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Pourquoi vouloir faire disparaître la gendarmerie ?

Par Bertrand Cavallier , ancien général de gendarmerie — 25 février 2020 à 18:46

La veste d'une gendarme.
La veste d’une gendarme. Photo Claude Pauquet.VU

Un syndicat de police majoritaire appelle au démantèlement de la gendarmerie. Le problème n’est-il pas plutôt que la police a perdu la confiance d’une grande partie de la population après sa mise en cause dans de nombreux faits de violences ? Une situation qui traduit un profond malaise démocratique.

  • Pourquoi vouloir faire disparaître la gendarmerie ?

Tribune. Depuis des mois, la gendarmerie nationale est victime d’une campagne visant purement et simplement à sa disparition et dont la violence est inédite. Ourdie par le syndicat majoritaire des commissaires de police (SCPN), cette offensive politique a été révélée par une lettre ouverte adressée au ministre et au directeur général de la police nationale (DGPN) en juin 2019 intitulée «avertissement» (1). Elle a été relayée depuis le début d’année, lors des vœux syndicaux avec des outrances inadmissibles sans oublier les propositions éminemment corporatistes de policiers lors des travaux du livre blanc sur la sécurité. Cette campagne est à tout point de vue surréaliste.

Un syndicat représentant la quasi-totalité des dirigeants d’une administration exige la disparition d’une autre. Le peuple français dans le respect d’une continuité remontant à la Révolution française, a, par la loi du 3 mars 2009, installé la gendarmerie, force armée, comme un des deux piliers de la sécurité intérieure. Cette volonté des représentants de la nation repose sur une relation de confiance confortée par les faits. La gendarmerie révèle en effet chaque jour dans sa zone de compétence (51 % de la population, 91 % du territoire) sa productivité de sécurité, elle constitue une assurance pour la nation dans les crises par sa capacité sans égale de mobilisation, elle est enfin pleinement identifiée pour son exigence déontologique. Cette volonté s’explique également tant rationnellement qu’intuitivement par le refus d’une captation de l’appareil d’Etat, sous l’effet d’une force unique, aux effets notamment particulièrement dangereux pour l’indépendance de la justice.

Relisant le programme d’Emmanuel Macron, nulle part n’est mentionnée une telle intention. Or les revendications syndicales et, désormais, certaines propositions lors des travaux du livre blanc relaient cette obsession chez certains cadres policiers de chasser les gendarmes des aires périurbaines, ce qui conduirait de facto au démantèlement de la gendarmerie. Les premiers perdants seront les citoyens avec un risque politique et électoral induit considérable. Au motif que la police nationale est compétente dans les grandes métropoles, ces syndicats de police considèrent la gendarmerie comme une force rurale avatar d’une histoire vieille de huit siècles qu’il est temps de clore. S’il est vrai que la police nationale est une institution jeune née en 1941, elle est aujourd’hui de son aveu même au bord de l’implosion.

Livrons-nous à une analyse comparative des systèmes en se fondant sur les faits. Et non sur les personnels puisque, de toute évidence, ce sont des individus comparables qui sont recrutés et gérés dans chaque force. Les syndicats mettent en avant le fait que la police traite 75 % des crimes et délits constatés au plan national. Dans une zone comprenant moins de la moitié de la population. Cet argument relève donc d’une interprétation inversée des choses. D’un échec, on tire un argument simpliste de primauté missionnelle et institutionnelle. C’est la consécration de la théorie du chaos. Comme tout se passe mal, il faut toujours plus de moyens. Au moindre souci, la police exige forces mobiles, dont souvent des gendarmes, effectifs supplémentaires (7 500 sous l’actuel quinquennat), augmentation des rémunérations pour en échange aucune évolution… Elle enregistre, ce qui est le plus grave, un taux de confiance de la population historiquement bas (43 %) traduisant un profond malaise démocratique au regard de la perception de l’usage de la force. Il est vrai qu’avec près de 400 mises en cause pour violences policières, contre 22 pour la gendarmerie lors du mouvement des gilets jaunes alors même que cette dernière fournissait 60 % des effectifs, ce sujet est une véritable question démocratique et de société, comme l’a justement rappelé le chef de l’Etat.

La gendarmerie démontre une activité judiciaire comparable à la police si on tient compte des contraventions hors code de la route. Cette action de la gendarmerie sur l’ensemble du spectre infractionnel est essentielle : elle permet d’apporter d’une part une réponse pénale à la victime, notamment dans le cadre des violences intrafamiliales, d’autre part, elle a un effet dissuasif et par conséquent participe de l’action préventive de régulation des comportements. Elle affiche des meilleurs rendements en termes d’élucidation et de maîtrise de la délinquance. Pour autant, et malgré les directives gouvernementales (création de l’Office anti-stupéfiants…), certains responsables policiers s’efforcent d’exclure la gendarmerie de la gouvernance du renseignement et de la lutte contre ces trafics tout en manifestant d’autres volontés hégémoniques via des services à compétence nationale, notamment sur la police scientifique.

Loin d’être une force rurale, même si elle revendique son ancrage dans la profondeur des territoires, la gendarmerie est également un acteur de l’urbanité puisqu’elle assure la sécurité de près de 12 millions d’habitants dans les zones périurbaines où plus de 40 % de ses effectifs servent. Y compris dans des zones similaires à celles de la police. La complexité, la gendarmerie la connaît tant dans la gestion des flux saisonniers en métropole qu’outre-mer, où elle assure l’ensemble des missions de maintien de l’ordre et la sécurité publique générale sur 99 % du territoire et 70 % de la population avec seulement 6 700 militaires, la police déploie quant à elle 5 600 fonctionnaires pour les 30 % restant et seulement 1 % du territoire.

Proclamant la chasse aux doublons entre les institutions, la police oublie de parler des 20 000 agents de police municipale qui assurent dans nombre de villes la quasi-totalité de la police de voie publique, faisant payer deux fois un même service aux citoyens. En zone gendarmerie, il n’y a que très peu de police municipale, ce qui conduit les gendarmes à assumer la totalité des missions.

Malgré cela, la police veut encore grossir, comme si l’absorption de territoires nouveaux avec les effectifs induits allait la sauver de son impossible réforme en profondeur. Alors même qu’elle avoue avoir du mal à contenir la délinquance dans sa zone, certains de ses chefs exigent la bascule en zone police de l’ensemble des aires urbaines définies par l’Insee. En premier lieu selon le code général des collectivités territoriales, ce sont presque 12 millions d’habitants qui sont concernés par une bascule systématique en zone police via les extensions automatiques de compétence lors des fusions de commune, et ce sans aucune concertation préalable. C’est une bombe politique à retardement.

Les élections approchent, la sécurité se réinvite dans le débat politique et potentiellement dans celui de la prochaine élection présidentielle. Avec un livre blanc faux nez d’une opération de sauvetage de l’institution Police, quel sera le bilan si au passage c’est la gendarmerie – seule force intégrée de sécurité qui peut encore répondre présent sans surcoût pour protéger la population et l’Etat avec un contrôle ferme de son action – qui en paie le prix sans aucune garantie d’ailleurs d’une rémission durable de la police. C’est un risque politique dangereux à prendre. Je ne suis pas certain que le chef de l’Etat ait cautionné cette politique et encore moins que la représentation nationale ait été parfaitement informée des enjeux.

(1) «Police : le syndicat des commissaires lance un « avertissement » au gouvernement», Marianne du 21 juin 2019.Bertrand Cavallier ancien général de gendarmerie

Source : www.liberation.fr

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