Elle invente une césure pénale qui va dissocier culpabilité et sanction.
Il paraît que des psychologues de l’enfance – on en trouve toujours au service de la cause qu’on décrète légitime – ont validé un tel processus qui semble pourtant battu en brèche par l’expérience et accessoirement par le bon sens.
En effet, ce que la transgression commise par un adolescent exige est, au contraire, une décision la plus rapide possible, qu’elle le condamne ou l’exonère. Rien de pire pour ces jeunes personnalités que l’attente, l’atermoiement, le retard, même apparemment pour d’excellents motifs. Ce que l’adulte confronté à l’autorité judiciaire perçoit déjà imparfaitement, pourquoi voudrait-on que le mineur, par miracle, l’appréhendât autrement ?
Si ce délai de six mois pouvant être prorogé de six mois sera rarement mis à profit par l’adolescent déclaré coupable, dans la majorité des cas, en revanche, ce délai aura une tonalité d’indulgence, un parfum d’atténuation anticipée et, pour tout dire, la déclaration de culpabilité risquera de lui apparaître comme une mesure purement symbolique puisqu’elle ne sera pas accompagnée sur-le-champ par la traduction concrète de cette dernière.
C’est mal mesurer la nature de ces mineurs au demeurant déjà singuliers, car impliqués dans une délinquance légère ou grave, que de leur octroyer un laps de temps considérable pour réfléchir et démontrer quand ils auront tendance à l’exploiter sinon pour le pire, du moins pour n’en rien faire.
Sous ces erreurs aussi bien psychologiques que techniques se dissimule l’obsession de contrarier les évidences et de prétendre à toute force leur substituer un irénisme qui n’est ni conforme à l’évolution de la minorité depuis 1945 ni favorable à la sauvegarde de la société.
Il y avait consensus, pourtant, sur le fait que l’ordonnance de 1945, si on décidait de la modifier pour en faire « un Code de la justice pénale des enfants et des adolescents » – comme ce pouvoir adore les sigles solennels qui lui donnent l’impression d’avoir amélioré le réel ! –, ne pouvait pas l’être dans un sens qui amplifierait l’éducatif au détriment du répressif. Pour le moins, il convenait de donner toute sa part à celui-ci ou, au mieux, de l’accroître.
Le projet de réforme s’applique à l’inverse en vertu d’une tendance dévastatrice qui, du dogmatisme à la naïveté, est fondée sur le même terreau : occulter ce qui crève les yeux et l’esprit, nier ce que le quotidien fait subir, plaquer sur une réalité éprouvante des concepts inadaptés, se donner bonne conscience en traitant ces « enfants et adolescents » comme si rien ne les distinguait de tous les autres.
Le premier trimestre 2015 était prévu pour l’examen de ce projet mais le calendrier parlementaire ne le permettra pas.
Il est triste de devoir compter, pour la sécurité et la justice, plus sur les embarras législatifs que sur la lucidité de nos gouvernants.
Extrait de : Du dogmatisme à la naïveté : un itinéraire judiciaire de gauche