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Le - Livre blanc : le rapporteur de la commission

Livre blanc : le rapporteur de la commission, Jacques Tournier, détaille les enjeux du document en matière de sécurité à AEF Sécurité globale 

Pour gérer une crise, « l’État doit mobiliser de nombreux ministères, à commencer par la Défense, l’Intérieur, mais aussi les Transports ou la Santé. Il faut donc s’employer à apporter des réponses concrètes et opérationnelles à des questions simples : comment articuler la coopération entre les ministères pour être prêt lors d’une crise ? Comment mobiliser tous les ministères concernés autour de cette question ? » C’est ce qu’explique Jacques Tournier, rapporteur général de la commission chargée de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, dans une interview accordée à AEF Sécurité globale. « Assurément, le Livre blanc de 2008 a déjà permis d’opérer de nombreuses avancées sur cette voie. Mais le bilan que l’on peut en tirer montre qu’il est encore possible – et nécessaire – de progresser », poursuit-il. « Parmi tous les risques identifiés, il apparaît nécessaire de porter une grande attention à la question de la cybermenace », explique Jacques Tournier. « Les agressions de cette nature font courir des risques majeurs qui peuvent conduire à une paralysie de nos systèmes vitaux et contre lesquels il faut absolument se prémunir. »

AEF Sécurité globale : Quel est le calendrier de la commission chargée de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale ?

Jacques Tournier : La commission a été nommée en juillet. Elle est présidée par Jean-Marie Guéhenno (AEF Sécurité globale n°6661) qui a une très grande expérience internationale et qui connaît bien les affaires militaires pour avoir été près de dix ans secrétaire général adjoint de l’Onu en charge des opérations de maintien de la paix. Elle comprend des représentants des administrations, des experts et des parlementaires (AEF Sécurité globale n°6772). La commission va se réunir une douzaine de fois en tout, plus deux séminaires lors de la fin des travaux. Le texte préfigurant le Livre blanc devrait être finalisé au tout début de l’année prochaine pour être ensuite adopté par la commission avant d’être remis au président de la République (AEF Sécurité globale n°7309).

AEF Sécurité globale : La commission s’appuie sur des groupes de travail. Que traitent-ils et qui les compose ?

Jacques Tournier : Les groupes de travail sont au nombre de sept : « Contexte stratégique » ; « cadre d’action et objectifs politiques » ; « sécurité nationale, sécurité de la nation » ; « renseignement » ; « stratégie d’engagement et cohérence des systèmes de force » ; « économie de défense », « technologies et industrie » ; « hommes et femmes de la défense et de la sécurité nationale ».

Ils sont formés des membres de la commission qui le souhaitent, des représentants des administrations civiles et militaires, ainsi que d’experts dans les domaines sur lesquels travaillent ces groupes. Ils se réunissent environ une fois par semaine et discutent sur la base de contributions fournies par leurs membres ou les administrations concernées en fonction des sujets traités. À l’issue de leurs travaux, ils doivent produire un rapport qui viendra nourrir la rédaction du Livre blanc.

AEF Sécurité globale : Sur quels thèmes travaille le groupe sur la sécurité nationale ?

Jacques Tournier : Le concept de sécurité nationale a été mis en avant par le précédent Livre blanc. Il exprime la nécessité d’avoir une approche globale des menaces et des risques, intérieurs ou extérieurs, susceptibles de produire des crises majeures dont le déclenchement requiert la mobilisation coordonnée de moyens importants. Nous réfléchissons concrètement en essayant de tirer les leçons d’événements de ce type que nous avons pu connaître dans la passé – la tempête Xynthia, par exemple – ou qui ont eu lieu à l’étranger – les attentats de Londres et de Madrid ou la catastrophe de Fukushima -, et bien entendu sur les situations qui ont conduit à l’intervention de nos forces armées.

Parmi tous les risques identifiés, il apparaît nécessaire de porter une grande attention à la question de la cybermenace : compte tenu de l’importance prise par les systèmes d’information dans tous les domaines d’activité et des interconnexions multiples qui les relient entre eux, les agressions de cette nature font courir des risques majeurs qui peuvent conduire à une paralysie de nos systèmes vitaux et contre lesquels il faut absolument se prémunir.

Outre ce qui doit être fait pour essayer d’anticiper au maximum, voire, si cela est possible, pour prévenir l’irruption des crises qui pourraient affecter les intérêts fondamentaux de la Nation, il faut concevoir les réponses adéquates qui devront être apportées dans l’éventualité où nous aurions à faire face à de telles circonstances. Dans cette perspective, l’État doit mobiliser de nombreux ministères, à commencer par la Défense, l’Intérieur, mais aussi les Transports ou la Santé. Il faut donc s’employer à apporter des réponses concrètes et opérationnelles à des questions simples : comment articuler la coopération entre les ministères pour être prêt lors d’une crise ? comment mobiliser tous les ministères concernés autour de cette question ? quelles capacités doit-on identifier et, le cas échéant, développer ou renforcer pour être sûr d’en disposer au moment opportun ? Assurément, le Livre blanc de 2008 a déjà permis d’opérer de nombreuses avancées sur cette voie. Mais le bilan que l’on peut en tirer montre qu’il est encore possible – et nécessaire – de progresser.

AEF Sécurité globale : Et le groupe de travail sur le renseignement ?

Jacques Tournier : Le renseignement a été abordé dans le précédent Livre blanc à travers les développements concernant la fonction stratégique « connaissance et anticipation ». Il s’agit de voir ce qui a été fait depuis ainsi que les voies d’amélioration, de progrès.

AEF Sécurité globale : Comment se déroule une réunion de la commission ?

Jacques Tournier : Une réunion type de la commission commence généralement par une audition de deux ou trois personnes particulièrement expertes sur le sujet que nous entendons traiter lors de la séance concernée. Ensuite, nous avons une restitution de l’avancement des réflexions du groupe de travail impliqué par ce même sujet avant que s’ouvre un débat général. Les deux séminaires permettront à la commission de faire un point d’étape général de l’état des travaux et de déterminer les grandes orientations ou les grandes questions qui doivent inspirer la suite du processus. C’est là la condition pour que le Livre blanc soit le produit d’une délibération collective, ce à quoi le président de la commission est très attaché.

AEF Sécurité globale : La Commission comprend deux personnalités non françaises, le Britannique Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni en France, et l’Allemand Wolfgang Ischinger, président de la Conférence de Munich pour les politiques de sécurité. Souhaitez-vous donner une dimension européenne plus importante aux travaux ?

Jacques Tournier : Cette dimension européenne découle de la lettre de mission du président de la République qui demande que la relance de l’Europe de la défense figure parmi les objectifs du nouveau Livre blanc. Force est de constater la convergence croissante des intérêts européens en matière de défense et de sécurité, de même que le renforcement de la solidarité entre les États membres, que le traité de Lisbonne a formellement consacré. Même si l’Europe de la défense a du mal à émerger, elle demeure un horizon nécessaire : au regard de leur complexité et de leur ampleur, la plupart des problèmes, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, ne peuvent être envisagés comme relevant d’un traitement exclusivement national, alors qu’ils trouvent, à l’échelle de l’Europe, le niveau d’approche adéquat.

Si l’exercice de notre souveraineté nous enjoint de déterminer par nous-mêmes notre stratégie de sécurité nationale, il ne nous empêche pas pour autant d’envisager une approche commune sur les très nombreux sujets de préoccupation que nous partageons avec nos partenaires européens. Concrètement, cela veut dire que notre réflexion a pour substrat une question qui se présente comme une alternative : que serons-nous obligés, dans les années qui viennent, de continuer à faire seuls en matière de défense et de sécurité, et qu’est-ce qu’il nous semble plus légitime de faire en nous inscrivant dans un cadre où nous sommes associés à nos partenaires européens ?

Ainsi, dans le cas d’une catastrophe nationale, d’inondations, d’un attentat, il paraît évident que nous devons être capables de gérer par nous-mêmes les effets immédiats de ces crises. En revanche, s’il s’agit par exemple de prévenir une crise dans une zone se situant au voisinage de l’Europe, l’on voit mal que la France agisse en solitaire. C’est cette approche différenciée selon les situations que nous essayons de pousser plus avant – et ceci non pas sur un mode qui laisserait à penser que nous essayons d’entraîner nos partenaires européens sur nos propres objectifs, mais en jouant véritablement le jeu de l’approche collective et de la mise en commun.

AEF Sécurité globale : Est-ce aussi pour faire des économies ?

Jacques Tournier : Le ministère de la Défense doit prendre part à l’effort engagé pour parvenir progressivement à résorber nos déficits publics. C’est une des exigences que le président de la République a précisées dans la lettre de mission qu’il a adressée à Jean-Marie Guéhenno. Mais il n’est pas non plus question de faire de la contrainte budgétaire le seul déterminant de notre politique de défense. La réévaluation de notre stratégie à partir des évolutions récentes et probables de notre contexte géostratégique, politique, économique et social demeure la clé d’entrée. Et la nécessité de faire des économies doit être mise à profit pour faire émerger de nouvelles sources d’innovation permettant de faire porter l’effort sur la réduction des coûts plutôt que sur celle des capacités opérationnelles. Quoiqu’il en soit, il importe enfin que le modèle d’armée qui résultera du Livre blanc soit réaliste, et donc crédible aux yeux des militaires, qu’il concerne au premier chef.

AEF Sécurité globale : Quel est le poids du gouvernement dans les discussions de la commission ?

Jacques Tournier : Le président de la République a souhaité que nous puissions travailler avec une grande liberté. Pour autant, les travaux ne se déroulent pas sans concertation avec les autorités publiques concernées. Comme il leur appartiendra de mettre en oeuvre les conclusions du Livre blanc, on imagine mal que la commission produise un ouvrage qui irait à l’opposé des vues du chef de l’État et du gouvernement.

AEF Sécurité globale : Comment le Livre blanc sera-t-il appliqué ?

Jacques Tournier : L’application prend du temps. En particulier pour ce qui est de la défense : dans ce domaine, on ne bâtit pas un système capacitaire en deux ou trois budgets, surtout quand on parle d’équipements majeurs, comme des avions ou des frégates. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y a des lois de programmation, en particulier la loi de programmation militaire dont la prochaine est prévue pour le printemps 2014.

AEF Sécurité globale : Quel regard portez-vous sur le Livre blanc de 2008 ?

Jacques Tournier : Le Livre blanc de 2008 est le fruit d’un travail remarquable et nous reprenons beaucoup de ses conclusions. Il est allé plus loin que les précédents avec l’introduction d’un certain nombre de concepts nouveaux parmi lesquels la sécurité nationale et sa déclinaison en cinq fonctions stratégiques. Nous sommes dans la continuité des réflexions qui ont prévalu mais avec des inflexions, afin de tenir compte des évolutions du contexte dans lequel la France s’insère. Il s’est en effet passé beaucoup de choses depuis 2008 dont l’impact sur notre stratégie de défense et de sécurité doit être pris en considération : la crise économique et financière, les printemps arabes, l’accélération de la mondialisation, le poids accru des pays émergents…

Le président de la commission souhaite un Livre blanc relativement court, qui soit pédagogique et mette en cohérence l’ambition politique de la France avec le réalisme des moyens financiers, humains et matériels qu’elle peut et veut y consacrer à travers une vision dynamique et positive.

Source : Dépêche n° 7581 Paris, mardi 4 décembre 2012

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