Affaire Flactif : comment les experts scientifiques ont-ils travaillé pour résoudre l’enquête ?
PODCAST – Le 12 avril 2003, la famille Flactif est portée disparue. Rapidement, les experts scientifiques arrivent dans leur chalet du Grand-Bornand (Haute-Savoie) pour l’inspecter et tenter de trouver les raisons de cette disparition soudaine.
Jean-Alphonse Richard & Marie Zafimehy
publié le 10/04/2022 à 10:30
Il s’agit d’un « cas d’école ». L’affaire Flactif, du nom de cette famille disparue en avril 2003, a révolutionné le travail des experts scientifiques sur les scènes de crime. « C’est la première fois qu’a été mis en place la coordination des opérations criminalistiques« , explique le Général François Daoust dans Les Voix du crime. À l’époque, ce gendarme était à la tête de l’Institut de Recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) : c’est lui qui fût chargé de la mise en place de cette organisation inédite, qu’il enseigne aujourd’hui à ses élèves.
Appelés quelques jours après la disparition des cinq membres de la famille, le général François Daoust et ses équipes arrivent sur place dans leur chalet du Grand-Bornand (Haute-Savoie). À première vue, celui-ci est impeccablement propre et rangé. Un ordre surprenant, compte tenu de la composition de la famille : un couple – Graziella et Xavier Flactif – et leurs trois enfants en bas-âge. « On sait très bien que lorsqu’on a des enfants qui sont assez petits, nous vivons chez nos enfants et le désordre est permanent », explique l’officier de gendarmerie au micro de Jean-Alphonse Richard.
Dès lors, l’objectif est d’examiner le chalet jusque dans les moindres recoins en répondant à une question : « Comment mettre une équipe pluridisciplinaire sur le terrain de façon à coordonner les actes d’experts avec les actes des généralistes du prélèvement ? » résume François Daoust. La réponse est simple : nommer un coordonnateur chargé de piloter le travail de chacun des experts qu’ils soient généticiens, biologistes, ou encore anthropologues.
Laisser la scène de crime intacte
Avant toute chose, l’équipe de l’IRCGN évalue la situation. « On se met légèrement en retrait, en partie à l’extérieur, décrit le général François Daoust. Puis à un moment on sacrifie la première pièce dans laquelle on va faire des prélèvements pour en faire le lieu de convergence des équipes qui vont être réparties entre les différents étages » – au nombre de trois.
Ceci permet d’analyser une scène de crime intacte, de manière précise. Les experts utilisent par exemple le Bluestar, cette lumière bleue qui permet de voir des traces de sang invisibles à l’œil nu. Celles-ci sont de différents types. « Il y a celles de nettoyage qui ont été étalées et dont on ne peut pas dire l’origine de la blessure qui a pu les causer, se souvient le général Daoust. Mais il y en a d’autres – que ce soit sur un coin de table, que ce soit sur un coin de mur, que ça soit près des lits – qui sont caractéristiques, pour certaines, de coups avec une arme contondante et d’autres qui sont de vaporisations microscopiques dues à une vélocité, un projectile. » Là, il n’y a aucun doute : il y a eu agression.
Prélever et tracer
Répartis sur les trois étages, les experts prélèvent tout ce qui peut être intéressant. Là aussi, l’organisation est méthodique. « Nous avons ce que nous appelons une ‘main propre’ et une ‘main sale’, explique le général François Daoust, c’est-à-dire la ‘main sale’, celle qui va faire les prélèvements et qui, au fur et à mesure, va changer de gants, changera de pinces pour éviter qu’il y ait des contaminations ; et la ‘main propre’ qui va réaliser les scellés qui vont être enregistrés les uns derrière les autres. »
Tout cela permet de tracer les différents prélèvements… parmi lesquels va se détacher un élément particulier. « On retrouve à différents endroits et notamment à proximité des lits, comme des traces de porcelaine, des petits morceaux, comme si des verres tout fins avaient été cassés, des éclats », se remémore François Daoust. L’expert en odontologie est formel : il s’agit d’émail de dents. Plus tard, les analyses du laboratoire confirmeront ce résultat en allant même plus loin, il s’agit de dents de lait. « Donc, ce sont les dents des enfants, insiste François Daoust. Et là, le scénario devient de plus en plus macabre ».
Prioriser les scellés
Après l’inspection du chalet, c’est au tour du véhicule des Flactif, découvert non-loin de l’aéroport de Genève, d’être inspecté. La même organisation se met en place : on y retrouve des traces de sang, l’ADN des cinq membres de la famille mais aussi, comme dans le chalet, celui d’une sixième personne – le coupable ?
Tous les prélèvements – 1.000 au total – sont envoyés au laboratoire. Pour ne pas créer d’embouteillage, ces scellés sont classés par ordre de priorité. « On va commencer par analyser vingt scellés parce que là où ils ont été trouvés, il y a probablement le plus de chances de trouver des traces déterminantes et indicielle que pour d’autres, explique le général Daoust, et on y allait comme ça par vague de vingt, les uns après les autres. »
Cette nouvelle méthode permet des « réponses beaucoup plus concrètes » que l’ancienne, mais aussi plus rapide : au lieu d’un an et demi d’attente parce que tout est envoyé en même temps, les résultats sont obtenus en seulement quelques semaines et permettent d’identifier un suspect, David Hotyat, le voisin de la famille. Confondu par son ADN, ce dernier avoue rapidement avoir tué les Flactif et avoir brûlé leurs corps dont les morceaux sont retrouvés en pleine montagne par les experts scientifiques.
Par la suite, le suspect change plusieurs fois de versions. Celle qu’il présente au procès est sensiblement différente : il raconte que deux hommes sont à l’origine de la mort des Flactif, et qu’ils l’ont contraint à se débarrasser des corps. Face aux preuves accablantes, David Hotyat est tout de même mis en cause avec sa femme et un couple d’amis et condamné à 30 ans de prison en 2006.