Vols d’huîtres : comment les gendarmes luttent contre ce fléau
Les patrouilles de gendarmerie sont renforcées pendant les fêtes. Objectif : lutter contre le vol d’huîtres, une criminalité en plein essor.
Par Fabien Paillot, correspondant en CharenteLe 28 décembre 2019 à 19h33
« Main basse sur les fruits de mer. » Ce polar au goût d’iode est une réalité sur nos côtes. Star des plateaux, l’huître est particulièrement ciblée par les voleurs. De véritables professionnels qui ne font pas dans le menu larcin pour se faire une petite douzaine « à l’œil ». Ici, les cargaisons dérobées se comptent en tonnes. 25 depuis le début de la saison sur le secteur de Marennes-Oléron, 4,5 t en une seule nuit dans le Morbihan. Pour lutter contre ce fléau les gendarmes veillent : hélicoptères, bateaux, drones, patrouilles dans les claires, tout est mis en œuvre pour protéger ce produit phare des fêtes… et surtout ses producteurs.
« Qui peut bien voler autant d’huîtres d’un coup ? » Face à l’indélicatesse de certains professionnels, Patricia Margat préfère encore ironiser. Installée à Fouras, face à l’île d’Aix, cette ostréicultrice a perdu 600 kg d’huîtres à l’automne, lors d’une marée basse, en plein week-end. « Il leur a fallu un tracteur et un camion. Et encore, ils n’ont pas eu le temps de tout prendre. Ils ont dû être dérangés. »
Cette fois, Patricia Margat a décidé de porter plainte comme une trentaine d’autres ostréiculteurs du cru. C’est que près de 25 t d’huîtres ont été subtilisées cette année sur le bassin de Marennes et l’île Oléron. Quatre fois plus qu’en 2018. Aucune région ostréicole n’échappe en France à ce phénomène : début décembre à Baden, dans le Morbihan, 4,5 t ont disparu en une seule nuit.
Des patrouilles chaque soir
Ces vols, qui nécessitent une réelle logistique et la possibilité d’écouler des stocks considérables sur un marché parallèle, laissent peu de doute quant au métier de leurs auteurs. « Certains ne se gênent pas. C’est difficile de faire des huîtres et plus facile de les revendre », confirme Patricia Margat.
« La nouveauté, c’est que le phénomène a commencé beaucoup plus tôt dans la saison », abonde Ludovic Burette, le commandant de la compagnie de Rochefort chargé de coordonner les opérations de la gendarmerie.
Entre novembre et mi-janvier, les militaires enchaînent chaque soir des patrouilles dans les parcs à huîtres. Les brigades nautiques et de surveillance du littoral sont également sollicitées, tout comme des drones et un hélicoptère lors de contrôles spécifiques. « C’est beaucoup d’énergie, mais c’est notre travail, avance le commandant Burette. Auparavant, j’étais en Gironde. On s’occupait beaucoup du vol de vin dans les châteaux. Ici, ce sont les vols d’huîtres. »
«Produire une huître nous demande 3 ans de travail»
Les condamnations, elles, restent rares et peu dissuasives. « Il faut une sanction déterminante. Un ostréiculteur qui vole n’a plus sa place dans la profession. Produire une huître nous demande 3 ans de travail. Alors un vol, c’est la double peine : beaucoup d’effort pour aucun bénéfice », plaide Daniel Coirier, le président du Comité régional conchylicole de Poitou-Charentes. Ces dernières semaines, huit tonnes volées ont pourtant été retrouvées en Charente-Maritime. Les gendarmes préfèrent encore se montrer discrets et assurent qu’une autre enquête devrait aboutir en janvier.
« C’est comme la sécurité routière, on comptabilise les morts, mais pas ceux qui ont la vie sauve grâce à notre travail. Notre présence dans les claires ostréicoles limite sans doute les vols », estime pour sa part le major Patrice Delguel. Le gendarme conduit ce soir-là une patrouille dans la nuit noire, au nord de l’île d’Oléron. Les chemins gorgés d’eau et la pluie battante compliquent la mission. « Mais quand on voit des phares dans les claires au milieu de la nuit, ça n’est pas normal. »Newsletter – L’essentiel de l’actuChaque matin, l’actualité vue par Le ParisienJe M’inscrisVotre adresse mail est collectée par Le Parisien pour vous permettre de recevoir nos actualités et offres commerciales. En savoir plus
Les ostréiculteurs voient ces patrouilles quotidiennes d’un très bon œil. « C’est rassurant. Surtout la nuit quand il n’y a aucune activité. Il suffirait de 20 litres de gazole et de quelques mecs pour me voler les 150 t d’huîtres entreposées ici », calcule Pierre Chemin, un ostréiculteur de Dolus à la tête de l’une des plus importantes entreprises familiales oléronaises. Entre le 15 décembre et le 31 janvier, lui peut expédier jusqu’à 300 t d’huîtres. Alors, il s’est aussi équipé d’alarmes ces dernières années. « Avant, on était visité chaque semaine. Et en été, c’était pour le carburant… »
Des leurres GPS dissimulés au milieu des huîtres
Installé à Saint-Pierre-d’Oléron et régulièrement victimes de larcins, Cyril Pattedoie apprécie lui aussi « la dissuasion » des militaires. « Il faut moins de 20 minutes à des gens habitués pour voler 100 casiers de 6 kg, précise-t-il. Pour qu’un couple vive de son travail, il faut produire au moins 40 t d’huîtres par an. Ce n’est pas une mince affaire ! Alors certains volent pour s’en sortir… »
Récemment, un assureur lui a proposé de tester cinq huîtres connectées et géolocalisables pour un forfait de 2000 euros. « L’idée est bonne, mais il faut baisser les coûts. Au regard des tonnages, on aurait vraiment de la chance de se faire piquer ces huîtres-là », plaide Cyril Pattedoie. La profession croit beaucoup en cette nouvelle technologie, des leurres GPS dissimulés au milieu de vraies huîtres.
« Nous améliorons actuellement cette technique, elle sera opérationnelle d’ici fin 2020 », promet le président du Comité national de la conchyliculture, le Breton Philippe Le Gal qui entend aussi, désormais, se porter partie civile dans chaque affaire impliquant un professionnel. Avec 120 000 t d’huîtres commercialisées chaque année en France, le sujet est pris très au sérieux.