Affaire Kulik. Les empreintes ADN au cœur de l’enquête et du procès
Willy Brandon comparaît ce jeudi devant les Assises de la Somme pour le viol et le meurtre d’Élodie Kulik, en janvier 2002. Les échantillons ADN retrouvés près de la victime qui ont permis de remonter jusqu’à l’accusé sont mis en cause par la défense.
Ouest-France avec AFP.Publié le 20/11/2019 à 10h42
Élément central ayant permis de faire aboutir l’enquête, mais aussi argument-clé de la défense, l’ADN devrait jouer un rôle prépondérant au procès qui s’ouvre jeudi 21 novembre aux assises de la Somme, de Willy Bardon pour le viol et le meurtre d’Elodie Kulik en janvier 2002.
Dans cette affaire, deux types d’ADN ont été retrouvés. Sur et à proximité du cadavre, les enquêteurs ont découvert du sperme et un préservatif permettant d’établir rapidement un ADN nucléaire masculin en plus de celui de la victime.
Dans sa voiture accidentée, ils ont prélevé des « éléments pileux » dans une botte appartenant à la victime, retrouvée derrière les sièges avant. Ces éléments ont permis de mettre en évidence deux ADN mitochondriaux.
Entre les deux types d’ADN, une différence de taille : l’ADN nucléaire est transmis par les deux parents, il est unique pour chaque individu, quand l’ADN mitochondrial est transmis uniquement par la mère et peut donc présenter des segments identiques pour des personnes apparentées.
« L’ADN mitochondrial est moins discriminant que l’ADN nucléaire et ne permet pas d’isoler un individu », a dit à l’AFP Richard Marlet, ancien chef de l’identité judiciaire parisienne (1995-2005) et auteur, avec Pierre Piazza, du livre La science à la poursuite du crime.
« Le FNAEG (Fichier national automatisé des empreintes génétiques, NDLR) ne comprend que des profils génétiques issus de l’ADN nucléaire, on ne dispose pas de base de données nationale pour faire des recherches avec de l’ADN mitochondrial », a-t-il précisé.
Un suspect décédé
À partir de l’ADN nucléaire issu du prélèvement de sperme, les gendarmes recherchent un profil correspondant dans le FNAEG, créé par une loi en 1998. Mais, à l’époque, « le fichier ne contient pas beaucoup de profils », se remémore Richard Marlet. « Cet ADN ne matche pas, il ne trouve pas son propriétaire ».
Sans identification, l’enquête piétine. « En 2012, nous n’avancions plus, objectivement, depuis plusieurs années », témoigne Didier Robiquet, avocat historique de Jacky Kulik, le père de la victime. « Le juge d’instruction avait envisagé une grande opération de prélèvements (ADN) sur toutes les populations voisines des lieux du crime ».
Celle-ci n’aura finalement pas lieu grâce à la proposition du capitaine Emmanuel Pham-Hoai, de l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale, qui doit témoigner au cours du procès.
S’inspirant de ce qui se pratique déjà aux États-Unis, il a suggéré une recherche d’ADN apparenté, soit un profil se rapprochant de celui dont disposent les enquêteurs. Pratiquée pour la première fois en France, elle permet d’identifier un homme, lui-même déjà condamné pour des faits d’agressions sexuelles, puis de remonter jusqu’à son fils, Grégory Wiart.
« Ça a été un bouleversement », souligne Me Robiquet. « Les techniques scientifiques le désignaient incontestablement comme l’auteur des faits ».
Mort en 2003, Grégory Wiart est exhumé pour un nouveau prélèvement ADN qui confirme la correspondance avec le profil génétique mis en évidence à partir du préservatif.
« Procès des intuitions »
La section de recherches d’Amiens se penche dès lors sur l’entourage du jeune homme à l’époque des faits. Son ancienne compagne, Katy Dudebout, est placée en garde à vue après que son ADN nucléaire soit mis en évidence lors d’une nouvelle expertise sur le préservatif retrouvé sur la scène de crime.
Quatre hommes sont également placés en garde à vue : leur ADN est compatible avec l’un des ADN mitochondriaux retrouvés. Mais ils nient toute implication et trois d’entre eux affirment reconnaître la voix de Willy Bardon sur l’enregistrement de l’appel de la victime aux secours le soir des faits. Ce dernier sera ensuite mis en examen, les autres ne seront plus inquiétés.
Une situation qui fait dire aux avocats de Willy Bardon, Marc Bailly et Gabriel Dumenil, que le procès qui s’ouvre jeudi est celui « de l’émotion, au détriment des preuves réelles ».
« L’ADN est un élément très important pour un crime comme celui-ci où il y a eu de la violence, une séquestration, un viol », souligne Me Bailly. « Le fait que l’on n’ait pas retrouvé l’ADN de Willy Bardon montre qu’il y a une grande faiblesse dans les accusations à son encontre ».