Mafia. La folle enquête des gendarmes bretons
14 décembre 2013 à 10h02
Mardi dernier, un vaste coup de filet a fait tomber les têtes d’un réseau de la mafia géorgienne sévissant dans le Grand Ouest. Tout est parti d’un cambriolage raté, près de Morlaix, en 2010. Voici, en exclusivité, le récit de la folle enquête des gendarmes bretons.
Un grand « boum ». Il est 6 h, ce mardi 10 décembre. Une explosion réveille Saint-Jacques-de-la-Lande, dans l’agglomération rennaise. Le GIGN vient de passer à l’action. À l’explosif, les hommes d’élite de la gendarmerie viennent de pulvériser la porte de l’hébergement du chef présumé d’un réseau régional de la criminalité organisée de l’ex-Union Soviétique : les « vory v zakone », les « voleurs dans la loi ». Au même moment, autour de Rennes, à Saint-Brieuc, Vannes et Rodez (Aveyron), plus de 150 autres gendarmes d’unités d’intervention et des brigades de recherches des quatre départements bretons, de la section de recherches de Rennes, de l’Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI), assistés d’enquêteurs d’Interpol et Europol, interpellent 18 autres personnes soupçonnées d’avoir organisé ou commis, en deux ans, des centaines de cambriolages et de vols à l’étalage dans le Grand Ouest. Mercredi, deux autres membres présumés de l’organisation étaient également interpellés au Danemark, où ils ont été placés en détention provisoire. Leur extradition a été demandée.
Une Nissan bleue
Tout a démarré deux ans plus tôt, dans le Finistère. La région de Morlaix subit alors une véritable déferlante de vols avec effraction dans des résidences principales. « Cela allumait de partout, se rappelle un gendarme. Deux fois plus de cambriolages en un an ! » 15 septembre 2011, 10 h. La compagnie de gendarmerie de Plourin-lès-Morlaix reçoit l’appel d’un habitant. Deux hommes parlant « avec un fort accent des pays de l’Est » ont sonné à son domicile un peu plus tôt. Le propriétaire n’a pas ouvert, mais il s’est retrouvé nez à nez avec eux dans son jardin. Ils essayaient d’ouvrir un store. Les gendarmes arrivent trop tard. Les deux suspects ont pris la fuite. Peut-être dans une Nissan Primera bleue signalée par des voisins.À la compagnie, l’incident met en alerte un sous-officier de la brigade de recherches. Il vient de passer six mois à enquêter sur un réseau de voleurs géorgiens dans les Côtes-d’Armor. Ce scénario porte leur signature. Il en est convaincu. L’enquêteur morlaisien contacte ses collègues de Saint-Brieuc. Bingo ! La Nissan bleue est logée là-bas, et semble passer de main en main au sein de la communauté géorgienne locale. Une surveillance est mise en place. À Plourin-lès-Morlaix, la compagnie mobilise sept enquêteurs qui reprennent à zéro tous les dossiers de cambriolages commis sur leur secteur.
« Des « vory v zakone » en Bretagne ? ! »
À Saint-Brieuc, les gendarmes ont le tournis. Le cambriolage de résidences n’est pas la seule activité du groupe de Géorgiens. Des dizaines de vols à l’étalage sont commis chaque jour. « Plus on avançait, plus on découvrait de nouvelles équipes et de nouvelles connexions avec d’autres villes », rapporte un enquêteur. Jusqu’à présent, personne n’avait perçu, derrière ces séries de faits insignifiants, la main d’une structure criminelle organisée et hiérarchisée. « Une mafia en Bretagne ? Ces pauvres gars mal fagotés et sans le sou ? Quand on avertissait les brigades locales, on nous prenait pour des fous », se rappelle un enquêteur. C’est pourtant bien la mafia géorgienne et ses « vory v zakone » qui sont à l’oeuvre. L’enquête va changer de dimension. L’information judiciaire ouverte à Brest est confiée à la Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Rennes. Des gendarmes de la section de recherches de Rennes et de l’OCLDI sont appelés en renfort. Une douzaine d’enquêteurs s’activent désormais à plein-temps au sein d’une cellule « Vory Ouest ».
Lorient, Brest, Quimper (…) aussi
Les enquêteurs découvrent alors une véritable toile d’araignée : 50 à 70 voleurs actifs à Rennes, une trentaine à Saint-Brieuc et une quinzaine à Vannes. D’autres équipes sont présentes à Lorient, Quimperlé, Quimper et Brest mais, contrairement aux trois premières villes, aucun lieutenant n’y est identifié. Toutes ces équipes frappent dans un rayon de 250 km autour de leur base, jusque dans la Manche, le Maine-et-Loire, la Mayenne et la Loire-Atlantique.Qui les dirige ? Pendant des mois, les enquêteurs sont incapables de répondre. Une précédente enquête de 2010 a bien identifié un « smotriash » (« surveillant ») régional, à Rennes : Igor (*), un Géorgien qui n’appartient à aucun des deux principaux clans mafieux de son pays (Tbilissi et Kutaïsi). Mais en cette fin d’année 2011, celui-ci ne semble plus rien maîtriser. Saint-Brieuc est même tombée sous la coupe de deux hommes, Mikhaïl (*) et son adjoint Boris (*), envoyés par un influent représentant du clan de Tbilissi en poste à Toulouse. La trame exacte de cette histoire, les gendarmes la découvriront six mois plus tard, à la faveur d’un nouvel événement provoqué par… la police. En août 2012, celle-ci interpelle deux cambrioleurs en flagrant délit à Rennes. L’un d’eux est Mikhaïl, le chef briochin. Mais cela, la police l’ignore. L’homme est condamné à deux ans de prison ferme. Cette mise à l’ombre va provoquer une réorganisation du réseau breton. Les enquêteurs n’en manqueront pas une miette.