-il un avant et un après Saint-Aignan ?
La spectaculaire manifestation à Saint Aignan en présence d’équipe de télévisions, qui suivit ce drame, déclencha de la part du gouvernement des annonces de mesures répressives visant les campements de rroms et gens du voyage. Aujourd’hui encore l’impact réel de ces mesures qui ne faisaient que reprendre des pratiques courantes d’évacuations forcées et d’expulsions de ressortissants roumains et bulgares reste diversement apprécié. La plus part des évacuations et des expulsions se déroulant au rythme de procédures de justice lorsque les intéressés ont les moyens de déposer des recours, il est difficile d’évaluer si elles ont été plus nombreuses du fait d’une volonté politique ou suivant une logique automatique. A force d’être évacués depuis des années les familles trouvent des espaces de plus en plus précaires et de plus en plus en susceptibles de justifier une procédure. Il n’est pas certain que juillet 2010 ait marqué un tournant dans la vie quotidienne des intéressés autrement que par la focalisation des attentions. « Avant les médias parlaient des rroms surtout quand il y avait des incendies et des morts. Maintenant, ils s’intéressent plus au sujet », confie Saimir Mile, président de la Voix des Rroms. Paradoxalement, alors qu’a Saint Aignan, était en cause une famille de gens du voyage français dits sédentarisés, les principales polémiques se concentrent depuis sur les rroms migrants visibles car en situation de grande pauvreté. Estimés entre 15 et 25 000, ils ne représentent qu’une infime minorité par rapport aux gens du voyage qui sont entre 500 000 et 1,2 millions de personnes. L’estimation du nombre des voyageurs varie selon que l’on tient compte du statut administratif des titres de circulation qui ne concerne que les personnes circulant plus de 6 mois dans l’année ou de l’ensemble de ceux qui voyageant ou non se reconnaissent comme étant sintis, manouches, gitans, rroms, yéniches…
Rroms migrants : tsunami politique à l’échelle de l’Europe
Les violentes polémiques ayant à l’époque ont opposé le gouvernement français et la Commission européenne ont essentiellement porté sur le respect du droit de circulation entre les Etats pour les roms roumains et bulgares. Ceux-ci ne pratiquant pas de modes de vies itinérants s’inscrivent dans des mouvements d’émigration classiques dans des conditions aggravées pour les familles les plus en difficulté.
Ces batailles politiques ont dès octobre 2010 à la réunion de haut niveau de Strasbourg qui a abouti au renforcement des services de l’Union Européenne et du Conseil de l’Europe s’occupant des minorités roms et gens du voyage dans chacun des Etats membres. Cette réunion a débouchée sur un renforcement des principes de financements des actions en faveur des roms qui a partir du budget 2014 seront assujettis à la validation d’une stratégie nationale par les instances de la commission.
Stratégie nationale française :
Gens du voyage : réouverture d’anciens dossiers
Dès le mois d’août 2010, le comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale (CEDR) a pris la France dans sa ligne de mire et entendu les représentants des associations de gens du voyage Français. Le plan national de lutte contre le racisme et l’anti sémitisme rédigé en 2012 par l e gouvernement en réponse aux injonctions de CEDR http://www.depechestsiganes.fr/?p=2580, reprend une partie des demandes faites à cette occasion par les voyageurs. « Suppression du carnet de circulation, alignement du droit de vote sur le droit commun, achèvement du dispositif des aires d’accueil ». Anciennes ces revendications retenues par le gouvernement ne constituent qu’une partie des thèmes inlassablement demandés par les instances européennes de protection des droits de l’homme. Le statut de logement pour la résidence mobile et le droit de choisir librement sa commune de résidence reste des sujets sensibles. Ceux-ci n’ont pas été abordés dans les débats parlementaires traitant sans résultat de l’abolition des titres de circulation : http://www.depechestsiganes.fr/?p=1656 (amendement à la loi Warsman) http://www.depechestsiganes.fr/?p=1083 (proposition de loi Repentin sur le droit de vote) http://www.depechestsiganes.fr/?p=84 (proposition de loi sur l’abrogation de la loi de 69)
Ces thèmes ont été abordés par une mission d’information de l’assemblée nationale, présidée par Didier Quentin et par un rapport parlementaire rédigé par le sénateur Pierre Hérisson. Après avoir promis des révisions des lois de 69 et de 2000 dans le cadre de la présente législature des parlementaires PS et UMP ont reportés leurs projets à l’automne 2012.
L’assemblée nationale a diligentée
Source: depechestsiganes.fr du 18 mars 2012.