Gilets jaunes : les questions que pose la mobilisation des militaires de Sentinelle
Des militaires de l’opération Sentinelle seront engagés aux côtés des policiers et des gendarmes lors de l’acte 19 des Gilets jaunes, ce samedi.
L’annonce a provoqué la stupéfaction. Des militaires de l’opération Sentinelle seront mobilisés ce samedi pour encadrer les différentes manifestations des Gilets jaunes, aux côtés des forces de l’ordre traditionnelles -police et gendarmerie-, a indiqué ce mercredi le gouvernement.
Le but ? Éviter que se reproduisent les scènes de dégradations et de chaos de samedi dernier à Paris, en permettant de dégager des effectifs de policiers et de gendarmes pour aller au contact des manifestants. On fait le point sur cette démarche inédite depuis plus de 70 ans.
Qu’est-ce que la mission Sentinelle ?
Ce nom de code désigne le déploiement de militaires dans les rues, lancé en janvier 2015, juste après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper cacher. Ces soldats sont chargés de la protection dans le cadre de la lutte anti-terroriste des sites dits « sensibles », comme les lieux de culte, les gares et les aéroports, ou encore les sites touristiques.
7 000 militaires sont aujourd’hui mobilisés sur le territoire national pour cette mission, dont la moitié en région parisienne. Il n’est pas rare de les voir patrouiller, souvent par petit groupe de trois soldats positionnés en triangle, à la tour Eiffel ou dans les différentes gares parisiennes, par exemple.
De quoi seront chargés ces militaires samedi ?
Ils devront notamment assurer la protection de sites sensibles à la place de policiers et de gendarmes, qui pourront ainsi être redéployés là où se trouvent les Gilets jaunes. L’objectif est de « permettre aux forces de l’ordre » de se « concentrer sur les mouvements et le maintien et le rétablissement de l’ordre », a indiqué mercredi le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux. Le gouvernement assure aussi que les soldats n’iront pas au contact des manifestants.
C’est la première fois depuis 1947 que des soldats sont officiellement chargés d’une mission de maintien de l’ordre sur le territoire national, hors guerre d’Algérie. « Il y avait trois millions de mineurs en France cette année-là mais l’engagement de l’armée était resté limité, l’idée depuis la Première Guerre mondiale est qu’elle ne soit pas chargée du maintien de l’ordre en France », souligne Michel Goya, ancien colonel et historien militaire, interrogé par le Parisien.
Le 8 décembre dernier, le gouvernement avait annoncé un dispositif de « grande envergure » pour encadrer les manifestations des Gilets jaunes, mais sans faire officiellement appel à l’armée.
Pourquoi ça pose question ?
Les Gilets jaunes sont assez imprévisibles et ils n’indiquent pas toujours à l’avance les lieux où ils manifesteront. Du coup, on ne peut pas exclure qu’il y ait des contacts avec des militaires de la mission Sentinelle. D’autant que les sites sensibles sont parfois pris pour cibles par des manifestants, comme la préfecture du Puy-en-Velay en décembre dernier ou le ministère de Benjamin Griveaux à Paris le 5 janvier.
Sauf que les soldats ne sont pas formés pour être au contact avec des manifestants. « Ça les place dans une position délicate. Ils vont tout faire pour protéger et barricader, mais s’ils font face à des gens décidés et violents ils pourraient faire usage de la force », estime Michel Goya.
Concrètement, l’expert n’imagine pas des soldats tirer à balles réelles avec leur fusil d’assaut Famas. « Ils sont extrêmement disciplinés et il pourrait y avoir des tirs uniquement si l’un d’eux panique et défouraille ou s’il se sent véritablement menacé dans sa vie et qu’il agit en légitime défense », poursuit-il. Selon lui, le plus probable en cas d’assaut est qu’ils « laissent passer » les manifestants, ce qui serait « une humiliation pour eux et pour le gouvernement », estime-t-il.
Quelles sont les réactions des organisations policières et des politiques ?
Les syndicats de policiers, qui réclament depuis longtemps d’être débarrassés des gardes statiques, se réjouissent globalement de cette annonce, tout en mettant -aussi- en garde contre d’éventuels contacts entre Gilets jaunes et soldats.
Au niveau politique, le sujet a suscité une passe d’armes entre les leaders de principaux partis lors du débat qui les a opposés sur BFMTV, mercredi soir. Sans surprise, Stanislas Guérini et François Bayrou, respectivement patrons de LREM et du Modem, ont défendu la mesure. « Vous êtes pour que les militaires soient pour le maintien de l’ordre ? C’est un autre métier ! », leur a répondu, énervé, le chef de file de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon. Il a été rejoint dans ses critiques par la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, qui s’est exclamée : « L’armée, on l’envoie contre des ennemis ! Pas contre les Français ! »