Gendarme lors des émeutes de 2005, il raconte : « Je ne mérite pas de me faire tuer parce que je porte du bleu »
–CRÉÉ : 30-10-2015 13:42
TÉMOIGNAGE EXCLUSIF – Gabriel avait la vingtaine quand la révolte des banlieues a éclaté, en octobre 2005. Jeune gendarme, il s’est retrouvé déployé en région parisienne. Il raconte ces jours d’émeutes qui l’ont marqué à vie.
Cette semaine, cela fait 10 ans que les banlieues se sont enflammées après la mort de Zyed et Bouna. Les médias, dont metronews, sont revenus sur cette actualité violente. Jeunes émeutiers de l’époque, personnes engagées dans l’associatif, politiques, tous ont eu la parole. Manquait celle des policiers et gendarmes déployés sur le terrain, et pour cause : ils n’ont pas le droit de parler à la presse sans l’accord de leur hiérarchie. Metronews a retrouvé un gendarme déployé lors des émeutes.
« Des rues bloquées, des jets de pierres, des flammes, des flammes et encore des flammes ». Quand on demande à Gabriel, la trentaine*, quelles sont les images qui lui viennent à l’esprit quand il entend les mots « émeutes de 2005 », sa voix à l’accent chantant n’hésite pas. Lors de cet autonome 2005 où les banlieues se révoltent après la mort de Zyed et Bouna, deux adolescents tués dans un transformateur dans lequel ils s’étaient réfugiés alors qu’ils fuyaient la police, Gabriel vient d’être nommé « sous-off ». Il a la vingtaine. Et est envoyé dans une de ces cités de région parisienne qui brûlent. Un lieu précédé de sa réputation, particulièrement pour lui, qui vient d’un milieu rural : « Une cité parisienne, c’est quand même pas rien… La première fois que tu y entres, tu ne fais pas le fier. Tu te demandes ce qu’il va t’arriver ».
« Les gens étaient surpris qu’on les vouvoie »
Mais si ce déploiement en zone policière est rare pour un gendarme, il en fait une force : « Je n’ai pas le même contact avec la population que mes camarades de la police qui sont confrontés à plus de violence et qui ont donc une approche différente. Pendant les premiers jours de ma mission, on patrouillait directement dans les cités, sans casque, avec juste le calot sur la tête. On discutait avec les jeunes, les familles, dans la rue. Ils étaient surpris du vouvoiement. Ils étaient habitués à un autre type d’approche. Ils étaient très bien avec nous ». Mais hélas, la nuit suivante, tout bascule.
C’est avec la voix calme de ceux qui ont l’habitude de mettre à l’épreuve leur sang-froid que Gabriel raconte la suite : « Dans les premiers jours, on patrouillait toujours selon le même itinéraire. Il y avait une rue où on discutait avec les gens la journée, où sept ou huit véhicules étaient toujours stationnés ». Mais cette nuit-là, la rue est déserte. Comme si les riverains savaient qu’il allait se passer quelque chose. Et pourtant, jusqu’ici, tout allait bien : « On n’avait pas eu d’agressions directes, juste quelques feux ». Il le confesse d’ailleurs aujourd’hui : « En quelques jours, on avait eu le temps d’entrer dans une routine ». Mais quand un pavé gros comme « deux fois [son] poing » s’écrase entre lui et son « camarade », alors qu’ils patrouillent sans casque, la peur et l’adrénaline se diffusent en lui avec la force et la soudaineté d’une interpellation du GIGN à 6 heures du matin. « On s’est retrouvé en un instant sous une pluie de pavés. » Les gendarmes courent se mettre à l’abri, enfilent leur casque et entrent dans l’immeuble d’où les pierres ont été lancées pour « interpeller des auteurs ». Peine perdue, ceux-ci se sont réfugiés dans un appartement. « On a compris que, dans tous les cas, il ne fallait pas se fier aux apparences. On restait indésirables sur les lieux. »
« Tu sens la haine des gens contre toi »
Cet épisode façon chat et souris illustre l’évolution des émeutes que Gabriel a ressentie sur le terrain de jour en jour. « Les premiers soirs, tu sens la colère, la haine des gens contre toi. Ils venaient au contact nous provoquer. Tu sentais qu’ils n’avaient pas peur de prendre des coups, qu’ils voulaient en découdre. Ils commettaient leurs agissements délictueux face à nous, sans souci ». Mais assez rapidement, la colère retombe. « Les trois ou quatre derniers jours, c’était : on allume un feu, on s’enfuit, le tout à 400 mètres de nous. » Une situation qu’il synthétise : « Au début, c’était un mouvement social. Et à la fin, c’était une course au JT de TF1 ».
Si Gabriel a conscience de la dimension sociale de ces émeutes, il n’excuse pas la violence. « On parle de vies humaines. À l’époque, j’ai la vingtaine, je ne mérite pas, parce que je porte du bleu, de me faire tuer à cause d’un événement qui ne me concerne pas. On est pas responsable des malheurs des gens ou des erreurs de toutes les forces de l’ordre du pays. » Il reconnaît néanmoins qu’elles « ont la responsabilité de beaucoup de choses lors d’une intervention. Malheureusement, on a peu de temps de pour réfléchir. C’est de l’instinct sur le moment. »
« J’ai réalisé que je pouvais y passer »
La mort de Ziyed et Bouna est pour lui « évidemment dramatique ». Quand on insiste sur le jeune âge des deux adolescents qui rend encore plus tragique leur mort, il contextualise : « Comme les mineurs sont protégés par le système judiciaire, ce qui est très bien, certains d’entre eux en profitent parfois pour commettre plus de délits que certains adultes ». Et face à des ados, en mode interpellation, les forces de l’ordre sont amenées à agir comme s’ils étaient « face à des adultes ». « A 15 ans, un gamin peut être plus costaud que toi ».
Dix ans après, il affirme que cette expérience n’a pas vraiment changé sa façon de travailler, même s’il a appris, après l’épisode de l’embuscade, à « ne jamais relâcher sa concentration sur le terrain ». Mais il y a quelque chose qui l’a marqué à jamais en tant qu’homme : « J’ai réalisé que je pouvais y passer dans l’exercice de mes fonctions ». Une réalité qui le fait évoluer au quotidien : « Tu prends plus soin de toi, tu profites des choses car tu ne sais pas ce qu’il peut t’arriver plus tard, d’autant plus que notre société est de plus en plus violente ».