Les techniques d’investigation subaquatique de la gendarmerie s’exportent à l’international (1/2)
Auteur : le commandant Céline Morin – reportage photo : B. Lapointe – Sirpa-G – publié le 30 juillet 2022 Temps de lecture : ≃9 min.
Fort de sa renommée européenne, voire internationale, le Centre national d’instruction nautique de la gendarmerie d’Antibes organise chaque année une formation à l’investigation subaquatique à destination de forces de sécurité intérieure ou de secours étrangères. En immersion pendant deux semaines au côté des gendarmes, les stagiaires acquièrent les techniques qui leur permettront de traiter une scène de crime sous l’eau et de préserver au mieux les traces et indices qui serviront à la manifestation de la vérité.
« Vous avez travaillé de manière équilibrée et en sécurité. Quand l’un prenait les photos, l’autre était toujours à côté et surveillait. Je suis vraiment satisfait. C’est important, parce que quand je prends les photos de la scène, je vais être concentré sur l’acte technique et je vais avoir tendance à oublier tout le reste », explique, dans son débriefing de fin de plongée, le maréchal des logis-chef (MDC) Pierre, moniteur au sein du Centre national d’instruction nautique de la gendarmerie (CNING).
À son tour, l’adjudant Ian, un autre moniteur, enfonce le clou avec son groupe : « Comme le disait Pierre, faites vraiment attention à la sécurité. Je ne peux pas avoir une partie du binôme devant le bateau et l’autre à l’arrière. Il faut vraiment rester tout le temps proches, pour pouvoir au besoin corriger les paramètres de profondeur si on descend trop. Et si la trace est en contrebas, alors on la prend par-dessus. Il faut aussi surveiller le temps, pour que la personne qui nous attend en surface sache quand on va sortir et puisse déclencher les secours si besoin. Sur l’acte en lui-même, essayez d’être ordonnés : traitez la partie bâbord, puis la partie tribord, sans oublier d’aller voir dans les cales. On verra d’ailleurs tout à l’heure si les photos des cales ont été faites correctement. »
L’allusion aux cales génère un moment de flottement dans la petite assemblée réunie sur le port d’Antibes, sous le soleil écrasant de cette fin juin. Tous les plongeurs ne sont, semble-t-il, pas allés au bout de l’exercice, qui consistait à inspecter une épave de bateau.
« Quand on fait une recherche, il faut qu’elle soit entière et globale. Il faut que l’on couvre tous les endroits où l’on pourrait trouver quelqu’un », insiste Ian. Et Pierre de renchérir : « Que ce soit en secours ou en judiciaire, vous allez ouvrir, vous allez voir, vous allez chercher à l’intérieur. On n’est pas obligé d’entrer, on peut d’abord passer la tête et on entre si jamais il y a quelque chose. Si c’est impossible, mais qu’on voit de l’extérieur, on a quand même déjà un élément de réponse. Il faut toujours aller chercher, avoir l’esprit judiciaire. »
« Le but, c’est vraiment de vérifier l’absence de corps à l’intérieur, parce que pour l’enquête, on ferme une porte, ce qui veut dire qu’il faudra chercher ailleurs, et peut-être demander des moyens complémentaires », poursuit Ian. « Sans compter que même si on part sur des constatations judiciaires, il peut aussi y avoir une personne en vie, respirant grâce à une poche d’air, insiste Pierre, avant de donner rendez-vous au petit groupe en début d’après-midi, pour étudier toutes les photos prises depuis le début du stage. « Il risque d’y avoir beaucoup de bêtises », avance dans un sourire et un français hésitant l’un des stagiaires. « S’il y a des erreurs, ce n’est pas grave, tant que vous ne vous êtes pas pris en photos entre vous, ça me va. On verra le résultat et on retravaillera ce qui a posé problème la semaine prochaine », lui répond le moniteur.
Un stage annuel dédié aux ressortissants étrangers
Ce petit groupe de sept plongeurs entourant les moniteurs du CNING revient tout juste d’une plongée sur une épave au large du port d’Antibes, la dernière de leur première semaine de formation. Et si leur français est somme toute balbutiant, c’est qu’ils viennent de Tunisie, pour six d’entre eux, et de Belgique pour le dernier, afin de participer au stage de formation à l’investigation subaquatique dédié aux ressortissants étrangers, que l’unité de gendarmerie organise une fois par an. Il se déroule généralement au début de l’été, bénéficiant ainsi de conditions de visibilité et météo optimum, sur un format de deux semaines.
Fort de sa renommée européenne, et même internationale, le CNING a en effet l’habitude de recevoir en formation des membres des forces de sécurité intérieure ou de secours venus de différents pays, parmi lesquels des habitués, comme les voisins monégasques, les Hollandais ou encore les Suisses. La plupart des pays postulent à ce stage via le service de sécurité intérieure local, dans le cadre de la coopération technique. C’est le cas pour la garde nationale tunisienne, accueillie pour la seconde année consécutive, sur financement européen.
« Au cours des échanges préalables, en général avec l’attaché de sécurité intérieure, nous déterminons le niveau technique détenu et surtout les besoins affichés, afin d’établir un cahier des charges, qui servira de socle à notre programme. Par exemple, si leurs interventions se déroulent principalement en mer, ce qui est le cas pour les Tunisiens, il n’y aura pas de plus-value à les faire travailler en eaux intérieures. Nous établissons donc un programme théorique, avec des marges de progression, que nous réadaptons au terme des deux premiers jours de stage. Les premières plongées nous permettent en effet d’évaluer les stagiaires d’un point de vue technique, notamment sur leur aptitude à s’équilibrer, à plonger à plusieurs en sécurité, à se stabiliser, car ne les ayant pas formés initialement, nous ne connaissons pas leur niveau… Certes, les bases de la plongée et l’accidentologie sont les mêmes, les façons d’enseigner se rapprochent et les techniques sont identiques. En revanche, les niveaux entre les pays ou entre les unités sont différents, chacun ayant son propre degré d’exigence, présente le capitaine Julien Delobel, commandant le centre. Cela nous permet aussi d’affiner leurs attentes en lien direct. Chaque formation pour les étrangers est de fait différente, mais l’objectif, lui, reste le même : leur apporter une approche de l’investigation subaquatique, pour laquelle le CNING est précurseur au niveau européen. Nous allons donc essentiellement travailler sur le métier et non pas sur la technique. »
On l’aura compris, il n’est donc pas question de faire de ces stagiaires des Techniciens en investigation subaquatique (TIS), d’autant plus que ce n’est pas leur mission première au sein de leur unité d’origine.À noter : le Diplôme de technicien en investigation subaquatique (DTIS) est obligatoire pour les militaires de la gendarmerie qui ont déjà suivi la formation de Plongeur de bord à l’école de plongée de la Marine nationale (ECOPLONG) de Saint-Mandrier, complétée par un volet spécifique aux missions gendarmerie, qui leur permet d’obtenir, au terme de six semaines de stage, la qualification d’enquêteur subaquatique. La formation au DTIS se déroule quant à elle intégralement au CNING, également sur une durée de six semaines. Les TIS (la gendarmerie en compte 112 en activité à ce jour) devront ensuite retourner à Antibes tous les deux ans pour une semaine de recyclage comprenant une requalification technique, professionnelle et matérielle. L’étape suivante est celle du monitorat. Le CNING accueille également les plongeurs du GIGN, non pas dans le cadre du DTIS, mais d’une formation de cinq semaines qui leur permet d’obtenir leur diplôme de plongeur GIGN (DPGIGN2), avant de poursuivre leur formation spécialisée à l’ECOPLONG de Saint-Mandrier.
« L’objectif, pendant ces 15 jours, est de mettre à leur disposition un ensemble de techniques qui va leur permettre de préserver au mieux traces et indices qui serviront à la manifestation de la vérité, c’est-à-dire comment aborder une scène de crime, comment la figer, car l’eau est un milieu particulier qui risque de lessiver les traces, puis comment conditionner les différents éléments, armes, étuis, téléphones, etc., et les remonter, en ayant le moins de déperdition possible au niveau des preuves. Enfin, en seconde semaine, on aborde les corps immergés », explique Pierre, directeur du stage cette année.
Pendant deux semaines, l’apprentissage théorique, le plus souvent traité sous forme de briefings, et les exercices pratiques sous l’eau, au rythme de deux plongées quotidiennes en moyenne, elles-mêmes ponctuées de débriefings, vont ainsi se succéder.
« Le seul gros cours théorique en salle concerne la prise de vue. Cela peut paraître facile, mais sous l’eau cela demande une certaine technique. Le premier objectif est donc de maîtriser l’appareil. Pour le reste, on va moins loin, mais cela permet de pratiquer à sec et de mieux expliquer », poursuit le moniteur.
Et si sous l’eau, les gestes de plongée sont normés (ou presque), sur terre, la barrière de la langue vient parfois compliquer les échanges, d’autant que le vocabulaire employé est technique. « Certaines nuances ou subtilités sont compliquées à faire passer. On essaie donc de vulgariser au maximum, de chercher les mots les plus simples. Même sous l’eau, la communication spécifique à l’apprentissage ou à la mission de PTS (Police Technique et scientifique) nécessite l’emploi de signes que nos stagiaires ne connaissent pas forcément, parce que nous n’avons pas le même référentiel. Cela nous oblige à une certaine remise en question dans notre manière d’enseigner. Mais la base du monitorat, c’est de s’adapter. C’est la raison pour laquelle on privilégie la pratique à un apport théorique trop dense. Ils n’auront peut-être pas toutes les justifications des actes, mais ils auront l’essentiel leur permettant de les mettre en pratique », estime Ian, adjoint au chef du bureau instruction du CNING.
S’il est déjà arrivé aux moniteurs de dispenser des formations en anglais, cette année, le CNING a toutefois pu compter sur un gendarme mobile de l’escadron d’Antibes doté d’un certificat de langue militaire en tunisien pour jouer les interprètes.