Négociateur: la voie du dialogue en Champagne-Ardenne
Louvois, le 5 juin 2016. Jean-François, ancien tireur d’élite dans l’armée, craque. Avec son pistolet automatique calibre 7.65, il tire en pleine rue dans son village paisible situé au nord d’Épernay. En direction d’un champ, puis sur son véhicule et celui des gendarmes. Arme en main, le quinquagénaire se veut menaçant, il s’avance vers les hommes en bleu. « Il espérait déclencher le tir d’un gendarme en légitime défense, il voulait clairement se faire descendre, mais tous ont fait preuve de sang-froid », témoigne Frédéric*, négociateur de la gendarmerie dépêché en urgence. Pendant quatre heures, la situation reste tendue. Et puis, « à force de discuter » et « voyant que personne ne le mettrait en joue », l’homme finit par rendre les armes. Il est interpellé, sans que personne ne soit blessé.
«Des négociations ont duré jusqu’à 36 heures. C’est long, mais c’est ce qu’il fallait pour préserver des vies à ce moment-là»
Des situations comme celle-ci, Frédéric, gendarme rattaché à la caserne de Châlons-en-Champagne, en a vécu des dizaines depuis qu’il a intégré la cellule négociateur en 2007. Forcenés armés, individus aux intentions suicidaires, preneurs d’otages, détenus retranchés dans sa cellule… Pour ces cas de force majeure, le militaire se tient prêt à intervenir 24 h/24 lorsqu’il est d’astreinte. « On doit être en capacité de travailler quarante-huit minutes après le déclenchement de l’alerte dans toute la Champagne-Ardenne. »
Le cheminement suivie est presque toujours le même. La gendarmerie est alertée, les brigadiers se déplacent et jaugent si la situation nécessite l’intervention de négociateurs – ils interviennent toujours en binôme.
Quand ils sont requis, l’un gère les liaisons extérieures pendant que l’autre prend attache avec la personne retranchée. Par téléphone ou en prise de contact physique, il ouvre le dialogue. « Le but est que la personne réussisse à nous faire confiance pour qu’on puisse travailler avec elle jusqu’au bout. »
«On a face à nous des gens en crise, très énervés, qui ont pété un plomb»
Peu importent les insultes, les mots durs ou crus qui peuvent être prononcés, les négociateurs sont formés par des médecins, des agents de la pénitentiaire, et surtout le GIGN, spécialiste en la matière, pour faire face à tous les types de cas de figure : « Peu importe qui ils sont, on a face à nous des gens en crise, très énervés, qui ont pété un plomb parce qu’à la maison, dans leur couple ou au travail, ça ne va pas. Alors on passe outre, on temporise ». Quitte à prendre le temps. « Des négociations ont duré jusqu’à trente-six heures, c’est long, mais c’était sûrement ce qu’il fallait pour préserver des vies humaines à ce moment-là. » La plupart du temps, la voie du dialogue fonctionne. « Ce sont les personnes fortement alcoolisées qui posent le plus de problèmes, mais on est capables de leur laisser la nuit avant de les recontacter, le temps qu’elles reprennent leurs esprits. Moins de 10 % des personnes sont interpellées contre leur gré. »
Parfois malheureusement, cela ne suffit pas. L’issue n’est pas celle escomptée. « En dix ans de négo, cela m’est arrivé une fois », lâche Frédéric. C’était en Argonne en 2009. « La technique m’a trahi. La liaison téléphonique n’a pas abouti faute de réseau. On a retrouvé la personne pendue. » Une « frustration » pour le gendarme : « Je ne dis pas que j’aurais pu le récupérer, je n’ai juste pas pu essayer. On sait qu’on ne les sauvera pas tous, mais on fait le maximum pour ». Par passion. Parfois au détriment de sa famille « car on y va sur nos jours de repos ». Mais, peu importe, cette spécialisation, Frédéric l’a choisie car elle correspond à ses traits de caractère : l’empathie et la capacité d’écoute. « Cela renvoie à ma propre expérience, le gendarme a le droit d’utiliser la force pour résoudre des situations tendues, mais je trouve que c’est plus glorifiant d’y parvenir par la discussion. »
Pour ne pas mettre en péril ses missions, le négociateur a souhaité préserver son anonymat. Son prénom a été modifié.
L’essentiel
Les négociateurs de la gendarmerie sont douze à œuvrer en Champagne-Ardenne, trois d’entre eux sont basés dans le département de la Marne.
Ils effectuent, en binôme, une cinquantaine d’interventions chaque année dans la région.
Ces dix hommes et deux femmes sont subordonnés aux négociateurs du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) et sont évalués tous les trois ans.