Nahel tué à Nanterre : Comment les forces de l’ordre apprennent-elles à gérer les refus d’obtempérer ?
ENQUETE Policiers et gendarmes apprennent le cadre légal entourant l’usage des armes à feu en école, où ils participent à des mises en situation
Publié le 28/06/23 à 19h25 — Mis à jour le 28/06/23 à 22h05
- Nahel, un automobiliste de 17 ans, a été tué mardi matin à Nanterre (Hauts-de-Seine) par un policier qui a tiré avec son arme, après un refus d’obtempérer du mineur. La victime est décédée malgré l’intervention du Samu, qui lui a prodigué un massage cardiaque sur place.
- La diffusion d’une vidéo filmée par un témoin a obligé les membres du gouvernement à sortir de leur prudente réserve habituelle sur ce type d’affaires. La Première ministre, Elisabeth Borne, a estimé que ces « images choquantes » montraient « une intervention qui n’est manifestement pas conforme aux règles d’engagement de nos forces de l’ordre ».
- L’article 435-1 alinéa 4 du code de la sécurité intérieure, instauré en 2017, autorise les forces de l’ordre à utiliser leur arme pour stopper l’auteur d’un refus d’obtempérer dans certaines conditions. Policiers et gendarmes apprennent le cadre légal en école, où ils participent à des mises en situation.
La vidéo, d’une durée d’une quarantaine de secondes, a fait le tour des réseaux sociaux, et l’affaire a pris une ampleur nationale. Elle montre deux policiers tenant en joue, mardi matin, le conducteur d’une Mercedes AMG jaune qui a commis plusieurs infractions au Code de la route dans Nanterre (Hauts-de-Seine). Soudain, l’un d’eux ouvre le feu à bout portant sur l’automobiliste, qui vient de redémarrer précipitamment. La voiture finit sa course quelques dizaines de mètres plus loin, encastrée dans un poteau. Malgré l’intervention du Samu, la victime, Nahel, 17 ans, décède peu après.
Une enquête a été ouverte pour refus d’obtempérer et tentative d’homicide volontaire sur personne dépositaire de l’autorité publique. Une autre enquête, ouverte pour homicide volontaire par personne dépositaire de l’autorité publique, a été confiée à l’IGPN, la police des polices. Le policier de 38 ans soupçonné du tir mortel sur l’adolescent a été placé en garde à vue pour homicide volontaire.
25.822 refus d’obtempérer en 2022
Filmée par un témoin, la vidéo semble de prime abord accablante pour les policiers. Et sa large diffusion a obligé les membres du gouvernement à sortir de leur prudente réserve habituelle sur ce type d’affaires, suscitant au passage l’ire des syndicats de police. « Nous avons tous vu ces images extrêmement choquantes », a déclaré le ministre de l’Intérieur. Des sanctions administratives pourront être prises à l’encontre du policier auteur du tir, « s’il est avéré, comme le montrent manifestement les images, que ce geste n’est pas absolument pas conforme aux instructions et à la loi de la République », a ajouté Gérald Darmanin.
Le président a pour sa part dénoncé un drame « inexplicable » et « inexcusable ». Et la Première ministre estime que ces « images choquantes » montrent « une intervention qui n’est manifestement pas conforme aux règles d’engagement de nos forces de l’ordre ».
En 2022, policiers et gendarmes ont été confrontés à des refus d’obtempérer toutes les 23 minutes, et nombre d’entre eux ont été blessés au cours de l’intervention. Il y a eu l’an passé 25.822 situations de ce type, contre 27.700 en 2021. Toujours en 2022, 13 personnes sont décédées après avoir tenté de se soustraire à des contrôles routiers. C’est un record. Cinq policiers ont été mis en examen dans ces dossiers, les autres ayant été libérés sans poursuite à ce stade.
En janvier dernier, les députés LFI ont plaidé pour la création d’une commission d’enquête parlementaire sur « les conditions d’intervention » de la police. Car il faut, selon ces parlementaires, « revoir » les techniques d’intervention des forces de l’ordre. Et, pour cela, évaluer la loi de février 2017, laquelle a modifié les règles d’usage de leur arme de service par les policiers.
« Il n’y a pas de désinhibition des tirs de policiers »
Avant, le policier était soumis, comme tout citoyen, au régime de la légitime défense défini par le Code pénal : il ne pouvait riposter que de façon « simultanée et proportionnée » à une attaque « actuelle et réelle » contre lui ou autrui. Depuis, l’article 435-1 alinéa 4 du code de la sécurité intérieure lui permet de tirer sur les occupants d’un véhicule « susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ». Soit parce qu’il dispose d’informations sur leur dangerosité avant de tirer, soit parce que des personnes se trouvent dans la direction de fuite du véhicule en cause.
Pour autant, « le nombre d’usages de l’arme par les policiers est en baisse sur les cinq dernières années, contrairement à ce qui est dit dans les médias », affirme à 20 Minutes la commissaire Sonia Fibleuil, porte-parole de la police nationale. « Il n’y a pas du tout de désinhibition des tirs de policiers ». Alors que le nombre de refus d’obtempérer a augmenté de près de 50 % en dix ans, les policiers sont formés, à leur entrée en école, à affronter ce type de situation complexe. « Ils ont des cours théoriques sur les délits routiers, et notamment sur les refus d’obtempérer, et d’autres sur l’usage de l’arme », nous explique Sonia Fibleuil.
Les apprentis agents participent également à des simulations de contrôle routier, « pour apprendre à se positionner autour d’un véhicule ». Ils apprennent aussi à se servir de leur arme en simulant une situation où « un véhicule accepte de s’arrêter et un autre refuse ». Les policiers reçoivent ensuite régulièrement, au cours de leur carrière, des piqûres de rappel dans le cadre de la formation continue.
Des « mises en situation » en école de gendarmerie
Les élèves gendarmes, dont la compétence s’étend sur 85 % du réseau routier, reçoivent quant à eux « une formation à l’usage de l’arme et une formation sur l’intervention professionnelle », nous indique la porte-parole de la gendarmerie, la lieutenante colonelle Nassima Djebli. Ils participent à « des mises en situation » et apprennent à l’école « le cadre légal, qui est très strict ». Puis, dans le cadre de la formation continue, « les gendarmes ont des rappels par des formateurs, qui interviennent au sein des unités. Ils doivent valider chaque année des modules juridiques », poursuit-elle.
Les apprentis gendarmes apprennent aussi que l’usage de l’arme doit être « nécessaire et proportionnel ». Avant de tenter d’interpeller l’auteur d’un refus d’obtempérer, les militaires, qui doivent « faire preuve de sang-froid », doivent se poser trois questions. « Est-ce que je suis en sécurité ? Est-ce que mon action est susceptible de nuire à la sécurité de mon collègue ou d’un passant ? Et est-ce qu’il y a une notion d’urgence ? » « Il faut avoir ça en tête avant de s’orienter vers une interception immédiate ou une interception différée », insiste la lieutenante colonelle Djebli.