À cause de son diabète, ce gendarme s’est vu retirer arme et insigne
La journée mondiale du diabète met en lumière une discrimination terrible vis-à-vis des diabétiques: ils ne peuvent exercer de nombreux métiers. Et les mentalités peinent à évoluer.
Par Annabel Benhaiem 14/11/2019 04:12
SANTÉ – Le choc a été rude. Yoann a très mal vécu l’obligation de rendre son arme, retirer son insigne de gendarme et de ne plus pouvoir sortir de la caserne sur les horaires de travail.
La découverte de son diabète de type 1 en 2017 l’a automatiquement radié des opérations extérieures. “C’est éprouvant de voir les copains partir en patrouille, tandis que moi je restais au bureau”, confie-t-il au HuffPost à l’occasion de la journée mondiale du diabète, jeudi 14 novembre.
Parmi les multiples discriminations dont sont victimes les diabétiques, comme les surprimes d’assurance exorbitantes ou le permis de conduire temporaire, celle de l’emploi est particulièrement humiliante.S’INSCRIREAvec la newsletter quotidienne du HuffPost, recevez par email les infos les plus importantes et les meilleurs articles du jour.Merci!Vous êtes bien inscrit à notre newsletter.
Les corps de métiers n’acceptant pas les diabétiques sont nombreux. Gendarmerie, police, pompiers, armée, douanes, haras, génie rural, contrôleurs et conducteurs de la SNCF… La liste complète est disponible sur le site infos-diabete.com.
On compte cependant quelques petites avancées, comme à l’école Polytechnique où l’on considère depuis 2014 que l’aptitude médicale répond aux stricts besoin de la scolarité. Idem pour les métiers de l’hôtellerie sur les bateaux de croisière ouverts aux diabétiques depuis juillet 2019.
À l’étranger, les choses bougent également. Au Canada et en Grande- Bretagne, les diabétiques peuvent piloter des avions, à condition d’être toujours deux dans la cabine. En Espagne, trente années de lutte ont été payantes puisque les métiers de l’armée, de la police et des pompiers sont désormais ouverts.
De son côté, Yoann raconte son attachement au métier de gendarme. “Je suis fils de gendarme, j’ai toujours vécu en caserne, je me reconnais dans les valeurs de ce métier. Dès que j’ai eu le bac, j’ai passé les concours et intégré l’école de sous-officiers en gendarmerie. Je suis devenu motocycliste. Puis, j’ai suivi une formation d’officier de police judiciaire. Au fil des mois, j’ai commencé à perdre du poids, je transpirais beaucoup, je buvais de plus en plus d’eau. Je mettais ça sur le compte de l’été. Je faisais l’autruche. Je savais que j’allais au-devant de grosses complications si je parlais de ces symptômes à la gendarmerie.”
Il attend le tout dernier moment pour consulter.
Le placard? Non merci!
“Dans le cadre de mon travail, je m’étais lié d’amitié avec un médecin des urgences. Je lui ai décrit mes difficultés, il m’a dit de passer le voir. Il a vite diagnostiqué le diabète de type 1. Je lui ai dit, OK, j’ai deux jours de congés, mes chefs ne savent pas que je suis ici, on doit régler ça vite fait. Il a répondu: ‘impossible, je t’hospitalise dix jours minimum’. Puis, j’ai eu trois semaines d’arrêt pour reprendre les douze kilos perdus. À mon retour, ça n’a pas loupé, je suis passée devant le médecin militaire. C’est lui qui m’a dit: ’je vous retire votre arme, votre permis militaire et je vous interdis de sortir sur les horaires de la caserne’. C’est le corps médical qui a imposé ça. Ma hiérarchie, elle, était désolée pour moi. Elle ne pouvait pas faire grand-chose d’un gendarme désarmé. Ils ne voulaient pas se séparer de moi, mais ils n’avaient pas beaucoup de postes à me proposer. J’avais 29 ans, je ne me voyais pas passer toute ma vie au placard. J’aurais pu accepter cela et en profiter pour faire bouger les choses de l’intérieur. Mais je n’aurais pas supporté longtemps de rester derrière un bureau.”
“Les textes datent d’il y a plus de 60 ans”
Selon la loi, les diabétiques n’ont pas le droit d’exercer les métiers de protection de la personne. “Les textes datent d’il y a plus de 60 ans”, dénonce Hakaroa Vallée. Cet adolescent de 15 ans est un vieux de la vieille en matière de lutte contre les discriminations faites aux diabétiques. Depuis ses douze ans, il parcourt la France pour sensibiliser au sort de ses congénères.
Lors des vacances de la Toussaint, il a organisé une course devant l’Assemblée nationale, pour se rappeler au souvenir des députés, ceux-là qui l’avaient écouté lors d’une allocution remarquée en mars 2019.
“Chaque corps de l’armée et de la fonction publique s’appuie sur le règlement Sigycop pour définir l’aptitude des demandeurs”, précise Hakaroa. “Mais il est obsolète, parce qu’il se base sur les données scientifiques des années 1950. Aujourd’hui, les diabétiques peuvent anticiper les hypoglycémies, grâce aux capteurs de glycémie implantés dans le bras. Voire ne pas en avoir, avec ces capteurs qui se superposent aux capteurs pour nous alerter quand le taux de sucre baisse. Et puis, même si on fait un malaise, on se resucre et on repart. Ça ne dure pas.”
“Venir à bout des confusions”
Chez Diabète et Méchant, l’association de patients qui revendique de ne recevoir aucune subvention de l’industrie pharmaceutique, on fait le même constat: “La plupart des interdits professionnels sont évidemment stupides, explique Bertrand Burgalat, musicien et auteur du livre Diabétiquement vôtre. Interdire à un diabétique d’être douanier a autant de sens que d’empêcher les insomniaques d’exercer cette profession. Si Theresa May a eu du mal avec le Brexit, ce n’est pas à cause de son diabète!”
Mais le compositeur fustige ces discours qui consistent à laisser croire que la gestion du diabète est chose aisée: “Le défi pour nous, à Diabète et Méchant, c’est de venir à bout des inexactitudes et des confusions, sans minorer les difficultés et la dureté du traitement auxquels sont confrontés les diabétiques insulino-dépendants.”
Et c’est là tout l’enjeu de ces interdictions. Les médecins qui délivrent les certificats d’aptitude continuent de croire que les hypoglycémies sont le signe d’un mauvais équilibre. Cette confusion empêche encore aujourd’hui les pouvoirs publics de prendre des décisions courageuses.
Vers une réforme de la médecine du travail?
Dans le même ordre d’idée, la fonction publique s’inquiète aussi des complications qui surviennent plusieurs années après la maladie et qui peuvent affecter les yeux, les reins, les nerfs, le système cardio-vasculaire.
Cependant, le vent commence à tourner favorablement. Ainsi, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics, Olivier Dussopt, l’a promis à Hakaroa Vallée, il travaille à un changement d’envergure.
“Nous voulons lever les freins de la fonction publique pour tous les agents atteints de pathologies chroniques, assure-t-il au HuffPost. Le calendrier est déjà officiel: la concertation des différents acteurs doit se terminer à la fin de l’année. Un nouveau plan santé est envisagé. Il intégrerait un système de prévention et de suivi médical, avec la possibilité pour les agents d’être vus par un médecin du travail qui délivrerait un certificat d’aptitude. Un rapport de la députée du Nord Charlotte Lecocq nous a été remis début novembre. Il nous permettra d’élaborer le plan santé. Et il nourrira l’ordonnance que nous espérons pouvoir publier avant l’été 2020.”
Mais la partie est loin d’être gagnée, puisque le Sénat a rejeté le 8 octobre la réforme proposée par le rapport Lecocq, qui préconisait une plus grande indépendance et une meilleure formation des médecins du travail.
Amine MOUSSAOUI@AmineCocolafee
Reforme de la santé au travail : le sénat refuse le big bang proposé par la députée Charlotte Lecoq #Qvt #SanteAuTravail https://www.editions-legislatives.fr/actualite/reforme-de-la-sante-au-travail-le-senat-refuse-le-big-bang-propose-par-charlotte-lecocq …Réforme de la santé au travail : le Sénat refuse le « big bang » proposé par Charlotte LecocqDes SSTI (services de santé au travail interentreprises) conservés mais certifiés, le cumul des activités de contrôle et de conseil des Carsat, pas de suppression du document unique… Les sénateurs…editions-legislatives.fr9:01 AM – Oct 8, 2019Twitter Ads info and privacySee Amine MOUSSAOUI’s other Tweets
Yoann, lui, a demandé à être radié de la gendarmerie. Trois jours plus tard, il signait un CDI à l’Ursaff pour devenir inspecteur du recouvrement. Il effectue des enquêtes et des contrôles de travail dissimulé dans les entreprises. “J’ai trouvé un métier que j’aime tout autant. D’autres n’ont pas cette chance.”