Le contrôle des ordres donnés est «un des points faibles» de la gendarmerie
«Donner des ordres, c’est bien, contrôler leur application, c’est mieux. Le contrôle est probablement un des points faibles» de la gendarmerie, affirme le général Philippe Mazy, adjoint au directeur des personnels militaires de la gendarmerie, jeudi 20 juin 2013 à Melun. À l’occasion du séminaire «Regards croisés sur la culture professionnelle des gendarmes et la culture professionnelle des policiers», il souligne que la gendarmerie a «perdu en précision de contrôle». Christian Loiseau, inspecteur général des services actifs de la police nationale, souligne lui aussi la nécessité d’améliorer le management au sein de la police nationale, tandis que Christian Mouhanna, directeur adjoint du Cesdip et Didier Perroudon, DDSP du Nord s’interrogent sur les différences et les convergences de valeurs des policiers et des gendarmes.
Le général Philippe Mazy affirme que les gendarmes «contrôlent moins bien que [leurs] prédécesseurs, parce que le temps s’est accéléré. Il y a une confusion des grades qui s’est installée entre les commandants de la communauté de brigade, qui est souvent du grade de capitaine et le premier adjoint du commandant de compagnie qui est du même grade et entre capitaines». Lors d’une table-ronde consacrée au «rapport à la hiérarchie», l’adjoint au directeur des personnels militaires de la gendarmerie estime que le contrôle «n’a plus rien à voir avec celui d’autrefois, entre le commandant et l’adjudant. Il y a eu une perte en précision de contrôle». Il souligne donc que «la gendarmerie doit faire des progrès» dans ce domaine.
«LA QUALITÉ DES RELATIONS HIÉRARCHIQUES MÉRITE D’ÊTRE AMÉLIORÉE»
«Notre direction générale a fait du management au sein de la police un des chantiers des prochaines années et il est vrai que la qualité des relations hiérarchiques mérite sans doute d’être améliorée», indique pour sa part Christian Loiseau, inspecteur général des services actifs de la police nationale. Il constate que «quelques signaux d’alarme se sont allumés ces derniers temps dont certains ont eu un écho médiatique dommageable pour l’institution, qu’il s’agisse de suicides ou d’affaires disciplinaires mettant en relief une faiblesse du contrôle interne». Il souligne en outre que «la fixation ces dernières années d’objectifs opérationnels ambitieux […] a pu empêcher quelques chefs de service de porter une attention suffisante à l’ambiance de travail».
Il cite notamment l’enquête sur le management et le bien-être au travail, menée par le CRM (Centre de recherche en management, rattaché à l’université Toulouse-I Capitole et au CNRS), dont les conclusions ont été rendues publiques en février 2013. «Le policier a le sentiment d’être l’objet de la suspicion du corps social, il vit de plus en plus mal les mises en cause incessantes, un sentiment de persécution se développe et peut entraîner un repli sur soi», détaille-t-il. Dans ce contexte, «la hiérarchie n’est plus considérée comme un soutien, mais comme une menace parfois, avec plusieurs facteurs aggravants: un sous-dimensionnement de la chaîne hiérarchique dû à la déflation des corps de commissaires et des officiers, et une moindre implication de la hiérarchie intermédiaire dans les activités de contrôle », précise Christian Loiseau.
«CONVERGENCE» DES DEUX INSTITUTIONS
Lors d’une table-ronde consacrée aux «valeurs vécues et représentations des policiers et des gendarmes», Christian Mouhanna, chercheur au CNRS, directeur adjoint du Cesdip, affirme que «l’on va vers une plus grande convergence des deux institutions». Il souligne que «le modèle de la gendarmerie est largement remis en cause» et cite notamment «a façon de vivre des militaires de la gendarmerie qui n’acceptent plus d’être malléables et corvéables à merci». Il pointe «une plus grande distanciation [des gendarmes] avec la population» et note que «la gendarmerie est beaucoup moins présente qu’avant dans les campagnes». Au sein de la police nationale, «la réforme des corps et carrières a entraîné une certaine militarisation de cette institution», estime-t-il.
Christian Mouhanna souligne cependant qu’il «existe encore de grosses différences entre la police et la gendarmerie et surtout, en termes de valeurs, il y a de grandes différences au sein même de la police et de la gendarmerie». Et de s’interroger: «Comment comparer les valeurs de services de police judiciaire, de sécurité publique et de renseignement? Les valeurs primordiales ne sont pas du tout les mêmes». Il pointe donc des «conflits de valeurs entre quelqu’un qui est à l’accueil dans un commissariat ou une gendarmerie, quelqu’un qui est en patrouille, quelqu’un qui est OPJ, mais aussi entre la hiérarchie et la base».
LA CULTURE POLICIÈRE TIENT DANS UNE EXPRESSION: «GARDIEN DE LA PAIX»
Pour Didier Perroudon, directeur départemental de la sécurité publique du Nord, «les policiers n’ont pas une culture policière. Il sont avant tout policiers de police judiciaire, de la Bac, CRS… La culture des policiers est plus morcellée que celle des gendarmes, elle est davantage liée à leur mission». Le DDSP indique que «l’urgence et la masse forgent la culture» des policiers de sécurité publique. Il précise ainsi que, dans le département du Nord, «2.000 appels de police secours sont reçus en 24 heures», ce qui marque l’urgence de l’action des policiers, qui font partie d’une «police des villes».
Il souligne que «la ville concentre les institutions, les populations, les zones de prédation comme les centres commerciaux, les mouvements d’ordre public. Cela ne favorise pas une régulation naturelle des relations entre les gens, et amène la police à intervenir pour des différends qui n’existent pas à la campagne. La ville est plus qu’ailleurs le lieu des violences, des bande, de la contestation permanente», énumère-t-il. Ce constat «induit une culture, un rapport à l’autre différent» de celui des gendarmes.
«J’aimais mieux l’appellation que nous avions il y a quelques années: les polices urbaines. La sécurité publique, c’est la police des zones urbaines. C’est quelque chose qui forge la culture de notre police», affirme par ailleurs Didier Perroudon. «La culture policière tient dans une expression, ‘gardien de la paix’, et j’en veux à certains technocrates d’avoir essayé de la faire disparaître», ajoute-t-il.
Source: AEF Sécurité Globale Dépêche n° 9268 – Paris, mardi 25 juin 2013.