Affaire Nordahl Lelandais : révélations sur les 40 dossiers ciblés par les enquêteurs
Gendarmes et policiers enquêtent sur 40 dossiers non élucidés à l’aune du parcours du tueur présumé de la petite Maëlys et du caporal Noyer. Le Parisien révèle les dessous de cette liste confidentielle, établie par la cellule Ariane de la gendarmerie.
Ils s’appellent Stéphane, Adrien, Nelly, Malik, Jean-Christophe, Ahmed ou encore Thomas. Autant de personnes mystérieusement évaporées ou retrouvées mortes dans la région Auvergne Rhône-Alpes ces dernières années. Autant d’enquêtes sur lesquelles la justice s’est cassé les dents, faute de corps ou d’indices conduisant à un suspect. À moins que de nouvelles investigations tissent le fil jusque-là manquant…
LIRE AUSSI >«Je suis convaincu qu’il est responsable de la mort de mon fils»
Après un an d’analyses et de recoupements, la cellule Ariane de la Direction générale de la gendarmerie nationale, créée en janvier 2018 pour identifier d’autres crimes potentiellement imputables à Nordahl Lelandais et basée à Pontoise (Val-d’Oise), a sélectionné ces 40 dossiers non élucidés sur les 900 étudiés initialement.
Le Parisien – Aujourd’hui en France a pu reconstituer cette liste confidentielle, en interrogeant de multiples sources. Il s’agit de 35 affaires de disparitions inquiétantes et 5 de morts suspectes. Ces drames sont survenus dans six départements de la région du tueur présumé de la petite Maëlys et du caporal Arthur Noyer : Savoie, Isère, Drôme, Rhône, Loire et Ain. Les victimes sont des hommes (27) ou femmes (12) souvent âgés de moins de 40 ans, à l’exception d’une fillette disparue près de Lyon.
Les gestes d’un criminel expérimenté
Ces enquêtes – confiées pour 25 d’entre elles à la police judiciaire, 15 aux sections de recherche de la gendarmerie – font l’objet d’intenses investigations croisées avec le parcours de Lelandais. « Rien ne dit qu’il était sur les lieux, mais rien ne dit qu’il n’y était pas », confie, avec prudence, un haut fonctionnaire. Un autre résume : « Il y a des interrogations, parfois grosses, sur certains dossiers. Mais à ce jour, aucun élément ne permet de l’impliquer et il est possible qu’aucune preuve ne soit trouvée. Attention à ne pas créer de faux espoirs aux familles. »
L’ancien maître-chien de 36 ans, qui a reconnu deux meurtres, aurait-il pu faire d’autres victimes ? Les enquêteurs, qui ont étudié sa personnalité fermée et indéchiffrable, n’ont pas le même avis. Certains relèvent que ses gestes, comme couper son téléphone, sont ceux d’un criminel expérimenté. D’autres qu’il a parfois semblé improviser, notamment en faisant des recherches traçables sur la décomposition des corps.
Pour retenir ces 40 dossiers, les huit gendarmes de la cellule se sont fondés sur des critères géographiques, temporels, et sur le profil des victimes. Ils ont aussi étudié la position de Nordahl Lelandais jusqu’au début des années 2000, en épluchant ses lignes téléphoniques, ses relevés bancaires, ses voyages, ses contrats de travail…
Une jeune femme en scooter et des festivaliers
Les gendarmes ont d’ores et déjà mis neuf enquêtes au-dessus de la pile. Il y a d’abord celles du Fort Tamié : deux Savoyards de 22 et 45 ans, disparus à un an d’écart à la sortie du même festival électronique. Les investigations révèlent que Lelandais, habitant de Domessin, se trouvait dans la Savoie à ces moments-là : il rentrait de vacances d’été. Mais sa présence aux festivals n’est pas confirmée, bien qu’il soit amateur de rave parties. Il a par ailleurs connu Ahmed Hamadou, l’un des disparus.
Figure aussi sur la liste Éric Foray, évaporé en faisant ses courses dans un village de la Drôme en 2016. Ainsi que Nelly Balmain, jeune femme de 29 ans introuvable depuis qu’elle a quitté son domicile de Saint-Jean-en-Royans à scooter, en 2011. Des profils plus fragiles ont également été retenus, à l’image de Stéphane Chemin, un Isérois souffrant de schizophrénie, ou Lucie Roux, volatilisée d’un hôpitalpsychiatrique, fréquenté la même année par Lelandais.
LIRE AUSSI >Lelandais aux experts psychiatres : «Comme si une seconde personne était en moi»
De leur côté, les policiers examinent six dossiers en priorité. Avec une attention particulière pour celui d’Adrien Fiorello, disparu à Saint-Étienne (Loire) en 2010. Ce jeune homme de 22 ans aurait fréquenté des établissements prisés de la communauté homosexuelle, ce qui intéresse les enquêteurs puisque Lelandais a eu des liaisons avec des hommes. Le téléphone d’Adrien a par ailleurs été localisé à Chambéry, ville où résidait cette année-là le suspect.
Troublante affaire Rauschkolb
Les policiers se concentrent également sur des affaires de disparitions peu voire pas médiatisées. Il y a Hugo Raffi, 18 ans, parti de chez lui en tongs, sans portable et sans papiers à Albertville (Savoie) en 2012. Adlène Kifani – l’un des dossiers les plus anciens – qui n’a plus donné signe de vie après avoir passé un bref appel au 17 sur le chemin d’un bar à Portes-lès-Valence (Drôme) en 2009…
Parmi les affaires de meurtres ou de morts suspectes, la plus emblématique est celle de Thomas Rauschkolb. Le corps du garçon de 18 ans avait été découvert dans une rivière proche de Chambéry au lendemain d’une sortie en discothèque fin 2014. Son père n’a jamais cru à la piste initiale d’une chute accidentelle, faisant valoir des éléments troublants : Thomas avait pris un itinéraire inhabituel ce soir-là, perdant en route une chaussure, et sa ceinture était restée curieusement accrochée à un grillage.
L’étude de ces 40 dossiers a déjà permis… d’en éliminer deux. Deux disparus, Alexis et Dogan, ont finalement refait surface sans que la justice n’en soit informée. Pragmatiques, les enquêteurs espèrent surtout profiter de cet élan impulsé par la cellule Ariane pour résoudre ces affaires en friche. Peu importe si Nordahl Lelandais ne se trouve pas au bout.