Raid, BRI, GIGN… Les forces d’intervention d’élite peuvent-elles vraiment fusionner ?
La commission d’enquête sur l’action de l’Etat face aux attentats parisiens, qui a présenté ses conclusions mardi, soulève cette épineuse question.
Ils sont vêtus de noir, cagoulés et casqués, lourdement armés et parfois protégés par un bouclier. Les hommes des forces d’intervention spéciales françaises se ressemblent à s’y méprendre. A un détail près, leur écusson. Les uns arborent le parachute blanc du GIGN, les autres la panthère noire du Raid ou la gargouille à l’œil rouge de la BRI. La différence entre ces trois unités d’élite ne se limite pas à leur blason, loin de là. Leur histoire, leur savoir-faire et leur périmètre d’intervention les caractérisent.
La commission d’enquête parlementaire sur les attentats de janvier et novembre 2015 a pourtant remis à l’ordre du jour la question de leur fusion. En présentant son rapport, mardi 5 juillet, le député (Les Républicains) Georges Fenech a lancé : « Pourquoi conserver dans notre pays trois forces d’intervention qui sont censées faire la même chose ? » Si des rapprochements ont déjà été opérés entre les trois forces, une refonte en une seule et même entité est-elle pour autant envisageable ? Francetv info fait le tour de la question.
La BRI (Brigade de recherche et d’intervention) est la plus ancienne des forces spéciale d’intervention. Elle a été créée en 1964 à Paris, au 36 quai des Orfèvres. Elle dépend de la direction de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris. A partir de 1977, la BRI a essaimé dans d’autres villes, notamment à Lyon. On en compte 15 aujourd’hui. Comme l’indique Le Monde, la BRI est la seule force à « cumuler des fonctions judiciaires (filatures, collecte de preuves) et à mener des interventions spéciales dans ce cadre ».
Le Raid, lui, n’a qu’une mission d’intervention. Cette unité a vu le jour en 1985 pour lutter contre le grand banditisme, la criminalité organisée et le terrorisme. Sa zone d’intervention est plutôt urbaine, dans les départements proches de Paris, mais peut s’étendre à tout le territoire, comme on l’a vu lors de l’assaut contre l’appartement de Mohamed Merah à Toulouse.
Côté gendarmerie, le GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale) a été créé en 1972 après la prise d’otage d’athlètes israéliens lors des Jeux olympiques de Munich (Allemagne). Sous commandement militaire, il a le même périmètre d’intervention que la gendarmerie, les zones rurales et périurbaines. Comme le rappelle Slate, ses principales missions d’intervention sont le contre-terrorisme aérien, maritime, ferroviaire, les attaques dans des centrales nucléaires et les prises d’otages en France ou à l’étranger.
Chaque force spéciale a ses faits d’armes. Le Raid s’est notamment illustré avec son assaut réussi lors de la prise d’otages surnommée « Human Bomb », du nom que se donnait le forcené, dans une école maternelle de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) en 1993. Un an plus tard, le GIGN menait avec brio son intervention lors de la prise d’otage par le GIA (Groupe islamique armé) de l’avion Air France sur l’aéroport de Marignane (Bouches-du-Rhône) en 1994.
Malgré la guerre des polices, un rapprochement a déjà été opéré en 2011 avec la création de la force d’intervention de la police nationale (FIPN). Elle regroupe le Raid, la BRI et les GIPN. Comme le GIGN, ces Groupes d’intervention de la police nationale ont été créés dans la foulée des attentats de Munich en 1972. Mais ses sept antennes locales en métropole ont été rattachées au Raid en avril 2015. Seul le GIPN pour l’outre-mer subsiste au sein du FIPN.
La première opération d’ampleur de la FIPN (Raid et BRI) s’est déroulée le 9 janvier 2015 lors de la prise d’otages de l’Hyper Cacher par le terroriste Amedy Coulibaly.
Au-delà de cette coopération réussie entre les forces de police, les attentats de janvier ont contraint les forces de police et de gendarmerie à travailler ensemble. Et ce après « un coup de gueule mémorable » du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, comme le raconte L’Obs (article abonnés). Raid, BRI et GIGN ont dû coordonner leurs assauts car Amedy Coulibaly, à Vincennes, avait lié le sort de ses otages à celui réservé aux deux frères Kouachi, retranchés à Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne) deux jours après la tuerie à Charlie Hebdo.
Lors des attentats du 13 novembre, le Raid et la BRI ont de nouveau collaboré lors de l’assaut au Bataclan. Pour le député socialiste et rapporteur de la commission parlementaire sur les attentats, Sébastien Pietrasanta, les unités d’élite ont prouvé « leur capacité à coopérer sur le terrain en se répartissant les tâches ». Pour aller plus loin, la commission propose la « création d’un commandement unifié des trois forces pour piloter les opérations » et une augmentation des effectifs de l’Unité de coordination des forces d’intervention (Ucofi), qui compte actuellement… deux personnes, « ce qui est assurément trop peu ».
Ces recommandations vont dans le sens du nouveau schéma d’intervention annoncé par Bernard Cazeneuve en avril 2016. Ce plan d’action, qui crée 4 nouvelles antennes GIGN (Nantes, Reims, Tours et Mayotte), 3 nouvelles antennes Raid (Toulouse, Montpellier et Nancy) et double les effectifs de la BRI, suspend le concept de territorialité en cas d’attentat : priorité est donnée à l’unité d’intervention la plus proche et la plus compétente dans un esprit de complémentarité. Selon le ministère de l’Intérieur, certains maîtrisent mieux, par exemple, certains types d’explosifs alors que d’autres sont spécialisés dans le parachutisme ou le médical.
Les limites d’un réel projet de fusion
Si la commission a salué ce nouveau schéma d’intervention, elle a émis un bémol, espérant que cela « ne favoriserait pas une forme de concurrence malsaine entre les forces », dans « une course à l’intervention ». Car les rivalités perdurent entre ces forces d’intervention, tant dans la police ou que dans la gendarmerie. Au-delà de la satisfaction après les interventions lors des attentats de janvier et de novembre, des polémiques n’ont pas tardé à faire surface. Des voix au GIGN se sont élevées pour critiquer les délais d’intervention de la BRI au Bataclan ou l’assaut du 18 novembre par le Raid dans un appartement de Saint-Denis. Au total, 1 200 cartouches ont été tirées du côté des forces de l’ordre, contre 11 du côté d’Abdelhamid Abaaoud et de ses deux complices.
« Il y a manifestement eu un problème de maîtrise du feu et de conception tactique », cingle Christian Prouteau, l’ex-patron du GIGN, joint par francetv info. « Ce n’est pas en réunissant tout le monde que ça va changer. Les policiers sont des policiers, les gendarmes sont des gendarmes », poursuit-il pointant, « deux cultures trop différentes ». Et cet ancien proche de François Mitterrand de citer « l’échec », selon lui, du GSPR (Groupe de sécurité de la présidence de la République), où cohabitent police et gendarmerie. « Le commandement devait alterner et cela ne s’est jamais fait, c’est toujours un policier qui dirige », déplore Christian Prouteau.
La question du « commandement » semble bien être au cœur du problème.« Les hommes dans les colonnes d’assaut, eux, se connaissent. Ils ont l’habitude de travailler ensemble. Le problème, c’est qui va diriger et commander l’opération », confie un policier à Metronews, lors d’une manœuvre conjointe Raid-BRI-GIGN pour une simulation d’attentat à la gare Montparnasse en avril dernier. « Le problème, ce n’est pas au niveau de la base, mais des chefs. C’est avant tout une guerre des egos, chacun veut tirer la couverture à soi », abonde auprès de francetv info Bruno Pomart, ancien instructeur opérationnel du Raid. « Le terrorisme, tout le monde veut en faire, c’est porteur », reprend, ironique, Christian Prouteau.
« On nous dit culture, culture ‘gendarmique’, culture police. Mais quand va-t-on cesser de s’abriter derrière ces faux prétextes pour faire en sorte que, malgré les susceptibilités des uns et des autres, nous ayons une force unique d’intervention? », a tonné Georges Fenech mardi. Reste que lors de leurs auditions devant la commission parlementaire, les patrons des trois forces en question se sont montrés « hostiles » à cette idée. Le ministre de l’Intérieur lui-même s’est déclaré défavorable à une fusion des trois unités. Sur son blog, un officier de policier judiciaire s’interroge : « Peuvent-ils aller plus loin que la FIPN actuelle? […] Cela passe par de gros changements. Tous les acteurs sont-ils prêts à cela? Je dois bien avouer que je suis assez pessimiste. I have a dream… »