Frapper les voyous au portefeuille
Faits divers – Le fait du jour
Envoyer les délinquants en prison ne suffit plus. Désormais, la justice, les policiers et les gendarmes, cherchent à pénaliser financièrement les auteurs d’infractions.
Groupement de gendarmerie, cette semaine. Deux cambrioleurs sont interpellés. Ils avaient vidé une maison, emportés écran plat et bijoux. Le préjudice avait été estimé à 2000 €. Le butin a bien sûr été très vite revendu sous le manteau. «Nous avons saisi un ordinateur portable et un smartphone dernier cri, achetés tout à fait légalement, pour une valeur de 2000 €. La loi le permet», détaille un spécialiste de la gendarmerie. Et les cambrioleurs, peu aux faits des évolutions de la loi, font grise mine.
«Aujourd’hui la loi nous permet d’aller très loin. Bien sûr, nous pouvons saisir des voitures mais également des immeubles, des parts de société, des fonds de commerce…», énumère ce spécialiste qui a travaillé à l’Agrasc, l’agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués. Désormais ce gendarme s’occupe d’une cellule régionale pour la gendarmerie. Objectif : former et conseiller les enquêteurs pour que les enquêtes entraînent des saisies.
En effet, longtemps, la saisie des avoirs criminels se heurtait aux lourdeurs des procédures et surtout aux réticences des enquêteurs, et même des magistrats, qui ne voulaient pas s’embarrasser «de choses compliquées» aux résultats aléatoires. Les lois ont évolué (loi Perben 2 en 2004, loi Warsmann en 2010) et les mentalités également.
Le procureur Pierre-Yves Couilleau souligne la volonté «de taper le portefeuille des délinquants» (lire l’interview). Et si les saisies liées aux trafics de stupéfiants abondent le fonds de concours «stupéfiants», toutes les autres infractions profitent aussi directement aux services d’investigation. «Si nous avons de beaux écrans pour visionner les vidéos de surveillance, c’est grâce aux saisies. Notre ministère fait des économies», sourient les enquêteurs. Mais aussi aux victimes puisque l’Agrasc peut indemniser les victimes par exemple d’escroquerie.
Sur l’année 2015, tous services confondus, plus de 7,7 millions d’euros ont ainsi été confisqués sur le département et la région selon les chiffres officiels communiqués par le parquet de Toulouse. Une très bonne année. La preuve que cet enjeu appartient désormais aux priorités.
La drogue finance… les enquêtes
Octobre 2006, dans un incinérateur de la Haute-Garonne, les hommes de la police judiciaire s’offrent un feu de joie chiffré autour de 10 millions d’euros ! Trois cents kilos de cocaïne pure à plus de 95 %, saisis après une longue enquête, sont détruits dans un incinérateur où la température dépasse le 1 000 °. Si cette flambée était exceptionnelle, les destructions de produits stupéfiants sont régulières à Toulouse. «Toutes les drogues saisies lors des enquêtes sont détruites dans des incinérateurs», souligne un officier. Une destruction qui intervient après analyse des produits pour confirmer qu’il s’agit bien de produits stupéfiants et dont le trafic, la possession ou le transport sont interdits par la loi. L’argent, les voitures, éventuellement les montres et autres objets pris aux trafiquants sont eux versés après leur vente par les domaines au «fonds de concours drogue» géré par le ministère de l’Économie. L’argent est ensuite redistribué via la mission interministérielle de la lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT). Les services d’enquête en profitent puisque 35 % de l’argent récolté va à la police, 25 % à la gendarmerie, 20 % à la justice, 10 % aux douanes et 10 % au ministère de la Santé. Selon le ministère de l’Intérieur, en 2011, la police a ainsi récupéré 7,3 millions d’euros.
Un bateau, des outils… des brouilleurs
Si la loi facilite les saisies par les services d’enquête et la confiscation par la justice, «tout est très précis, très encadré», affirme un spécialiste. Cela n’empêche pas des saisies parfois surprenantes quand elles ne sont pas comiques comme les gendarmes de la section recherches de Toulouse, qui, dans leur traque des «égoutiers» de Bessières, ont mis la main sur des matériels très sophistiqués pour brouiller les conversations et les ondes radios ! «Nous allons demander à récupérer ces équipements techniquement d’excellente qualité», prévient un officier de cette unité. Dans le même genre, après une enquête sur une équipe de gens du voyage qui multipliaient les casses, les gendarmes de la SR ont récupéré une berline allemande qu’ils utilisent quotidiennement. Mais également des outils dignes d’un garage de professionnel désormais affectés au garage de… la gendarmerie. En revanche, pas de Porsche ou de Ferrari pour équiper gendarmes ou policiers. «La gestion serait trop lourde. Et, en cas de restitution ordonnée par la justice, la facture serait trop salée», confie un spécialiste.
Un sac griffé à 7 000 €
Chez un individu soupçonné de trafic de drogue, les policiers ont récupéré récemment beaucoup d’argent liquide dans un sac d’un grand couturier. Les billets ont été saisis comme le sac vendu, officiellement, 7 000 € ! Il sera bientôt proposé aux enchères organisées par les Domaines. Ce qui sera également le cas d’un bateau saisi par la police alors que son propriétaire prenait la route direction le Maghreb. Outre le bateau tout neuf, les enquêteurs ont récupéré des dizaines de sacs de vêtements volés. Les «fringues» ont été largement restitués aux magasins victimes de ces voleurs redoutables. Le bateau patiente dans un garage et doit être estimé par les Domaines. Comme l’enquête démontre qu’il a été acheté avec les bénéfices des nombreux vols, lui aussi sera vendu aux enchères.
Et les immeubles constituent souvent des saisies importantes. La brigade financière de la sûreté a saisi plusieurs terrains et villas à Toulouse pour un montant supérieur à 2 millions d’euros. Mis en examen, le propriétaire conteste l’escroquerie mais pour l’instant, ses biens sont dans les mains de la justice. Et en 2015, le service régional de police judiciaire a saisi 3,2 millions d’euros de biens immobiliers !
Interview Pierre-Yves Couilleau, Procureur de la République
«Avec plus de 7 millions saisis, nous progressons»
Procureur de la République, patron du parquet de Toulouse, Pierre-Yves Couilleau veut utiliser tous les textes de loi pour «sanctionner les délinquants là où ça fait le plus mal : le portefeuille !»
Depuis les lois Perben de 2004, la législation qui concerne la saisie des avoirs criminels a-t-elle beaucoup évolué ?
Pierre-Yves Couilleau : Les lois Perben ont marqué un tournant. Elles ont été les premières à nous permettre de nous intéresser à l’argent sale. Cela a considérablement élargi notre champ d’action mais cela restait encore limité. On pouvait arrêter un délinquant, estimer que son train de vie n’était pas en adéquation avec ses revenus officiels mais si rien ne se trouvait à son nom, notre action restait bloquée.
Aujourd’hui les textes vous permettent-ils d’aller plus loin ?
Beaucoup plus loin. Nous pouvons saisir en lien direct, ou indirect, avec l’infraction. Un exemple simple : un individu braque une banque et emporte 10 000 €. Le temps que l’enquête progresse, que l’individu soit identifié et interpellé, l’argent a été dépensé. Nous pouvons saisir par exemple sa voiture d’une valeur de 10 000 € même si ce véhicule a été acheté avec de l’argent gagné dans un cadre autorisé.
Les services d’enquête ont-ils intégré cette dimension économique ?
Les magistrats du parquet de Toulouse les encouragent. Mes instructions sont très claires. En 2015, tous les services de police et de gendarmerie du département ont saisi 7 740 855,20 €. Une forte augmentation. Le réflexe a été acquis et pas seulement dans des dossiers «classiques» de trafics de stupéfiants ou d’escroquerie. La police judiciaire a par exemple saisi 121 130,50 €, bloqués 857 000 € sur des comptes bancaires. La collaboration des spécialistes de l’Agasc, l’agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, est efficace. Les enquêteurs saisissent, la justice confisque, l’Agasc vend par anticipation et si jamais le suspect est finalement déclaré innocent, on le rembourse à hauteur de la valeur de son bien.
En dehors de la grande délinquance, des saisies sont-elles possibles ?
Aujourd’hui un conducteur sans permis ou ivre qui a été déjà condamné peut se faire saisir sa voiture. Devant le tribunal correctionnel de Toulouse, de telles confiscations sont prononcées régulièrement.