En 2015, les gendarmes peuvent désormais « prédire » l’avenir
DOSSIERS :
LES BOSS DES MATHS – Bernard Cazeneuve inaugure jeudi le nouveau pôle dédié aux investigations scientifiques de la gendarmerie nationale, à Cergy-Pontoise. Parmi ses techniques de pointe, une pratique méconnue : l’analyse prédictive.
Le bâtiment est flambant neuf, les pelouses ne sont pas encore sorties de terre, le macadam est frais. Modèle ? Le labo du FBI à Quantico et ses homologues suédois ou danois. Bienvenue au PJGN, le Pôle judiciaire de Gendarmerie nationale, à Cergy-Pontoise, dans le Val-d’Oise. Terminé Rosny-sous-Bois, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve inaugure jeudi cette structure dernier cri de 20.000 m2 qui accueille désormais, sur près de six hectares, les activités de police technique et scientifiques de la « maison bleue ».
- Une cellule de prédiction
Les « experts gendarmerie », pour la caricature franchouillarde, ce sont trois unités regroupées sur ce site, avec l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), le Centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N) et le Service central du renseignement criminel (SCRC).
Cette dernière entité renferme en son sein une division spécialisée notamment dans une discipline encore peu connue : l’analyse prédictive. Le travail de ces gendarmes consiste tout simplement… à prédire l’avenir. Objectif : mieux prévenir le risque par un déploiement des effectifs plus intelligent et adapté.
« On est loin du schéma caricatural de Minority Report », prévient d’emblée le Lieutenant-colonel Patrick Perrot, chef de la Division analyse et investigation criminelle du SCRC, qui compte depuis deux ans une dizaine de gendarmes spécialisés dans l’analyse prédictive.
- Alors, l’analyse prédictive, comment ça marche ?
« On ne peut pas dire qu’un individu est préprogrammé pour commettre un meurtre. Nous travaillons sur le développement de faits, leur étendue et les axes les plus importants à surveiller. C’est une analyse de l’espace qui est fondamentale en gendarmerie », explique-t-il.
Concrètement, ces gendarmes exploitent différentes données statistiques afin de permettre aux groupements (échelon départemental de commandement de la gendarmerie, Ndlr) et régions de gendarmerie de connaître les tendances de la délinquance dans le temps et dans l’espace :
1. Les faits passés
Pour établir leurs « prédictions » sur une zone précise, ces gendarmes « option maths » travaillent sur les faits qui y ont été enregistrés dans le passé par la police et la gendarmerie.
2. Les stats de l’Insee
D’autres données nettement plus larges y sont agglomérées telles que les statistiques socio-économiques de l’Insee, comme le taux de population au RSA ou le nombre de retraités dans une ville.
3. Des données économiques et sociales
La création de quartiers résidentiels, de logement sociaux, le développement d’infrastructures de transport en commun… « Toutes ces données-là sont prises en compte pour voir comment évolue la criminalité, car c’est aujourd’hui avant tout une problématique sociale et économique », précise le Lieutenant-colonel Perrot.
- Comment les prévisions sont-elles matérialisées ?
Ces chiffres sont ensuite intégrés dans un calcul savant, à grand renfort d’algorithmes, dont le résultat est couché sur une sorte de carte météo des cambriolages, des agressions ou encore des escroqueries bancaires, à l’échelle nationale, régionale et départementale.
- A quoi ça va servir sur le terrain ?
Sur le terrain et dans les faits, cet « outil de décision » permet par exemple à un chef de groupement de gendarmerie d’orienter ses patrouilles en fonction de la menace, de surveiller une zone particulière ou de mettre en place des contrôles routiers ciblés. « L’objectif est d’optimiser le ciblage face au développement de la criminalité pour être le plus pertinent possible dans notre surveillance », poursuit le Lieutenant-colonel. Et sur le terrain, les gendarmes sont demandeurs, assure-t-il : « un chef agglomère le maximum de données pour être efficace. Car aujourd’hui, la sécurité est un enjeu majeur au niveau d’un département ou d’une région ».
- Et comment savoir si la prédiction s’est avérée juste ?
« Si je veux prédire l’année 2015, je vais construire mon modèle de prédiction avec les données de 2008 à 2013. Si la différence entre les faits constatés et la prédiction est très faible en 2014, je me projetterai sur 2015. Si ce n’est pas le cas, je ne ferai pas de projection sur 2015. C’est ce seuil qui permet de voir si notre modèle est efficace ou pas ». En clair, la prédiction est efficace quand, justement, elle ne se vérifie pas : la stratégie déployée par les gendarmes sur le terrain a payé. Et le Lieutenant-colonel Patrick Perrot de conclure : « l’analyse prédictive, c’est exploiter le passé pour comprendre le présent et prédire l’avenir ».