GENDARMERIE – A la chasse aux siphonneurs de camions.
Les gendarmes ont déclaré la guerre aux voleurs de carburant, qui peuvent vider plusieurs réservoirs de camions en une nuit.
«Cet horaire-là, c’est le pire : on ne dort pas vraiment avant, et après on n’a pas vraiment le temps de se rendormir… » Une heure du matin : une pluie froide tombe sur la Côte-d’Or. Dans les locaux du peloton autoroutier de Beaune, installé au bord des bandes d’asphalte qui relient le nord et le sud de l’Europe, le commandant Westrelin, « patron » de l’escadron départemental de sécurité routière, le capitaine Commun, qui commande le peloton d’autoroute, le maréchal-des-logis-chef Tessereau, le gendarme Bochard et la gendarme adjointe volontaire Teuruarii testent leurs torches, vérifient leurs équipements.
Dans quelques minutes va débuter une opération d’un genre un peu spécial, qui durera jusqu’à 4 heures du matin : la chasse aux siphonneurs.
« C’est devenu un véritable fléau sur les autoroutes, et le phénomène s’amplifie avec le renchérissement du prix du gas-oil », explique le commandant Westrelin : « Sur les aires de stationnement, les réservoirs de camions sont siphonnés en quelques minutes. Et un réservoir de poids lourd, ça peut représenter jusqu’à 600 litres de gas-oil ! Il n’est pas une semaine sans que nous recevions de plaintes de routiers pour des vols de carburant. »
Un véhicule banalisé
Ce n’est pas par hasard que les gendarmes partent à la chasse aux siphonneurs entre une heure et quatre heures du matin : « C’est parce que ce sont leurs horaires. Les aires autoroutières se remplissent de poids lourds entre 20 heures et minuit, et se vident entre 4 et 8 heures du matin. C’est quand les routiers dorment que les voleurs agissent. »
L’opération mobilise deux véhicules : l’un est banalisé, et « planquera » sur les aires de stationnement, l’autre est sérigraphié, et ne sera jamais loin, prêt à intervenir en renfort ou en cas de fuite. Les gendarmes de cette seconde voiture procéderont également au contrôle systématique de toutes les camionnettes blanches immatriculées dans des pays de l’Est : des voleurs de fuel utilisant ce type de véhicule ont été signalés ces dernières 48 heures sur les autoroutes françaises.
Une heure trente : le vent est glacial sur l’aire de Beaune-Tailly, l’une des plus grandes d’Europe, qui peut accueillir plus de 200 poids lourds certaines nuits. La voiture banalisée se glisse tous feux éteints entre les camions, puis les gendarmes vont se positionner un peu en surplomb du plus grand parking, derrière un bosquet. L’attente est longue. Rien ne bouge. La nuit des parkings d’autoroute est extrêmement bruyante : outre le passage incessant des véhicules sur les voies de circulation, les moteurs des camions frigorifiques ronflent sans discontinuer. « Inutile de compter entendre quoi que ce soit », explique le capitaine : « Les mieux équipés des voleurs de fuel disposent de petites pompes électriques beaucoup moins bruyantes que les moteurs des camions frigo. Ils forcent les réservoirs en quelques secondes, et le transvasement du carburant ne dure que quelques minutes. Pas de traces, pas d’indices. Le seul moyen de les attraper est de réussir un flagrant délit. »
Passage discret, à pied, entre les camions, inspection des réservoirs à la lampe torche, nouvelle « planque », cette fois sur l’aire de Merceuil, juste en face. Les parkings, ne sont qu’aux deux tiers pleins…
Un routier stoppe à la hauteur de la voiture sérigraphiée pour informer les gendarmes : « Il y a trois types dans une voiture blanche, qui ont l’air de rôder près des stationnements. C’est vraiment louche. Moi je vais sur une autre aire ! » Le commandant Westrelin le rassure : « Ce sont nos collègues ! Vous n’avez pas vu les uniformes ? Merci en tout cas, on ne sait jamais. Et n’hésitez pas à nous prévenir si vous voyez quelque chose de suspect… »
Ainsi se poursuit la nuit froide, d’aire en aire, de périodes d’observation silencieuse et discrète en rencontres brèves.
Alors qu’en route pour rejoindre sur l’A36 la station de Brognon, où le patrouilleur a signalé de nombreux camions, la voiture banalisée s’apprête à effectuer un dépassement, une camionnette fait un soudain écart. Le conducteur roule quelque temps à gauche, puis se rabat. Gyrophare, deux tons : le fourgon est prié de suivre les gendarmes jusqu’à l’aire de Bois Guillerot.
« Je m’étais endormi… » explique, bien embêté, le conducteur, un ressortissant roumain âgé d’une trentaine d’années. L’homme roule depuis l’Espagne, et comptait se rendre directement en Allemagne, où il doit livrer des pièces mécaniques. Il devra observer un repos forcé : les gendarmes ont découvert en inspectant son camion que ses deux pneus arrière sont parfaitement lisses. Le véhicule est immobilisé à Beaune tant que les pneus n’auront pas été changés… et l’amende de 90 euros payée.
A 4 h 15 du matin, les deux patrouilles sont de retour. Sans avoir vu le moindre siphonneur. « Bien sûr que c’est frustrant. Mais demain, on recommence ! Et puis on se dit que de toute façon, le fait que nous soyons là a peut-être dissuadé certains de passer à l’action. Et cela, personne ne peut le mesurer… » Les paupières se font lourdes. Un dernier café, une petite blague pour sourire à la nuit qui s’achèvera bientôt. Il est presque 5 heures. Dehors, la pluie est toujours aussi froide.
Source : http://www.bienpublic.com Le 31 décembre 2012.