“Louvois, une succession de responsabilités”
Alors que le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, devrait annoncer, le 3 décembre, l’abandon du système de paiement de la solde des militaires Louvois, la députée PS Geneviève Gosselin-Fleury (photo), auteure d’un rapport parlementaire sur le sujet, explique le fiasco du logiciel par l’absence d’un chef de projet unique et par la pression de la Révision générale des politiques publiques (RGPP).
Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, devrait annoncer début décembre l’abandon du système Louvois de paiement des soldes. Cette suppression est-elle nécessaire ?
C’est une déduction que vous faites, puisque le ministre n’a rien confirmé. Il fera une annonce le 3 décembre à Vars [Hautes-Alpes, ndlr], là même où il a découvert voilà un an l’ampleur de la catastrophe. Ce qui est certain, c’est que l’écosystème Louvois dysfonctionne et continue de dysfonctionner. Des corrections devront donc être apportées.
Est-ce l’ensemble du système Louvois qui a failli ?
Le système Louvois est très complexe. Il comprend des logiciels, des systèmes d’information des ressources humaines – les SIRH – et un calculateur. Dans le cadre de notre rapport parlementaire, nous avions constaté que le problème venait principalement du calculateur de la solde. Quand on corrige certains dysfonctionnements, d’autres interviennent ailleurs et ce qui fonctionne un mois ne marche plus du tout le mois suivant. Le calculateur pose un problème de fiabilité et de stabilité.
Comment le remplacement de Louvois pourrait-il s’opérer ?
Si la décision de changer le système était prise, il est bien évident qu’il faudrait éviter toute précipitation et tout basculement trop rapide. Dans un premier temps, il n’y aurait pas d’autre solution que de maintenir, de réparer et de corriger.
Combien de temps serait-il nécessaire pour “sortir” de Louvois ?
Quelle que soit la décision qui sera prise, il faudra éviter de reproduire les approximations qui ont prévalu au lancement de Louvois. Il sera donc nécessaire de multiplier les tests, notamment en faisant la solde en double pendant un temps suffisamment long pour confirmer que tout fonctionne bien. Louvois a seulement été testé sur le service de santé des armées. On n’a jamais expérimenté le basculement d’une année sur l’autre ou pendant une période de mutation. Si seul le calculateur était en cause et non les interfaces en amont et en aval, alors la conception du nouveau système prendrait moins de temps.
On a du mal à déterminer les responsabilités des uns et des autres. Qui a provoqué le fiasco Louvois ?
C’est une succession de responsabilités, il n’y a pas un seul responsable. Le système a été mis en place sans chef de projet. Plusieurs personnes décidaient : les services d’information, le secrétariat général, le directeur des ressources humaines… Il faut rappeler le contexte de la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Tous les responsables qui étaient experts de la solde, notamment dans l’armée de terre, sont partis dans le cadre de la RGPP ou de la réforme du ministère. Les experts n’étaient donc plus là pour corriger le tir. Par ailleurs, le ministère a voulu régler le problème en interne en s’appuyant sur la Dirisi (la direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la défense) sans recourir à des prestataires extérieurs.
Louvois serait donc la conséquence d’un pilotage défaillant ?
Quand la question s’est posée de basculer vers Louvois, le DRH de l’époque, le commissaire général aux armées, le secrétaire général de l’administration (SGA) et le chef d’état major ont fait confiance à ceux qui affirmaient que cela fonctionnerait bien. Et au final c’est le ministre [Hervé Morin, ndlr] qui a validé. Quand il a été auditionné, le SGA a indiqué être responsable mais pas coupable. Il n’était pas le seul en cause…
Louvois a provoqué des situations dramatiques pour certaines familles. Ces situations ont-elles été rétablies ?
Les dossiers de mal-perçus ont été pour la plupart traités grâce à un travail formidable des centres de ressources humaines. Je pense à celui de Toulon, pour la Marine : les personnels disposent de trois jours pour appuyer sur le bouton de validation de la solde. Ils se relaient jour et nuit pour détecter toutes les erreurs possibles et réaliser les opérations de contournement nécessaires, c’est-à-dire une écriture permettant de disposer des bons montants. Un travail de titan. Sur les trop-perçus, les situations se règlent progressivement.
Les administrations sont-elles à l’abri d’un nouveau Louvois ?
Je pense que tous ont retenu les leçons de Louvois. Les prochains systèmes informatiques seront testés et retestés. Le ministère de la Défense prépare un système d’information des ressources humaines unique. Aujourd’hui, chaque armée dispose de son propre système. Ce système unique devrait s’appeler “Source”. Le ministère prendra le temps de l’expérimenter…
Propos recueillis par Sylvain Henry
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