Dans une zone périurbaine de la région Centre-Val de Loire, Mickaël, notre gendarme « premier de cordée », continue à travailler d’arrache-pied. Entre la pénurie de masques de protection et sa propre peur de l’épidémie, il nous raconte sa semaine, pour son premier épisode de notre série de témoignages.
MARIANNE FAIT PARLER LES (VRAIS) « PREMIERS DE CORDÉE »
A partir de ce dimanche, Marianne lance une série de témoignages de « premiers de cordée », ces Français au front pendant le confinement. Caissière, policier, infirmière, urgentiste, postier, agriculteur, livreur, surveillant pénitentiaire, gendarme, maire, médecin généraliste, pharmacien… Ils continuent à travailler, au service de la population. Chaque semaine, vous retrouverez un épisode sur la vie de chacune des douze personnalités que nous suivons.
Prénom du premier de cordée : Mickaël (le prénom a été changé)
Age : 38 ans
Profession : Gendarme
Lieu de travail : Zone périurbaine de la région Centre-Val de Loire
Lieu d’habitation : Zone périurbaine de la région Centre-Val de Loire
Distance entre les deux : 2 kilomètres
Personnes dans le foyer : 5
Mickaël, 38 ans, est gendarme depuis une vingtaine d’années. Il est chargé d’effectuer les patrouilles et les contrôles du confinement dans une zone périurbaine de la région Centre-Val de Loire. Il habite une maison à 2 kilomètres de sa brigade, avec sa femme, ses enfants et « un petit bout de jardin ». Pénurie de masque de protection à la gendarmerie, golfeur qui enfreint les règles de confinement, cyclistes qui se promènent à 70 bornes de chez eux… Ce maréchal des logis-chef raconte à « Marianne » la semaine écoulée, au contact avec les Français confinés.
Vendredi 20 mars
Alors qu’hier, j’ai passé la journée au « planton » (à la gendarmerie, NDLR), à répondre au téléphone, avec plus de 60 appels pour savoir ce que l’on a le droit de faire ou non pendant le confinement, aujourd’hui, je suis de patrouille toute la journée. Je constate que les supermarchés sont pris d’assaut, encore, que les gens se promènent, encore. Ça m’agace. Quatre jours que ma femme ne sort pas, que mes enfants ne sortent pas. Mais eux s’en moquent. Alors je verbalise. Six amendes durant la journée. J’aurais pu en mettre au moins 50.
Je tente de rester pédagogue. Quand les gens reconnaissent leurs erreurs, je les invite à vite rentrer chez eux. Et puis il y a les autres, ceux qui se foutent juste de la gueule du monde. Par exemple, deux habitants de la grande ville d’à côté bronzaient au bord du lac. Un type faisait un golf. Un homme de 71 ans faisait du vélo à 50 bornes de chez lui… La balade lui coûtera cher. Je vais être franc : on n’est pas sorti du confinement avec des comportements pareils. D’autant qu’on est à la campagne, dans une banlieue plutôt riche, où la plupart des gens possèdent une maison avec jardin. C’est plus difficile en ville…
Samedi 21 mars
Le patron a décidé de nous mettre en équipe, pour éviter que toute la brigade soit contaminée. Au niveau du matériel, ce n’est pas la joie : pas de gel hydro-alcoolique pour se laver les mains alors qu’on nous en avait annoncé en début de semaine, quelques masques, quelques gants. Je crains pour ma santé. Je fais attention. Quitte à être un peu cassant avec les gens qui ont tendance à trop nous approcher… Je me lave les mains 10 fois par jour, je fais attention de ne rien toucher. J’ai même désinfecté le volant et le tableau de bord avant de partir en patrouille.
L’après-midi, je suis tombé des nues lorsqu’un collègue de la brigade a proposé que l’on fasse un apéro avec les familles dans la cour. Je lui explique, un peu énervé, que c’est inconscient, mais la moitié de mes collègues n’y voyaient pas d’inconvénient… A mon sens, on se doit d’être irréprochable. Ça a créé une petite cassure dans l’ambiance de la brigade.
Dimanche 22 mars
De repos. Je prends le relais de mon épouse qui gère la maison depuis 6 jours, je m’occupe des enfants toute la journée, on joue, on travaille. Le soir, ma fille me demande pour combien de temps encore va durer ce confinement. Je lui dis qu’avec ce que j’ai vu, il y en a sûrement encore pour un mois.
Lundi 23 mars
Encore et toujours des verbalisations : il y a des gens qui ne comprennent pas. Alors on leur explique : la leçon à 135 euros est chère, mais efficace. On apprend que le Premier ministre va parler le soir, j’espère qu’il va préciser certaines choses.
L’après-midi me fait passer au rouge, quand le directeur général de la gendarmerie nationale annonce qu’il souhaite que les gendarmes passent leurs repos et quartiers libres dans leur logement de fonction. On a dû rendre les masques pour le personnel soignants, on n’a toujours pas de gel hydroalcoolique, mais il faudrait qu’on dorme dans des immeubles au milieu des autres familles ? On ne m’empêchera pas de retrouver ma famille. J’ai besoin de ces moments-là. Même si je ne le montre pas, j’ai quand même un peu peur de choper ce virus. On est en première ligne et je me rends compte que nos grands chefs n’ont pas compris les vraies priorités.Lire aussi« Je prendrais bien une semaine de confinement… » : la semaine de Cathy, caissière au Franprix des Buttes-Chaumont
Il y a eu, sur ma circonscription, deux patrouilles pour un total de 9 amendes relevées. Parmi eux : quatre cyclistes ensemble à 70 bornes de chez eux ; deux jeunes qui s’amusaient à cracher par terre dans le hall d’une banque ; et, cerise sur le gâteau : un couple « illégitime » dans un chemin… Je vois trop de monde dehors en mode vacances. Avec cette mentalité égoïste, on va droit au désastre.
Mardi 24 mars
Repos. Mes repos sont en décalé. Le Premier ministre a parlé au 20 heures, mais encore une fois, c’était trop vague, pas assez restrictif. Je discute beaucoup avec des policiers et d’autres gendarmes. On est tous d’accord sur un point : si le confinement doit durer longtemps, cela va être difficile pour nous aussi.
Mercredi 25 mars
Toujours, bon nombre de gens dehors alors qu’ils ne devraient pas y être. Comme ces deux sexagénaires qui se sont retrouvées au stade pour « faire un tour ». Elles sont arrivées en voiture devant nous, toutes heureuses de nous présenter leurs attestations. Elles sont reparties avec une contravention. Le matin, au planton, j’ai pris le téléphone à la place d’un collègue pendant une demi-heure pour le soulager. Certaines questions ne sont pas bien malignes… Un homme appelle, demande s’il peut faire 20 kilomètres pour aller chercher une baguette parce que sa boulangerie habituelle est fermée. Pourquoi si loin? Parce que le pain de l’autre boulangerie n’est pas bon, me répond-il…
J’apprends dans la soirée le décès du premier gendarme atteint du Covid-19. Marié, trois enfants, comme moi. Douze ans de plus, mais pas un vieillard… Je prends un coup au moral. On n’a toujours pas d’équipement de protection. Et le gilet pare-balles n’arrête pas le virus.
Jeudi 26 mars
Je me suis levé de bonne heure, j’ai mal dormi. J’ai beaucoup pensé au collègue de Maison-Alfort qui est décédé hier, à son épouse et à ses trois enfants. A l’écoute du premier appel de la journée, je sens qu’elle va être longue. L’appelant demande s’il peut accompagner sa femme, à la santé fragile, aux courses. Le chargé d’accueil lui propose d’aller faire les courses à sa place. Mais Monsieur préfère que sa femme l’accompagne, au mépris du danger. Néanmoins, j’ai l’impression de croiser moins de monde dehors. Je n’ai verbalisé qu’à une seule reprise. J’aurais pu en faire plus bien sûr… mais je dois admettre que tout ça est un peu lassant. Enfin, demain est un autre jour.
*Le prénom a été changé à sa demande.LA SÉRIE « LES (VRAIS) ‘PREMIERS DE CORDÉE' »
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