Le gendarme, le vélo et la mort
Retour sur une histoire qui oscille entre le banal et le tragique, et qui laisse perplexe… Albine Novarino-pothier
Un dimanche d’été, une baignade dans un bief, une promenade à bicyclette, une campagne hospitalière. Tout est-il pour le mieux dans le meilleur des mondes, au cœur de la Bourgogne ? Le mal et la mort rôdent sournoisement. Triompheront-ils ? Quel sera, au final, le sort réservé aux protagonistes de cette affaire étrange, si sombre, sous le soleil de plomb ?
Un dimanche au bord de l’eau
Le dimanche 1er août 1920, vers 15 heures, Abel Sommet, un adolescent de quatorze ans, domicilié à Soissons, en Côte-d’Or, décide de profiter du beau temps. En compagnie de quelques amis de son âge, c’est à bicyclette qu’il prend la direction d’un bief, situé à quelques kilomètres du village. Avant de piquer une tête, le jeune Abel gare soigneusement sa machine à l’abri des rayons du soleil et de l’éventuelle convoitise des passants, derrière un buisson, à deux cents mètres du bief, environ.
Alors, après autant de précautions, quelle ne sera pas la stupeur du malheureux Abel Sommet, en constatant, au sortir de son bain, que son vélo s’est envolé ! Avec ses copains, Abel bat méthodiquement les buissons environnants, mais c’est bien en vain. Au terme de recherches aussi infructueuses que décourageantes, Abel Sommet finit par se rendre à la gendarmerie de Pontaillier-sur-Seine afin d’y déposer plainte pour vol de vélo.
Fin de dimanche agité
Aussitôt, selon la formule consacrée, “les gendarmes Mariot et Dessertine se transportent à Soissons pour y procéder à une enquête”. C’est aux environs de vingt heures que les deux hommes rencontrent, dans une rue du village, le garde champêtre effectuant une vespérale tournée. Ils lui demandent alors des renseignements sur les mouvements dans la contrée.
Bien leur en prend ! Car, au même moment, ils aperçoivent, sur la route, deux individus dont le comportement leur semble d’emblée suspect. Interpellés par la force publique, les deux inconnus sont sommés de s’arrêter sur-le-champ. Mais voilà qu’ils accélèrent leur allure ! Le gendarme Dessertine enfourche alors sa bicyclette et se lance vaillamment à la poursuite des deux contrevenants qui en profitent pour cavaler de plus belle.
Parvenu cependant à leur hauteur, il leur intime une nouvelle fois l’ordre d’obtempérer. En vain ! Il saisit alors l’un d’eux par l’épaule pour le contraindre à s’arrêter. Mais ce dernier sort brusquement un revolver de sa poche et fait feu, à très courte distance, sur le gendarme. La balle traverse la lèvre supérieure, brise deux dents et en projette les fragments dans la langue de l’officier de police.
En dépit de la violence du choc et de la douleur, le blessé riposte à l’agression et tire sur le malfrat sans toutefois l’atteindre. L’inconnu s’empresse de prendre la fuite à travers les champs. La nuit est venue, l’obscurité sur la campagne devenue brusquement inhospitalière est telle que l’étranger au pays ne peut être rejoint.
Et le lundi…
Dès le lendemain cependant, l’agresseur de Dessertine est arrêté à Saint-Jean-de-Losne par les gendarmes auxquels il a opposé la plus vive des résistances. Dans sa poche, on découvre la somme de 250 francs, soit le montant de la vente de la bicyclette dérobée à Abel Sommet. On interroge l’individu et voici ce qu’il raconte.
Il se nomme François Préfot. Il est né le 4 novembre 1897, à Bogneaux, en Seine-et-Marne. Marinier, il navigue sur le Julien en compagnie de ses parents et de son frère. Le fameux dimanche qui faillit être fatal au gendarme Dessertine, il se promenait à vélo en compagnie de son frère. Un pneu de sa bicyclette (au demeurant déjà vétuste et fort cabossée) ayant éclaté… c’est sans plus de façons qu’il l’a échangée contre celle de Sommet.
Quant à la suite des événements, il affirme que le gendarme lui a porté un coup de revolver sur la tête ; qu’il a lui-même tiré sur lui à une distance de dix mètres, mais sans savoir dans quelle direction… Bien évidemment, ces allégations sont formellement contredites par les constations médico-légales ainsi que les témoignages recueillis.
Le procès du voleur de bicyclette
Préfot a été amputé du bras droit à l’âge de quinze ans ; alors qu’il était mécanicien, son bras a été pris dans un engrenage. Il vit avec Lucie Marchal (dix-huit ans) dont il a un enfant âgé d’un an. Bien qu’il affirme avoir toujours travaillé régulièrement, il ne parvient pas à convaincre le président qui l’accuse de braconnage.
Plusieurs fois condamné pour vol, le marinier a déjà effectué deux mois de prison pour vol. Il se trouve sous le coup d’un mandat d’arrêt pour vol dans l’arrondissement de Corbeil. Les renseignements recueillis sur son compte le présentent comme paresseux et ivrogne. Il est condamné à dix ans de travaux forcés et à vingt ans d’interdiction de séjour.