Soissons : Une procédure de trafic de drogue annulée, faute de motivation de la justice
Actu17 – 6 août 2021, 11h47 │ MAJ : 6 août 2021, 11h47
INFO ACTU17. Parce que le juge des libertés et de la détention n’a pas motivé les raisons d’une perquisition ayant abouti à la saisie de 520 plants de cannabis, la cour d’appel d’Amiens vient d’annuler l’intégralité de la procédure.
C’est un camouflet pour enquêteurs et magistrats. Mais une victoire pour le droit. Selon les informations d’Actu17, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel d’Amiens (Somme) vient de signifier l’annulation de l’intégralité d’une procédure ouverte pour des faits de trafic de stupéfiants et suivie par un juge d’instruction de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lille (Nord). Les magistrats de la chambre de l’instruction ont fait savoir, le 6 juillet dernier, aux deux mis en examen dans cette affaire que les poursuites engagées à leur encontre reposaient sur des « actes viciés ».
Cette décision est l’épilogue d’une bataille judiciaire démarrée en mars 2017. A l’époque, les gendarmes de la brigade de Soissons (Aisne) sont alertés sur l’achat suspect de 3 kg de soufre minéral dans un Bricomarché, et d’une raquette électronique anti-insectes par un homme circulant dans une Renault Clio. Après avoir pris attache avec leurs collègues de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), les militaires découvrent que ce soufre peut être « utilisé de manière détournée à des fins de synthèse d’explosifs artisanaux mais aussi pour les cultures de cannabis impactées par un champignon ». Identifié, l’acheteur de cet élément chimique est déjà connu pour des procédures en lien avec un vaste trafic de drogue. La piste d’un éventuel acte terroriste est alors écartée.
520 plants et 421 boutures de plants de haschisch
C’est à ce moment-là que les événements vont basculer. Sollicité, un juge des libertés et de la détention (JLD) de Soissons délivre deux ordonnances afin d’autoriser les gendarmes à perquisitionner « sans assentiment » le domicile du principal suspect, mais aussi des bâtiments appartenant à une tierce personne. La fouille de la maison du trafiquant présumé permet la découverte de plusieurs téléphones portables et de brouilleurs d’ondes. En revanche, la perquisition d’une partie des bâtiments décidée par le JLD est empêchée par l’absence de clefs pour en permettre l’ouverture. Après la réquisition d’un serrurier par les gendarmes qui s’apprête à en ouvrir les portes, le principal suspect finit par indiquer l’emplacement d’une clef. Dans un hangar, les militaires vont alors découvrir trois chambres de cannabiculture et une chambre de séchage, avant de saisir 520 plants et 421 boutures de plants de haschisch…
Le trafiquant présumé reconnait les faits mais dédouane aussitôt le propriétaire des lieux, indiquant qu’il ne savait rien de ce qui se tramait dans ses bâtiments.
Il se pourvoit deux fois en cassation
A l’été 2017, l’un des avocats du propriétaire, Me Raphaël Chiche demande l’annulation de l’autorisation de perquisition du JLD au titre que la requête du procureur n’était pas signée et que sa motivation ne répondait pas « aux exigences imposées par la loi et la jurisprudence ». Avant de voir sa requête en nullité rejetée, en avril 2018, par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai (Nord). Un mois plus tard, le propriétaire des bâtiments perquisitionnés se pourvoit en cassation.
En mars 2019, la chambre criminelle de la cour de cassation casse et annule l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai, tout en soulignant l’insuffisance de la motivation de l’ordonnance du JLD qui n’expliquait pas en quoi la société perquisitionnée était concernée par « les faits objet de l’enquête et ne justifiait pas de la nécessité de la mesure ».
A l’été 2019, une nouvelle composition de magistrats de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai déclare la requête en nullité bien fondée et annule l’ordonnance du JLD pour la perquisition sans consentement, tout en estimant, pour autant, que la nullité de l’ordonnance était sans conséquence sur la régularité des perquisitions dans les locaux de la société.
Une position qui décide la défense du propriétaire des bâtiments dans lesquels les plants de cannabis ont été découverts à se pourvoir, à nouveau, en cassation.
« Un des mis en examen a été incarcéré pendant deux ans sur la base d’une procédure nulle et viciée »
En avril 2020, la chambre criminelle de la cour de cassation a, à nouveau, cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel de Douai avant de renvoyer les parties, cette fois-ci, devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Amiens (Somme), dont les magistrats ont, eux, estimé de la nullité de l’ensemble de cette procédure. « La cour de cassation s’est montrée très ferme en enjoignant les juges des cours d’appel de Douai, puis d’Amiens, pourtant entêtés à sauvegarder la procédure en dépit des règles élémentaires, à appliquer la loi, souligne Me Raphaël Chiche. Le plus scandaleux dans cette affaire est qu’un des mis en examen a été incarcéré pendant deux ans sur la base d’une procédure nulle et viciée. »
La justice a aussi ordonné la restitution des scellés aux ex-mis en examen, à l’exception de ceux présentant « un danger pour les personnes ou les biens ».