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L’autorité judiciaire en dévoile un peu plus sur les contours du vaste coup de filet anti-pédopornographie réalisé
L’autorité judiciaire en dévoile un peu plus sur les contours du vaste coup de filet anti-pédopornographie réalisé ce lundi aux quatre coins de l’île.
Par Ludovic Grondin – Publié le Mercredi 10 Novembre 2021 à 20:45
Les procureures des parquets de Saint-Denis et de Saint-Pierre se sont exprimées sur le coup de filet ordonné en début de semaine à La Réunion. Des détenteurs d’images pédopornographiques ont été interpellés à leur domicile, et à leur réveil, lundi. L’opération menée conjointement autant en zone gendarmerie que police a mobilisé toute la chaîne pénale, auxiliaires de justice compris.
Une série d’interpellations que les procureures Véronique Denizot et Caroline Calbo ont voulu effectuer de façon concomitante afin d’éviter la déperdition des preuves.
Une opération « extra-ordinaire », affirme la nouvelle procureure de Saint-Denis. Extraordinaire par l’ampleur des moyens engagés et le temps consacré. Il y a six mois de cela, révèle le général Pierre Poty, ses hommes de la section de recherches ciblaient une vingtaine d’internautes qui ont pour habitude de fréquenter le deep web. Dans les méandres de la Toile, ces Réunionnais visionnent et téléchargent des images faisant figurer des mineurs dans des positions sexuelles par définition dégradantes au vu de l’insouciance de ces jeunes victimes. Leur chasse est alors lancée avec le concours d’un service dédié, le C3N* situé en métropole, à Pontoise, car ce dernier possède « des moyens techniques dont nous ne disposons pas forcément sur le plan local », reconnaît le commandant de la Gendarmerie.
L’évidence ne tarde pas à sauter aux yeux des profilers. Ils ont affaire à des internautes qui fréquentent clairement ces sites aux photos abjectes. « On est loin de la recherche Google », compare subtilement le général Poty pour caractériser la détermination de ces chasseurs d’images sales.
Sur la vingtaine d’individus repérés, 17 sont finalement retenus à l’issue du travail de fourmis mené localement pour mettre un nom derrière les adresses IP de ces internautes. Leur interpellation interviendra dans le même timing lundi matin aux aurores.
Une dangerosité et une perversion sexuelle inquiétante
Cette simultanéité ne signifie pas pour autant l’existence d’un réseau. « Chacun est poursuivi individuellement », confirme Véronique Denizot, approuvant le choix d’un jugement rapide sous la forme de comparutions immédiates. A l’heure où ce point presse était donné au tribunal de proximité de Saint-Paul, les audiences des prévenus n’étaient pas toutes terminées – dans le nord et dans le sud – mais leur condamnation accompagnée, quoi qu’il arrive, d’un suivi psychologique, ne faisait déjà aucun doute.
Parmi les 17 prévenus, l’un présente « une dangerosité et une perversion sexuelle inquiétante ». Un trait de caractère qui n’est apparu aux magistrats que lors de son expertise menée lors de sa garde à vue. Un profil qui « laissait craindre un passage à l’acte », évoque même le général Poty.
Jusqu’à 5000 fichiers
Livrant encore un peu plus de détails sur les profils de ces 17 hommes, Véronique Denizot fait ressortir le profil de personnes plutôt solitaires. Pour celles qui ont une vie de famille, c’est la stupéfaction qui semble régner dans l’entourage des interpellés, selon le commissaire Thierry Le Floch. Aucun élément ne laisse penser que des personnes de leur entourage aient été au courant de leur double vie sur le Net. « S‘agissant des quatre mis en cause en zone Police, j’ai lu l’audition de deux épouses qui n’en avaient absolument pas connaissance; et nous n’avons pas du tout décelé d’éléments pouvant contredire leur ignorance de l’addiction de leur conjoint », intervient le commissaire Le Floch.
Cette opération d’envergure qui constitue une première dans un territoire domien a valeur d’exemple, reconnaît quant à lui le numéro 1 de la Gendarmerie à La Réunion. Par son mode opératoire, « ce signal très fort envoyé » montre que même derrière un écran, personne n’est à l’abri d’une réponse de la Justice.
Dans les villes du ressort du tribunal judiciaire de Saint-Pierre, 8 personnes ont été déférées ce mercredi matin. 7 ont comparu dès cet après-midi. Une seule va faire l’objet d’un délai différé en raison de l’expertise psychologique qui n’a pas pu être menée dans le créneau des 48 heures de garde à vue. Leur profil va d’un jeune homme de 21 ans jusqu’à celui d’un homme âgé de 53 ans. Certains ont téléchargé 4 fichiers lorsqu’un autre a fait une véritable razzia. Les enquêteurs ont retracé le download de pas moins de 4000 fichiers sur son ordinateur.
« La plupart ont reconnu les faits, et certains même une véritable addiction. Tous sauf un », affirme Caroline Calbo, procureure de Saint-Pierre.
Un gardé à vue abusé dans son enfance
En zone Police, pas moins de 24 fonctionnaires ont été mobilisés. Parmi les prévenus, des profils très particuliers ont été trouvés. Hormis les images à caractère pédophile et certaines combinées à de la zoophilie, les policiers sont parfois tombés sur des images mettant en scène des bébés. Le chef de la Sûreté départementale parle d’« une charge émotionnelle importante pour ses enquêteurs qui sont avant tout des hommes et des femmes, parfois pères et mères de famille ». C’est d’ailleurs sur son secteur de la circonscription de Saint-Denis que le profil du plus gros consommateur d’images montrant des mineurs a été localisé, sur les 17 interpellés. Le Dionysien possédait plus de 5000 fichiers. Un autre gardé à vue a quant à lui avoué avoir été abusé dans son enfance dans un cadre religieux pour tenter d’expliquer son attirance pour de telles images.
La dureté des images est aussi un aspect qui révolte Véronique Denizot. « Aucun territoire n’est épargné. Ce sont des faits qui ne faiblissent pas. Notre lutte doit toujours s’exercer face à des images insoutenables, qui nous heurtent », ne s’habitue pas la magistrate au parcours et aux dossiers pourtant très fournis au sein de l’institution judiciaire. « Malgré l’expérience qui est la nôtre, il est difficile pour nous d’étudier des dossiers avec de très jeunes enfants subissant des actes sexuels par des adultes », ajoute-t-elle. Sa collègue du parquet Sud salue également les techniciens d’investigation de la Gendarmerie nationale – d’ailleurs présents à ce point presse – qui sont confrontés chaque jour à ce type d’images.
Sur les teraoctets de données informatiques saisies chez ces particuliers, aucun fichier n’indique pour l’heure que des images auraient été photographiées ou tournées à La Réunion.
*centre de lutte contre les criminalités numériques