Violences : des plaintes en hausse
Publié le mardi 26 novembre 2013 à 01H00
À l’occasion de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes, Manolita Ly, la nouvelle ministre en charge du droit des femmes a rassemblé, hier, des associations et des gendarmes. Aucune action n’a été annoncée, il s’agissait de faire un point sur la condition des femmes au fenua. Les associations s’inquiètent notamment de la situation dans les îles éloignées.
Hier, la ministre de la Solidarité en charge des droits de la femme, Manolita Ly, 4e en partant de la droite, a convié la presse pour présenter les actions menées par les associations qui luttent contre toutes formes de violence envers les femmes. ÉLODIE LARGENTON
Sept-cent-deux plaintes pour violence conjugale ont déjà été déposées depuis le début de l’année. “On observe une très grande augmentation du nombre de cas, mais c’est aussi parce que de plus en plus de femmes osent dénoncer les violences dont elles sont victimes, elles vont plus facilement à la gendarmerie”, explique Élisabeth Hermant, présidente de Vahine Orama no Moorea. Dans les îles éloignées, cependant, la parole se libère encore difficilement. De retour d’une mission aux Marquises, Candice Simier, directrice du Centre d’information pour le droit des femmes et des familles (CIDFF), décrit un environnement qui ne favorise pas le dépôt de plainte : “ Dans les vallées les plus encaissées, il n’y a qu’un mutoi qui, malgré la meilleure volonté du monde, ne peut pas résoudre les problèmes d’inceste ou de violence qu’on lui rapporte, parce qu’il n’est pas formé à ça. En plus, la plupart du temps, il y a des affinités familiales entre ce référent institutionnel et l’éventuel auteur et la victime présumée. Donc ces faits graves sont cachés, c’est tabu. Et quand on appelle la gendarmerie, elle met du temps à se déplacer, il faut faire deux heures de 4×4 avant d’arriver sur les lieux ».
Pour lutter contre ces situations, les associations manquent de moyens. Il n’y a que deux foyers qui peuvent accueillir, en tout, une soixantaine de femmes battues : la Samaritaine et Pu o te Hau, à Pirae. “Ça fait peu”, concède la ministre. Depuis que le foyer de l’association Vahine Orama à Moorea a été détruit (il n’était pas aux normes), Élisabeth Hermant explique avoir recours à d’autres hébergements d’urgence : “Notre solution à développer, c’est de profiter soit des lits d’hôpitaux, soit des pensions de famille. On pourrait signer des conventions avec des structures touristiques, qui pourraient consacrer une ou deux chambres, exceptionnellement, pour accueillir les femmes qui veulent s’éloigner de la structure familiale”. Le lieutenant-colonel Fenoy, référent victime à la gendarmerie, souligne toutefois qu’il privilégie le maintien de la femme chez elle, avec ses enfants : “L’auteur des coups n’a pas vocation à rester au sein du foyer, alors que la victime part avec ses enfants, pour qui ce changement est traumatisant.” Si Candice Simier reconnaît qu’il faudrait “éviter qu’une femme soit doublement victime”, elle explique que, dans la pratique, les faits de violence se déroulent souvent dans des maisons familiales, où vivent les beaux-parents. Dans ces maisons, les enfants, aussi, sont victimes des violences faites à leurs mères. “Cela les terrorise, ils sont également victimes d’une forme d’agression”, expose Nadine Collorig, présidente du Groupe de réflexion et de prévention des violences (GRPV(. Or, “100% des auteurs de violence qu’[elle a] reçu ont une enfance liée à la violence”, rapporte-t-elle. Pour elle, la lutte contre les violences faites aux femmes passe donc, avant tout, par une meilleure éducation.
Quelle est la situation actuelle au fenua ?
“La violence, elle a toujours existé, sauf que, aujourd’hui, la parole se libère. Les femmes osent beaucoup plus sortir de la sphère privée pour révéler les faits dont elles sont victimes, soit chez les travailleurs sociaux, soit dans le tissu associatif, soit directement à la gendarmerie.”
Est-ce que les associations qui luttent contre les violences faites aux femmes font face à des difficultés ?
“Je voudrais vraiment remercier tout les associations qui travaillent pour, véritablement, apporter leur contribution spécifique à la résolution, à la résorption de ce phénomène, qui est véritablement un fléau. Parce que, lorsque les femmes sont touchées, toute la famille l’est, c’est-à-dire les enfants, les grands-parents, qui sont témoins de violences. Ils ne peuvent pas être à 150% de leur capacité d’épanouissement et apporter du bien-être dans leur famille.”
Quelles sont les actions engagées ?
“Les associations n’ont pas attendu le gouvernement. Elles ont mis en place des prises en charge sur le plan de l’accueil, de l’écoute, de la mise à disposition de prises en charge paramédicales, psychologiques et également d’insertion sur le plan préprofessionnel, des formations pour permettre aux femmes d’avoir une place dans cette société sur le plan économique. Nous allons continuer à faire le travail avec, maintenant, un pilotage, peut-être, de la part du gouvernement -ce qu’elles attendent, déjà, depuis de nombreuses années. […] On ne va pas refaire le monde, mais, à mon avis, nous sommes, aujourd’hui, capables de poser des perspectives qui sont partagées par le tissu associatif, par le gouvernement, mais également par l’État. Nous allons essayer de coordonner nos actions, pour qu’elles puissent être ciblées et aller véritablement vers les personnes qui en ont le plus besoin.”
Il semble qu’il y ait un manque de moyens, un manque de structures…
“Oui, il faut créer d’autres structures d’hébergement. Comme le propose l’association Vahine Orama no Moorea, pourquoi pas signer des conventions avec des petites pensions de famille ? Compte tenu du contexte actuel, économique et financier du territoire, nous allons essayer de voir ce qui est possible par rapport aux dispositifs existants, plutôt que d’aller vers la création de structures d’hébergement qui nous coûtent très cher.”
Quel message envoyez-vous aux gens qui sont témoins de violences et qui ne veulent pas s’en mêler?
“Rester dans l’anonymat, c’est possible. Lorsque vous avez connaissance d’une situation, même si vous n’avez pas toutes les informations qui vous permettent d’agir comme un professionnel, ce qu’on vous demande, c’est de faire un signalement à un professionnel. Il faut se tourner en priorité vers les travailleurs sociaux, qui sont capables de faire une évaluation de la situation. Vous avez aussi le pouvoir de changer les choses.”
Est-ce qu’il faut revoir l’éducation pour lutter contre les violences ?
“Les méthodes éducatives, la façon dont on sanctionne nos enfants doit être revue. Pendant plusieurs générations, il y a une façon d’éduquer les enfants, qui doit être revisitée, aujourd’hui. Nous savons ce dont les enfants ont besoin pour pouvoir se construire. Frapper n’est certainement pas la bonne solution pour pouvoir faire changer le raisonnement des personnes.”
Élodie Largenton