LE 30/09/2020
Qui détient le monopole de la violence ? Avec David Dufresne et Alain Bauer
Notre invité du jour a passé ses deux dernières années à s’intéresser aux violences policières. Le réalisateur et écrivain David Dufresne sort son premier long métrage “ Un pays qui se tient sage” dans lequel il décortique et analyse les violences observées lors des manifestations des Gilets Jaunes
Hier, Amnesty International publiait un rapport dans lequel l’ONG dénonce l’usage de la loi comme « arme de répression des manifestants pacifiques en France ». Marco Perolini, chercheur pour la France à Amnesty International, condamne dans cette enquête “une volonté politique de faire des exemples et dissuader les gens de descendre dans la rue”. Si les images des violences émanant des manifestations ont été grandement relayées depuis les manifestations des Gilets Jaunes ; le traitement judiciaire des manifestations reste lui flou. Que révèle une telle enquête au sujet de l’Etat français ? Peut-on parler d’une violence liée au traitement judiciaire des manifestants ? L’Etat français a-t-il un problème au sujet de la légitimité de l’usage de la violence ?
Pour en parler ce matin, David Dufresne, écrivain et réalisateur du documentaire “Un pays qui se tient sage”, qui sort en salles le 30 septembre et Alain Bauer, professeur titulaire de la Chaire de Criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers et auteur de “Les Protecteurs : la gendarmerie nationale racontée de l’intérieur” aux éditions Odile Jacob sont nos invités.
L’échec de la politique de maintien de l’ordre en France
La perte de professionnalisation et la réduction drastique des effectifs spécialisés amènent à une augmentation massive de la violence. Il n’y a rien de nouveau sur la confrontation et le rapport de force entre l’Etat et la population, l’Etat ne fonctionne qu’au rapport de force. Alain Bauer
» Il y a un problème de professionnalisation et de maintien de l’ordre en France. Hier, Amnesty International sortait un rapport accablant sur la criminalisation des manifestations, sur la judiciarisation des manifestants, sur le fait que le droit international n’est pas respecté en France. (…) D’un point de vue de l’Intérieur, quel échec de modifier la doctrine pour des casseurs. Que l’on fasse des nouveaux schémas de maintien de l’ordre, que l’on nous martèle que le problème provient des 100 ou 200 personnes que l’on appelle Black Bloc. De mon point de vue, c’est un échec politique. » David Dufresne
Un changement de politique sécuritaire nécessaire ?
» La violence est le mode de d’organisation du dialogue social en France. En France, on casse d’abord, on discute ensuite. Le maintien de l’ordre est le maintien de l’ordre de l’Etat, c’est une prérogative particulière de l’Etat. (…) La doctrine du maintien de l’ordre a été condamnée par le Conseil Constitutionnel qui interdit les interpellations préventives. Mais c’est une culture de l’Etat qui doit être changé et qui malheureusement a le plus grand mal à progresser. » Alain Bauer
On parle de démocratie. On parle d’où va la démocratie. À l’étranger, la police ne réagit pas de la même manière. La police française depuis une quinzaine d’années, se croyant supérieure aux autres, s’est repliée sur elle-même, ses techniques et ses doctrines. N’oublions pas que dans une démocratie, le niveau de violence est établi par l’État et les forces de police. David Dufresne
Comment comprendre la définition de Max Weber sur le monopole de la violence ?
La phrase de Max Weber (l’État est une communauté humaine qui revendique le monopole de l’usage légitime de la force physique sur un territoire donné) est fulgurante, elle date de 1919. L’État revendique l’usage de la force. Mais ce qui est communément admis, c’est que l’État détient le monopole. Max Weber nous invite à réfléchir sur les notions de monopole, de violence légitime et d’État. David Dufresne
» Il y a eu 122 journalistes blessés ou entravés dans l’exercice de leur fonction lors des manifestations des Gilets Jaunes par les forces de l’ordre. Ces policiers qui ont exigé que des journalistes effacent des cartes mémoires, qui donnent des coups de matraque sur des objectifs, c’est extrêmement grave. Parce que ça nous renvoie à Max Weber sur le monopole de la violence légitime. À partir du moment où l’Etat le revendique, il se doit d’être exemplaire. S’il ne l’est pas, on doit discuter. » David Dufresne
L’image, une arme cinématographique
Les deux piliers du film sont le dialogue entre des binômes très divers et les images. L’intérêt de s’arrêter sur ces images des violences visibles lors des manifestations des gilets jaunes, de les montrer en plan-séquence, de les montrer sur le grand écran est une façon de ne pas détourner le regard et de regarder réellement les choses. David Dufresne
» Les intervenants de mon film ont un point commun : ils sont prêts à la discussion. On a essayé d’être le plus possible dans le naturel et dans le fond de chacun. J’ai décidé de ne pas donner le nom et le statut des intervenants pour être immergé et pour réfléchir avec ces gens-là et perdre nos présupposés. Il y a un jeu qui s’opère entre le spectateur et lui-même. » David Dufresne
Vous pouvez (ré)écouter l’interview en intégralité en cliquant sur le player en haut à gauche de cette page.