Publié le 14 juin 2019 à 17h28
C’est une opération judiciaire inédite au niveau européen. Cette semaine, annonce le parquet de Rennes, les enquêteurs de la section de recherches de Bretagne ont interpellé dans plusieurs pays les chefs de file d’un réseau de prostitution roumain déployé sur Rennes et Nantes.
C’est le résultat d’un travail patient, minutieux, et l’aboutissement d’une coopération inédite entre les forces de police européennes. Le 11 et le 13 juin, 15 suspects d’une organisation internationale de traite d’êtres humains ont été interpellés en France, en Allemagne, en Roumanie et en Italie dans le cadre d’une enquête sous commission rogatoire portant sur un dossier de proxénétisme aggravé et blanchiment en bande organisée.
Quelque 150 militaires français ont été mobilisés. L’opération est inédite dans son ampleur autant que dans son délai : les enquêteurs ont travaillé d’arrache-pied six mois seulement pour faire tomber les têtes d’un réseau roumain déployant des prostituées sur Nantes et Rennes. C’est la Juridiction interrégionale spécialisée de Rennes qui pilotait l’enquête, confiée à la section de recherches de Bretagne et de Nantes, avec l’appui des groupements de gendarmerie d’Ille-et-Vilaine et de Loire-Atlantique.
Les investigations ont également impliqué le Groupe d’intervention régional, qui est intervenu sur le volet patrimonial de l’enquête. Europol a apporté son soutien, notamment pour des recoupements essentiels sur des identités et sur le suivi de flux financiers. Une véritable « fertilisation croisée des compétences, chacun avec sa culture et ses moyens, et une concrétisation de l’Europe », analyse une source proche du dossier.
Il y a un enjeu humain dans ces dossiers qui motive pour les résoudre vite…
Au cœur de l’enquête
Au cœur de l’enquête, une équipe de travail franco-roumaine, mise en place le 7 mars dernier. Les gendarmes bretons ont échangé tous les jours avec leurs homologues roumains, pour tenter de préciser le profil des suspects identifiés en France. Il a fallu une discrétion absolue et un long travail d’observation, de recoupement de données, pour cerner le centre de gravité du réseau, en Roumanie, et comprendre la structure du clan.
Les filles – une dizaine – étaient acheminées en France par voiture routière essentiellement. Elles se prostituaient dans la rue, ou à l’hôtel, à Rennes et à Nantes, sous le contrôle permanent de proxénètes, « agissant eux-mêmes pour le compte de chefs basés en Roumanie », précise le parquet.
« Lover boy »
Toutes auraient été recrutées avec la technique dite du « lover boy ». Elles pensent vivre une histoire d’amour, tombent amoureuses. Et le proxénète met en place une véritable emprise psychologique permettant de contraindre la jeune femme à la prostitution. « Conséquence, les filles que l’on considère, nous, comme des victimes ont tendance à ne pas coopérer. Pour elles, le drame, c’est que le chef soit tombé », rapporte une autre source. « Alors que dans ce genre d’affaire, il y a une dimension humaine qui motive à aller vite ».
Immobilier et berlines de luxe
L’argent était envoyé en Roumanie par mandat, ou voie routière. Il était aussitôt réinvesti dans l’immobilier et les voitures de luxe. Sur trois ans, les enquêteurs estimeraient le bénéfice à plus d’1,2 million d’euros, rapatriés en Roumanie. « Des mandats à hauteur de 487 000 euros ont été identifiés depuis 2015 », détaille le parquet de Rennes. Les proxénètes comme les jeunes filles seraient originaires d’une même région, plutôt rurale, de Roumanie. Ils sont nés pour la plupart dans les années 90.
10 suspects ont été interpellés en France et cinq autres à l’étranger. Cinq des suspects interpellés en France ont été présentés à juge d’instruction et mis en examen. Trois d’entre eux ont été placés en détention provisoire. Et des procédures de remise aux autorités françaises sont en cours pour les suspects interpellés à l’étranger.