Sciences
Ces gendarmes qui font parler des squelettes pour résoudre des « cold cases »
Chaque année, le département « ANthropologie Hémato-Morphologie » de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, basé à Pontoise en région parisienne, tente d’identifier par tous les moyens près de 300 corps non identifiés.
Par La rédaction avec AFP – 05 déc. 2021 à 12:26
Dans un laboratoire carrelé de blanc, de puissants néons jettent leur lumière crue sur une table rectangulaire. Les puzzles de deux squelettes s’étalent sous les yeux d’une gendarme française, à l’affût du moindre indice utile à l’élucidation des vieux dossiers criminels.
Le premier, quasiment entier et de couleur jaunâtre, est celui d’un adolescent encore non identifié décédé dans les années 1990 sur une île au large de la Bretagne (ouest de la France).
Le second, d’aspect plus sombre et incomplet, appartient à une femme relativement âgée, dont les os ont été retrouvés sous terre en plusieurs endroits.
Chaque année, le département « ANthropologie Hémato-Morphologie » (ANH) de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), basé à Pontoise en région parisienne, traite « entre 200 et 300 cas », explique le lieutenant Gaëlle Placet, diplômée en anthropologie de 29 ans.
Les périodes de chasse ou la belle saison, qui voient cueilleurs de muguet et randonneurs arpenter les forêts ou des coins plus isolés, sont les périodes les plus propices aux découvertes fortuites d’ossements. S’il arrive que l’IRCGN reçoive des fragments osseux d’origine animale ou à caractère historique, la grande majorité sont relativement récents et rattachés à une affaire judiciaire non élucidée.
Les premières observations
Un premier examen visuel permet d’estimer le sexe, à partir de l’observation du bassin, voire d’approcher le mode opératoire du meurtrier, « par exemple un démembrement, avec une hache, un couteau, une scie », souligne le lieutenant.
Les mesures au pied à coulisse et les examens au microscope affinent ensuite les premières conclusions, en précisant par exemple si le squelette a séjourné dans l’eau ou a subi l’alternance des saisons, qui modifient le degré de minéralisation des os et donc l’âge de la victime.
Parfois, quelques ossements seulement suffisent pour dresser le profil d’une victime et préciser les circonstances de sa mort. « A partir d’une vingtaine de petits os un peu noircis, nous avons pu déterminer qu’il s’agissait d’un homme de 36-37 ans, dont une partie du corps avait été carbonisée et qui boitait. Le corps a fini par être identifié et remis à la famille », se souvient le général Patrick Touron, patron du Pôle judiciaire de la gendarmerie nationale (PJGN), qui coiffe l’IRCGN.
Les dents, indice très utile
Les dents, l’un des trois identifiants primaires avec l’ADN et l’empreinte digitale, peuvent aussi recéler une myriade d’informations. « Des particules de cuivre sur la face vestibulaire (externe) peuvent nous orienter vers un joueur d’instrument à vent », explique ainsi Aimé Conigliaro, expert odontologue.
« Une carie en forme de demi-lune pourra nous mettre sur la piste d’un toxicomane ou, si elle présente un aspect jaunâtre, vers une personne travaillant dans l’industrie sucrière ou un pâtissier », illustre-t-il encore.
Lors de l’incendie du tunnel du Mont-Blanc en mars 1999, les 39 victimes, dont les corps avaient été carbonisés, avaient pu être identifiées grâce à leurs dents « qui résistent à tout, même à la crémation », souligne Aimé Conigliaro.
Tenter la reconstitution faciale
Dans le cas d’une personne enterrée sous X, que ni l’examen des dents, ni l’ADN, ni une empreinte digitale n’ont permis d’identifier, l’IRCGN peut procéder à des exhumations pour réaliser une reconstitution faciale.
Grâce à l’étude de scanners anonymisés récupérés auprès d’hôpitaux, « on connaît l’épaisseur des tissus mous d’un homme et d’une femme, en fonction du poids et de l’âge », éclaire Gaëlle Placet.
Certains artifices, comme la coupe de cheveux, des boucles d’oreilles, un piercing ou un tatouage, sont les plus difficiles à reproduire.
La couleur naturelle des cheveux, des yeux, de la peau et la pilosité pourront être apportées par les experts en génétique.
Un logiciel, développé par l’université de Bordeaux, permet ensuite de reconstituer le visage à partir de 78 points craniométriques. « Il ne s’agit pas d’une méthode d’identification », comme avec l’ADN, « mais cela apporte des pistes d’enquête quand il n’y a plus d’autre solution », appuie le lieutenant.
L’IRCGN en réalise « un à cinq » par an avec des victimes et, assure Gaëlle Placet, « cela a déjà amené à une reconnaissance, soit par des enquêteurs, soit par des témoins ».