Corps retrouvés, disparus anonymes, traces de morsures : cette dentiste se consacre à la résolution d’enquêtes
Mardi 2 avril 2024 à 12:26
Identifier des corps grâce à leur dentition : c’est le métier de Lise Malfroy Camine, dentiste médico-légale. Grâce à son expertise, des enquêtes et des “cold cases” sont résolus, et les familles peuvent retrouver la trace de leur proche et faire enfin leur deuil. France Bleu l’a rencontrée.
Parmi les moyens utilisés pour identifier les ossements du petit Émile, retrouvés dimanche près du Hameau du Vernet, les dents ont été déterminantes : elles ont été envoyées à l’IRCGN, l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, à Pontoise, dans le Val-d’Oise. Elles ont permis d’identifier le corps du petit garçon disparu en juillet dernier dans le hameau du petit village des Alpes-de-Haute-Provence. Le travail des dentistes médico-légaux qui exercent à l’IRCGN est donc déterminant.
Parmi eux, Lise Malfroy Camine, dont on ne saura pas si elle a travaillé sur cette affaire, encore en cours, donc confidentielle. Cette dentiste, qui a exercé en cabinet pendant 16 ans avant de devenir experte judiciaire puis dentiste médico-légale à plein temps, travaille au quotidien sur l’identification de corps ou d’ossements grâce aux dents.
Lise Malfroy Camine, 41 ans, a décidé de s’impliquer dans des enquêtes pour “tenter de faire le lien entre le nombre de corps enterrés sous X », et « le nombre de personnes disparues recherchées, parfois pendant des années, par leurs familles ». Même avec des dossiers dentaires vieux de 10, 20 ou 30 ans, elle peut identifier une personne sur la base d’une simple radio. Un travail qui permet aux familles de disparus d’enfin faire leur deuil. Désormais réserviste de la gendarmerie, formée à la criminalistique, elle travaille depuis trois ans exclusivement au laboratoire de l’IRCGN.
Les disparitions, un cataclysme pour les familles
« Cette problématique des disparitions, elle est cataclysmique pour les familles », confie-t-elle. « Et effectivement, le fait de pouvoir donner une réponse, même si c’est une réponse qui est extrêmement triste, leur permet de commencer leur processus de deuil », résume-t-elle.
Le quotidien de Lise Malfroy Camine consiste surtout à comparer les empreintes dentaires de corps retrouvés, comme les corps non identifiés qui finissent par être enterrés sous X, et celles de personnes toujours disparues, à partir de données datant d’avant leur mort. Les enquêteurs demandent ainsi aux familles, aux dentistes, ou aux soignants tous les documents qu’ils pourraient détenir : radios, empreintes dentaires ou examens, même très anciens.
Les dents suffisent à identifier un corps
Car comme l’ADN ou les empreintes digitales, chaque dentition est unique. « C’est un moyen d’identification primaire, c’est-à-dire qu’il suffit à lui seul pour relier un corps à une identité de façon formelle », explique la dentiste.
Et puis « la dent est un matériau extrêmement résistant », poursuit Lise Malfroy Camine : « C’est le tissu le plus dur du corps humain, le plus minéralisé. Il va résister au feu, il va résister au temps, être stable dans la durée. » Des dents peuvent par exemple être retrouvées sur le corps d’une victime détruit dans un incendie. « Là où il n’y aura plus d’empreintes digitales, plus d’ADN, ou alors des profils ADN très partiels et compliqués à interpréter, il va nous rester les dents. »
Un portrait-robot à partir d’une dent
En plus de permettre d’identifier un profil par la position des dents et la structure de la mâchoire, la dent est également un véritable sanctuaire pour l’ADN : « elle préserve l’ADN de façon remarquable », explique la dentiste. « C’est un milieu quasiment fermé, mais très vascularisé du vivant de l’individu ». Le sang passé dans la dent est ainsi préservé par la structure de l’organe. Un précieux ADN qui peut permettre de réaliser un portrait-robot génétique de la personne : estimation d’âge, du sexe, couleur des yeux, des cheveux… des informations qui peuvent aboutir à un profil physique très ressemblant. « À partir de ces éléments, l’enquêteur va réduire le champ de ses recherches aux profils des personnes disparues qui correspondent », poursuit Lise Malfroy Camine. « Et parmi ces personnes disparues, l’enquêteur va trouver un, deux ou trois profils qui vont coïncider. »
Grâce à ses analyses odontologiques, la dentiste a contribué à résoudre des « cold cases » impliquant des corps retrouvés 20, 30 ou même 40 ans après leur disparition. Elle ne souhaite pas les citer en détail, certaines affaires étant toujours en cours. « Le cas classique du squelette découvert en pleine nature », élude-t-elle.
En tout cas, à partir du moment où un squelette est formellement identifié, « on peut le rendre à la famille et notamment aux descendants. C’est la partie qui est très satisfaisante à votre niveau », confie l’experte. « Le fait de savoir que les enfants de cette personne ont pu avoir des réponses sur la disparition de leur père ou de leur mère. »
Les traces de morsures pour identifier des suspects
Dans son laboratoire, Lise Malfroy Camine participe aussi à l’identification des auteurs de crimes, en analysant les traces de morsures retrouvées sur les victimes : après avoir établi avec certitude que la marque de la morsure est humaine, l’experte peut déterminer si elle est plutôt féminine ou masculine.
Ensuite, « l’analyse permet de dire si la trace émane d’un suspect identifié, par comparaison, ou alors de pouvoir déterminer, entre deux suspects, lequel est l’auteur de la morsure », en complément des analyses ADN. Là encore, le travail de l’experte a permis d’identifier des suspects dans plusieurs affaires, mais là non plus, elle ne les citera pas : « Je ne peux pas en parler, car c’est encore du ressort des enquêteurs », tranche-t-elle.
« Éviter les cold cases de demain »
Pour éviter que les familles de victimes ne restent sans réponse pendant des décennies, la dentiste plaide pour que dès la déclaration de disparition d’une personne, sa famille transmette ses données et examens dentaires aux enquêteurs. « Ce n’est pas encore systématique », regrette-t-elle, « et pourtant, ça nous permettrait d’éviter les cold cases de demain . » Car dans le cas où un corps est retrouvé plusieurs décennies après sa disparition, les dentistes qui détenaient des examens peuvent être partis en retraite, décédés, ou leurs archives avoir été supprimées . Alors que, même anciennes, ces données ont une valeur inestimable pour l’identification dentaire », rappelle la dentiste. » Il faut absolument que ces éléments soient relevés systématiquement et immédiatement, dès la déclaration de disparition par les enquêteurs », insiste-t-elle, « au même titre que l’ADN est relevé auprès des familles ».