Le Point – Publié le – Modifié le
Un procureur ne veut plus entendre parler des alertes entre automobilistes véhiculées par les réseaux sociaux.
D’autres départements en France se sont organisés autour de Facebook pour signaler les chausse-trappes et autres radars-tirelire dressés par les forces de l’ordre. © DR
L’entraide et la solidarité, bien défaillante entre usagers de la route, ont trouvé une façon originale de s’exprimer au travers des réseaux sociaux. Ainsi, à tout moment, des centaines de milliers d’automobilistes sont avertis de la présence du moindre danger sur la route (accident, embouteillage, travaux, etc.), bien mieux que tout autre système d’inforoute ne saurait le faire puisque ce sont les usagers eux-mêmes, par leurs constatations sur le terrain, qui alimentent en direct la base d’informations.
Seulement voilà, au milieu de toutes ces alertes, il y a aussi la présence de tout radar ou képi qui, sur Facebook, peut être signalée en toute impunité. Mais en Aveyron, un procureur a décidé de s’attaquer à cette implacable organisation de la Toile au travers de l’une de ces pages antiradars. Ce sera mardi à Rodez, lors d’un procès inédit mené par le procureur Delpérié qui veut réduire ces pages insaisissables au silence.
« Tu vois une camionnette bleue, un radar, des motards… viens le signaler. » Se revendiquant comme « le seul groupe utile » sur Facebook, la page « qui te dit où est la police en Aveyron » – c’est son nom – compte plus de 10 000 membres. Créé en 2012, le groupe assure ne « nuire en aucun cas aux forces de l’ordre ». Les messages sur des « poulets au rond-point… » y côtoient des « attention test alcoolémie », mais aussi des avertissements sur des bouchons ou des accidents.
Les groupes du même genre sont légion en France. Ils réunissent « entre 600 000 et 800 000 membres sur Facebook », assure l’avocat Rémy Josseaume, expert en droit automobile. Mais en Aveyron, le procureur de la République de Rodez, Yves Delpérié, en a fait son cheval de bataille.
« Je suis réveillé toutes les nuits, car des gens se tuent sur la route. C’est lamentable que certains préviennent de l’installation des radars », expliquait-il récemment à la presse locale.
Quinze personnes poursuivies
Mardi à Rodez, 15 personnes seront ainsi entendues devant le tribunal correctionnel pour s’être « soustraites à la constatation des infractions routières ». Huit prévenus sont également poursuivis pour « outrages » après avoir qualifié les gendarmes sur la page Facebook de noms d’oiseaux parfois peu amènes.
« J’ai décidé de réprimer les gens qui cherchent à échapper à la loi », expliquait le procureur Delpérié.
Sauf que pour Rémy Josseaume, avocat de neuf des prévenus, aucune loi n’est violée. Certes, l’article R 413-15 interdit les « détecteurs de radars » et prévoit une amende de 1 500 euros et un retrait de six points sur le permis. Mais, selon l’avocat, le groupe sur Facebook ne peut pas être assimilé à un « détecteur de radars ».
La réglementation avait fait frémir les vendeurs de boîtiers « d’aide à la route », comme le français Coyote, qui revendique 2,8 millions d’utilisateurs en Europe. Ces sociétés se reposent sur leurs membres pour mettre à jour le boîtier en signalant la présence de « zones de danger », un euphémisme dont Coyote avoue lui-même qu’il avertit d’une « zone d’accident connue comprenant ou non un radar fixe ».
Le Conseil d’État avait été saisi de la question et le 6 mars 2013, il a autorisé les « solutions d’aide à la conduite », ce à quoi s’apparente le groupe de Facebook, selon Me Josseaume. Si on poursuit ce groupe en Aveyron, poursuit l’avocat, « pourquoi ne pas poursuivre les pages Facebook des gendarmes qui annoncent les contrôles ou le magazine Autoplus« , qui donne une carte des radars fixes et mobiles ? Déjà, la justice avait décidé de ne pas interdire les appels de phare signalant la présence des gendarmes, rappelle Me Josseaume, qui parle d' »hypocrisie ».
Quels comportements à risques ?
« C’est exagéré », estime elle aussi Cindy Artus, une des prévenues, qui ne comprend pas pourquoi elle est poursuivie et non son compagnon qui « utilise un GPS lui signalant les zones radars ». « On ne peut pas tolérer l’un et interdire l’autre », renchérit David Allegre, également poursuivi.
Les associations pour la sécurité routière y voient, elles, un dangereux instrument, soulignant que l’Aveyron est un des champions de l’insécurité routière en France. En 2013, le nombre de tués dans le département a bondi de 126 % (34 contre 15 en 2012), alors que l’ensemble de la France a connu une baisse de plus de 10%. « Il faudra bien qu’un jour on se prenne par la main pour que tout ça soit interdit », juge Christiane Poinsot, présidente dans l’Aveyron de la Ligue contre la violence routière.
« La vitesse tue, donc le fait de vouloir déjouer ces systèmes (les radars), c’est mettre le conducteur en péril », acquiesce Bernard Ladevèze, directeur de l’Association prévention routière en Midi-Pyrénées. Un jugement pour le moins hâtif du genre qui fait reculer la sécurité routière en entretenant la confusion des risques. Les causes d’accidents se situent ailleurs que dans la vitesse qui n’est plus qu’une résultante d’autres comportements à risques (alcool, drogue, défi du samedi soir, etc.). Aujourd’hui, les radars sont assimilés à des tirelires, totalement incompris des usagers. Ils comprendront en revanche que l’on procède à des contrôles d’alcoolémie le samedi soir qui concentre l’essentiel des accidents.