TRIBUNAL DE CHALON – Son identité ? « Je m’appelle Macron, et je vis à Paris. »
Nous sommes à Louhans, ce samedi 15 décembre, et les gendarmes ont approché deux hommes qui ralentissaient furieusement la circulation, en causant avec un automobiliste, voiture stoppée sur la voie. L’un d’eux prétend être « Macron ». « Il a été résistant dans sa bêtise de ne pas vouloir comprendre » expliquera un des gendarmes, partie civile. Ce « Macron » sort de garde à vue pour être jugé pour rébellion ce lundi 17 décembre.
Il a 38 ans, de l’embonpoint et une voix de tête. Il vit dans le Jura, en couple. Pas d’enfants. Sa compagne est « handicapée » dit l’enquête sociale préliminaire. Ils perçoivent le RSA couple, il était chauffeur routier. Il cherche à « sortir de ma galère du RSA ». A son casier une seule mention. Une ordonnance pénale pour conduite sous l’empire de l’alcool, en 2006, « je sortais de boîte ». Il découvre donc ce que c’est qu’une audience de jugement, et il le découvre dans un contexte particulier, car c’est un après-midi « spécial gilets jaunes », et rarement le palais voit-il un tel déploiement de renforts armés. Au moins une quarantaine en tout, dont 13 gendarmes mobiles dans la salle. Est-il impulsif, ce plaisantin ? « Pas plus que ça… La garde à vue m’a bien fait réfléchir. »
Ce 15 décembre quand les gendarmes lui ont demandé de laisser la circulation se faire, il devait être bien remonté et sans doute un peu ivre de ce vent nouveau qui souffle depuis mi-novembre. Il ne lui a pas suffi de lancer « Macron » pour rigoler, il a fallu qu’ensuite il dise « vous pouvez me placer en garde à vue ». Ah. Les gendarmes décident d’informer le procureur : « je m’en bats les c…, j’emm… le procureur. » Tsss… Là-dessus on l’embarque, mais il fait mine de descendre du véhicule. Le conducteur doit stopper pour que le gradé monte à côté de l’impénitent. Les images d’une caméra de vidéosurveillance raconteront la suite : il pousse le gendarme, le menace, « ça va faire comme Pikachu, je vais te retrouver, je vais te retrouver. » Il a fini en garde à vue, et finalement il le regrette bien.
« Ce n’est pas bien, ce que j’ai fait, j’avais pas à m’opposer à eux pour si peu, tout est de ma faute, j’ai rien à dire. » Le gradé de l’équipage, lui, a à dire, et il s’adresse au prévenu : « Il n’a pas arrêté. J’ai 28 ans de brigade et c’est la première fois que je me retrouve ici devant vous. Il m’aurait été facile d’obtenir un certificat médical, etc., mais j’ai un cœur, une famille, et je suis loyal. » Le militaire ajoute : « Il n’est pas le reflet des gilets jaunes de Louhans, ni de leurs doléances, je tiens à le dire. » Le prévenu n’a pas cessé de pousser le bouchon, toujours un peu plus loin, allant jusqu’à prétendre que le gendarme était alcoolisé (pour tenir si peu sur ses jambes alors qu’il le poussait), lequel s’est soumis au test. « Ça va assez loin dans la remise en cause de l’autorité des gendarmes », observe la présidente Sordel-Lothe.
Maître Bouflija trouve, elle, que son client reflète bien quelque chose du mouvement des gilets jaunes, « mouvement d’exaspération », « car il vit dans la précarité au quotidien, il a fait des missions d’intérim et recherche du travail ». Marie Gicquaud, substitut du procureur, rappelle le cadre : « Le mouvement des gilets jaunes est tout à fait accepté, mais ce n’est pas parce qu’on use de son droit d’expression qu’on peut pour autant enfreindre la loi pénale. On ne lui interdit pas de manifester, on lui demande de respecter la loi et l’autorité de l’Etat. » Elle requiert 3 mois de prison entièrement assortis d’un sursis-TIG* de 110 h.
Le tribunal suit les réquisitions, portant le nombre d’heures à effectuer à 140. Il devra verser 300 euros à chacun des deux gendarmes au titre de leur préjudice moral. « Ce qu’il y a d’embêtant, ce n’est pas le mouvement, insistait la présidente, c’est ce à quoi ça peut mener. »
Florence Saint-Arroman