À Toulouse, une cellule de gendarmerie pour prévenir la radicalisation : une première en France
Après les attentats de janvier et le départ de deux lycéens toulousains en Syrie, la gendarmerie de Haute-Garonne a mis en place une « cellule » de prévention de la radicalisation.
Publié le : 10/12/2015 à 08:00
C’est un appartement sur deux étages, situé en plein cœur de la zone urbaine sensible (ZUS) du Vivier, à Cugnaux. Au premier étage, des bureaux, une salle de conférence et un salon avec canapés et coussins colorés. Au rez-de chaussée, un espace de jeux avec babyfoot et fauteuils. Sur les murs, des fresques réalisées par des jeunes en chantier d’insertion.
Les locaux de la brigade de prévention de la délinquance juvénile (BPDJ) n’ont rien d’une gendarmerie classique. Pourtant à l’intérieur, ce sont bien des militaires, en uniforme, qui accueillent des mineurs en difficulté et leur famille. La BPDJ de Cugnaux est l’unique brigade de ce genre dans la région Midi-Pyrénées mais elle n’intervient que dans le département de la Haute-Garonne. Au cœur de ses missions, aucun rôle judiciaire, mais un service de prévention dans les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur autour de thématiques variées telles que la « loi et la citoyenneté », le « risque numérique » ou les « comportements addictifs ».
Détecter des « signaux faibles de radicalisation »
Depuis six mois, un nouveau module est venu s’ajouter aux attributions des gendarmes. Une sorte de cellule destinée à recevoir des familles qui suspectent un début de radicalisation chez leur enfant.
Il s’agit d’un module d’accompagnement à la parentalité face à des situations pour lesquelles on a des signaux faibles de radicalisation, explique l’adjudant chef Alazet, patron de la BPDJ.
Pour cet ancien prothésiste-dentaire, qui a également travaillé dans la communication avant de se reconvertir dans la gendarmerie « un repli sur soi, un changement soudain de régime alimentaire ou le rejet de tout élément culturel ou musical par exemple, sont des signaux d’alerte ». Autant d’éléments qui peuvent inquiéter professeurs, parents, et proches et qui conduisent ces derniers dans le bureau de l’adjudant chef.
Créée quelques mois après les attentats de janvier 2015 contre la rédaction de Charlie Hebdo et le départ en Syrie de deux lycéens toulousains, cette « cellule » est la première du genre en France.
« Concrètement, cela se traduit par des rencontres avec les familles, puis éventuellement avec l’enfant concerné et ensuite, par un debrief avec l’enfant et la famille en même temps », détaille l’adjudant chef Alazet, qui indique ne pas avoir reçu de formation spécifique sur ces questions. « Nous avons reçu des informations et nous orientons les personnes qui viennent nous voir, soit vers des structures associatives locales, soit vers la cellule mise en place par le gouvernement, stop-djihadisme. Si nous avons affaire à un véritable cas de radicalisation, nous faisons un signalement. Nous sommes avant tout gendarmes et les familles sont avisées dès leur arrivée. »
Objectif affiché : prévenir un départ au djihad ou une radicalisation violente.
Face à la « menace terroriste », le gouvernement a mis en place une plate-forme –stop-djihadisme – et diffuse régulièrement des plaquettes pour inciter les familles et les proches à alerter les autorités, s’ils suspectent un cas de radicalisation :
Cinq familles reçues en six mois
Depuis la mise en place de cette cellule, cinq familles ont été reçues à la BPDJ. Parmi les jeunes, sujets d’inquiétude, quatre garçons et une fille, tous originaires de la grande périphérie toulousaine. À chaque fois, ce sont leurs recherches sur Internet ou leurs fréquentations qui ont alerté les familles. Sur les cinq, « nous constatons déjà trois améliorations et deux jeunes ont été pris en charge par des associations », indique Jean-Marc Alazet.
Il faut être le plus global possible lorsque l’on regarde le problème. Il faut remettre les éléments dans le contexte et parfois, il s’agit simplement d’aider les parents à relativiser, de les rassurer. Un enfant qui arrête de manger de la viande ou qui enlève les posters dans sa chambre n’est pas nécessairement en train de préparer son départ pour le djihad !
Discuter, rétablir le dialogue parfois difficile entre un jeune et ses parents, aider ces derniers à « rasseoir leur autorité »… c’est le lot quotidien des gendarmes de la BPDJ, formés au travail social. Mais c’est « un peu plus compliqué » dans le cadre d’une radicalisation ou d’une conversion. « Un jeune qui se radicalise rejette tout ce qu’il a été avant. Il refuse de parler à ses parents, à ses amis et pour arriver à communiquer avec lui, il faut parfois accréditer certaines de ses thèses. Là où c’est compliqué, c’est qu’il n’y a pas de modèle. Chaque situation est individuelle. »
Les autorités mobilisées à Toulouse
À Toulouse, les cas de radicalisation et les départs en Syrie se poursuivent. Face à la menace, les autorités toulousaines ont décidé d’agir. Mi-septembre, un nouveau directeur de cabinet, dont la feuille de route est, entre autres, tournée vers la sécurité, a été nommé en Haute-Garonne. Il a d’ores et déjà indiqué que des contacts avaient été pris avec les associations locales qui tentent de lutter contre la radicalisation et qu’un important travail de terrain allait être engagé. Sans donner de chiffres précis, il a par ailleurs confirmé qu’un certain nombre de cas étaient suivis, non seulement à Toulouse « mais pas uniquement ».
La nomination d’un nouveau magistrat spécialisé dans la lutte anti-terroriste était par ailleurs espérée au parquet de Toulouse pour septembre. Celle-ci n’a finalement pas eu lieu et c’est un magistrat déjà en place, premier vice-procureur, qui a été nommé référent sur ces questions.
« En France, nous avons les structures nécessaires pour bien orienter les familles, conclut l’adjudant-chef Alazet. Localement, nous avons la chance d’avoir une brigade dynamique et innovante. » L’initiative de la BPDJ de Cugnaux pourrait d’ailleurs être généralisée et des modules de prévention de la radicalisation pourraient être mis en place dans certaines des 42 autres brigades de France.