Procès des attentats du 13-Novembre : « Nous avons disparu du récit collectif », déplore un capitaine de la Garde républicaine
Jonathan Delache est intervenu avec douze autres gendarmes de la Garde républicaine après les explosions au Stade de France. Il se confie pour la première fois.
Comme les policiers de la BAC75N, la brigade anti-criminalité de nuit de Paris, oubliés de l’assaut du Bataclan, treize gendarmes de la Garde républicaine sont intervenus juste après l’explosion du premier kamikaze au stade de France. Le capitaine Jonathan Delache est l’un des premiers à témoigner devant la cour mardi 28 septembre, alors que débutent les auditions des parties civiles au procès des attentats du 13 novembre 2015.
Le soir du 13-Novembre, quand le premier kamikaze active son gilet explosif à 21h16, près de la porte D du Stade de France, tout près du bar-restaurant L’Events à Saint-Denis, le capitaine Jonathan Delache et ses hommes ne sont qu’à 25 mètres de là. Les cavaliers et les chevaux sont au repos, le temps d’une pause, avant de reprendre du service quand les spectateurs sortiront du stade. Le capitaine fait le point avec son équipe mais l’explosion lui coupe la parole : « On a un effet blast, on entend les objets voler autour de nous. »
Le capitaine s’approche d’un homme à terre, pour tenter de le secourir. Il s’agit de Manuel Diaz, un chauffeur de car de 63 ans, la seule victime du stade de France, que Jonathan Delache verra mourir. Autour de lui, « d’autres parties de corps humain, la présence également de fils, qui me feront penser à un kamikaze », raconte Jonathan Delache. Et alors que les gendarmes, font les premiers secours, sécurisent la zone, empêchent les badauds de prendre des photos « macabres », un deuxième kamikaze explose, quatre minutes plus tard, devant la porte H à 120 mètres, avec, de nouveau, un effet de souffle et des projectiles. « Les victimes vont s’agripper à nos pantalons en hurlant de ne pas les abandonner sur place, et ça, c’est des choses qu’on n’oublie pas », confie le gendarme.
Le sentiment d’être « les oubliés »
A côté les chevaux paniquent, tirent sur leur licol. Il faut les remettre dans le camion. Le capitaine quitte les lieux seulement après l’arrivée d’un lieutenant de police judiciaire, à qui il remettra la scène de crime. Il entend la troisième explosion à 450 mètres de là. « Ça continue à entretenir ce sentiment d’état de guerre et d’insécurité », explique-t-il. Le capitaine estime avoir subi le même traumatisme que les victimes sur place. « Ça a eu un lourd impact sur ma famille », confie Jonathan Delache, en proie, après l’attentat, aux cauchemars, aux insomnies, à des moments de fébrilité, au mépris de sa hiérarchie.
S’il a pu avancer, c’est grâce à la main tendue d’un capitaine du bureau d’action sociale de la gendarmerie, huit mois après l’attentat. « On s’est collectivement rendu compte de ce par quoi nous étions passés, et de ce que nous étions en train de vivre », se souvient-il. Les gendarmes décident alors de porter plainte et de commencer un parcours de reconstruction.
Pour Jonathan Delache, se constituer partie civile et venir témoigner au procès est fondamental : « C’est important, parce qu’on a toujours eu le sentiment d’être les oubliés, déplore le gendarme. On ne parlait pas des cavaliers de la Garde au Stade de France, seulement des gendarmes intervenus en renfort dans le métro. » Preuve, selon lui, de cet « oubli », « un concert avait été organisé au profit des primo-intervenants policiers, infirmiers, pompiers, mais nous n’avons pas été invités », raconte Jonathan Delache. « Nous avons disparu du récit collectif. L’évènement est inoubliable, mais c’est une étape qui va nous permettre de monter une marche supplémentaire. »