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Le - VIOLENCES CONJUGALES DANS LA POLICE : « IL Y A UNE POLITIQUE DE L’AUTRUCHE DES AUTORITÉS »

VIOLENCES CONJUGALES DANS LA POLICE : « IL Y A UNE POLITIQUE DE L’AUTRUCHE DES AUTORITÉS »

Violences conjugales dans la police : "Il y a une politique de l’autruche des autorités"
La journaliste Sophie Boutboul (à droite) est la co-autrice de l’enquête Silence, on cogne, parue en 2019, qu’elle a publiée avec Alizé Bernard, qui a subi des violences conjugales de la part de son ex-conjoint gendarme.JF PAGA

Par Samuel Ravier-Regnat, publié le 29 juillet 2021 à 17h59, modifié le30 juillet 2021.

La journaliste Sophie Boutboul critique l’ »inertie » des pouvoirs publics sur la question des violences conjugales commises par des policiers ou des gendarmes. Elle les appelle à réagir pour éviter de nouveaux féminicides. 

Le 21 juillet, Le Canard enchaîné révélait que le policier qui avait recueilli la plainte pour violences conjugales de Chahinez Daoud, assassinée par son mari le 4 mai Mérignac (Gironde), avait lui-même été condamné pour des faits de violence sur son ex-conjointe en février. Co-autrice avec Alizé Bernard du livre Silence, on cogne (2019), qui porte sur les violences conjugales commises par des policiers et des gendarmes, la journaliste Sophie Boutboul estime que des “dizaines et des dizaines” de membres des forces de l’ordre sont concernés. Elle appelle les autorités à s’emparer du sujet pour protéger les victimes.

Êtes-vous en mesure d’estimer le nombre de policiers et de gendarmes qui sont concernés par des procédures ou des condamnations pour violences conjugales ?

Sophie Boutboul : Aujourd’hui en France, il n’y a pas de données officielles à ce propos. C’est un chiffre noir. C’est pour cela qu’une pétition circule depuis les révélations du Canard enchaîné pour obtenir davantage de transparence sur le nombre de policiers et de gendarmes concernés par des procédures de ce type. De mon côté, je travaille sur le sujet depuis 2017 et j’observe qu’il y a des dizaines et des dizaines de cas. Il suffit de faire un tour dans la presse locale pour s’en rendre compte. On peut aussi s’appuyer sur des chiffres à l’étranger. Aux États-Unis, en 1991, la psychologue Leanor Boulin Johnson a interrogé 728 policiers, et 40% ont déclaré avoir commis des violences sur leur épouse ou sur leur enfant dans les six mois précédant l’étude. D’autres pays réfléchissent à cette question, comme l’Uruguay ou l’Angleterre, où des associations ou même les autorités comptabilisent les policiers et les gendarmes concernés par ces procédures.Sur le même sujet Féminicide de Mérignac: la mission d’inspection pointe « une série de défaillances »

Quels problèmes spécifiques pose la question des violences conjugales commises par des policiers ou des gendarmes ?

Franchir la porte d’un commissariat quand on est victime de violences conjugales, c’est toujours d’une difficulté sans nom. Si la femme est victime de violences d’un policier ou d’un gendarme, une couche supplémentaire de problèmes s’ajoute. Il y aura des menaces très ciblées de la part de l’auteur : « c’est moi la loi« , « la plainte reviendra sur mon bureau« , « je te ferai passer pour folle« … Ce sont des menaces qui sont rapportées par plusieurs victimes, souvent dans les mêmes termes.

Quand un policier ou un gendarme est mis en cause, il bénéficiera souvent d’un traitement de faveur, car celui qui prendra la plainte est un collègue. Des procédures pourront disparaître ou être effacées sans qu’on comprenne bien pourquoi. Pour les femmes, il peut y avoir carrément de refus de plainte. C’est ce qui est arrivé à plusieurs reprises à la co-autrice de Silence, on cogne, Alizé Bernard.

Par ailleurs, un policier mis en cause qui reçoit la plainte d’une femme victime de violences conjugales risque de faire preuve d’un manque de soin flagrant. Dans le cas de Chahinez Daoud, on a vu que le policier avait mal transmis les informations au parquet.

Sophie Boutboul : "Quand un policier ou un gendarme est mis en cause, il bénéficiera souvent d'un traitement de faveur, car celui qui prendra la plainte est un collègue."
Sophie Boutboul : « Quand un policier ou un gendarme est mis en cause, il bénéficiera souvent d’un traitement de faveur, car celui qui prendra la plainte est un collègue. »  © Crédit photo : Photo AFP

Le port de l’arme de service constitue-t-il un danger supplémentaire pour les femmes ?

Oui. Une étude de la médecin Alexia Delbreil montre que la possession d’une arme est un facteur aggravant de passage à l’acte dans le féminicide conjugal. Dans le cadre de mon enquête, j’ai par exemple travaillé sur l’affaire d’une femme assassinée à Alès en 2016 par son ex-conjoint policier qui avait utilisé son arme de service. Elle avait appelé le 17 et déposé plainte. Aucune mesure de précaution n’avait été prise sur l’arme de service. Le ministère de l’Intérieur m’avait pourtant assuré que l’arme était retirée au moindre doute sur la dangerosité de l’auteur. C’était faux. C’est la politique du cas par cas qui domine. Pourtant, une grande vigilance est nécessaire sur ce sujet.

On a essayé d’alerter les autorités et de dire qu’il y avait des solutions, mais on a parfois l’impression de parler dans le vent.

Les autorités ont-elles conscience du problème ? Le combattent-elles ?

La question des violences conjugales commises par les policiers et les gendarmes n’a été traitée ni dans le Grenelle des violences conjugales en 2019, ni depuis. Il y a une inertie, une politique de l’autruche des autorités, qui refusent de voir ou affirment que ce sont des cas isolés.

On cherche à améliorer les formations portant sur les violences conjugales, et c’est très bien. Mais si on ne traite pas en même temps la question des violences commises par les agents eux-mêmes, on occulte une part importante du sujet. On ne réglera pas le problème des refus de plainte et des plaintes mal prises si on ne prend pas le problème dans son ensemble.

Pourtant, cela fait des années que les autorités sont alertées. Je pourrais évoquer l’exemple d’un policier qui a fait l’objet d’une plainte dès 2002, accusé par cinq compagnes, et qui n’a été condamné qu’en 2018. Il faut que les autorités prennent conscience que de telles situations peuvent mener à des féminicides ou des infanticides commis directement par les policiers et les gendarmes, ou à cause de manquements dans les procédures, comme dans le cas de Chahinez Daoud.

Quelles mesures les autorités devraient-elles mettre en place ?

Certains syndicats de police militent pour une IGPN indépendante, qui ne serait pas composée de policiers, comme en Belgique ou au Canada, et estiment que cela pourrait aider les victimes de violences conjugales. Ils militent aussi pour des formations plus longues qui pourraient intégrer un module spécifique sur les violences conjugales commises par les policiers et les gendarmes, comme c’est le cas aux États-Unis. Il faut aussi faire attention au recrutement, même si cela paraît évident : la hiérarchie doit être vigilante sur le profil judiciaire et la dangerosité potentielle des hommes qui sont recrutés. Avec Alizé Bernard, on a essayé d’alerter les autorités et de dire qu’il y avait des solutions. Mais on a parfois l’impression de parler dans le vent.

Source : www.charentelibre.fr

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