Viols : savoir accueillir les victimes
Policiers, gendarmes, psychiatres, procureur, personnel de santé se sont interrogés hier, à la fac de Metz, sur les bonnes pratiques lors du recueil de la parole des victimes de viols.
Hélène Villeneuve, psychiatre ; Pierre-Yves Couilleau, procureur ; Laurence Wiezcny, psychologue et deux représentants de la gendarmerie nationale. Photo Anthony PICORÉ
Viol collectif et conjugal. Enfants forcés par le père ou un oncle. Femmes paumées, renfermées sur elles-mêmes et incapables de porter plainte pendant dix ans. « Ces cas-là, c’est notre quotidien », tranche le procureur de la République de Metz, Pierre-Yves Couilleau. Il était hier un des invités de la table-ronde « accueil et prise en charge d’une victime » du colloque « Violences sexuelles, comprendre pour mieux accompagner », organisé à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes par la Direction départementale à la cohésion sociale.
Écouter, savoir préserver la parole des femmes et des filles victimes relève souvent de la quadrature du cercle. « Elles sont bouleversées. Or, nous, notre travail, c’est bien d’établir des faits, alors qu’ils ont eu lieu à huis clos, dans une chambre ou dans une voiture. Sans témoin », observe le capitaine Pascal Thirion, de la brigade des mineurs et des mœurs de l’hôtel de police. « La priorité est de rassurer la personne, de la conforter dans sa démarche, d’en discuter avec elle dans une salle à l’écart, dédiée à cela », rapporte une adjudante de la brigade de gendarmerie de Vigy, spécialement formée. « Et pourtant, il faut qu’elles portent plainte au plus vite après l’agression car, pour nous, justice, la course contre la montre consiste à préserver les indices, les éventuelles traces, faire établir un certificat médical probant, bref toutes les mesures conservatoires qui seront utiles pour les poursuites », note le procureur. Chaque cas est pourtant « particulier », analyse Hélène Villeneuve, psychiatre à Jury, qui dispose d’un centre d’accueil de crise. « Pas plus tard que la semaine dernière, j’avais en face de moi une femme qui venait de faire une tentative de suicide après un viol. Nous l’avons accompagnée pas à pas jusqu’au dépôt de plainte, de l’Unité médico-judiciaire à l’hôtel de police. Mais toutes les victimes ne sont pas prêtes à déposer plainte dans ce contexte de souffrances aiguës ».
« Elle est précoce la petite »
Face aux accusations des femmes, il y a les dénégations systématiques des maris et pères violents. « Nous sommes dans un domaine très sensible où l’on peut se tromper. Ce qui fut mon cas, une fois, je le reconnais, quand j’ai fait incarcérer un père, qui n’était, au final, pas coupable. Généralement, ils n’ont jamais rien fait. Voire, il s’agit d’un complot de la victime sur le mode « Vous savez, elle est précoce, la petite » », relate Pierre-Yves Couilleau.
La révélation tardive des agressions accentue les difficultés. « Je me souviens de cette dame, violée par son prof de judo, ami de la famille et dont le traumatisme a ressurgi au moment d’avoir son premier enfant », raconte Laurence Wiezcny, psychologue du Centre d’information du droit des femmes et des familles de Moselle-Est (Cidff), « et pour elle, l’objectif n’était pas la condamnation mais elle avait besoin de le dire à ses propres parents et à son agresseur, à qui elle a écrit ». Pierre-Yves Couilleau est convaincu, lui, par expérience, que la justice ne permet pas de réparer le crime.
« C’est au contraire une débauche de souffrances. Il faut qu’une fille soit prête à supporter les insultes de sa propre mère, qui s’est tue depuis toujours. »
Alain MORVAN.