Reportage Faits divers
Une formation de choc pour les gendarmes et policiers d’élite envoyés en pays à risques
Se préparer au pire : seize policiers et gendarmes français bientôt en poste dans des pays dits sensibles reçoivent cette semaine un entraînement spécial pour affronter toutes les situations à risques, attentats ou prises d’otage, auxquels eux-mêmes ou les ressortissants français peuvent être confrontés, comme le journaliste Olivier Dubois enlevé au Mali.
Par Jean-Michel Décugis Le 5 mai 2021 à 13h15
Nous sommes en Ile-de-France, dans un lieu champêtre tenu secret. Ce lundi matin, ils sont seize policiers et gendarmes assis sagement à des bureaux d’école disposés en carré dans une grande salle. Face à eux, des formateurs du Raid, des instructeurs de la Direction de la coopération internationale (DCI), une psychologue, des agents des services de renseignement… Alors qu’un négociateur du Raid annonce le programme des réjouissances à venir, une dizaine d’hommes encagoulés et armés fait irruption dans la salle sous fonds de détonation de pétards. La plupart des hommes plongent à terre mais quelques-uns, sous l’effet de surprise, restent sans réaction, comme sidérés. Chacun se voit rapidement menotté à terre et les yeux bandés avant d’être traîné sans ménagement à l’extérieur à la queue leu leu le long d’une corde.
Bienvenue au « Stage pays crisogènes » des attachés de sécurité intérieure (ASI) et des officiers de liaison, ces représentants du ministère de l’Intérieur à l’étranger, chargés notamment d’anticiper les risques et menaces de crises extérieures, contribuer à la restructuration des capacités de sécurité et de gouvernance des pays concernés mais aussi lutter contre la criminalité internationale organisée. Depuis 2017, la DCI propose une formation d’une semaine à ses agents en partance pour des pays sensibles sur des missions de deux ans, qui peuvent être prolongées un ou deux ans.
Des pays dans lesquels mouvements sociaux, politiques ou groupes terroristes peuvent mettre en péril la sécurité des agents, mais aussi les membres de la communauté française expatriée ou de passage. Comme le journaliste Olivier Dubois dont on a appris l’enlèvement ce mercredi matin, via une brève vidéo dans laquelle le grand reporter explique avoir été kidnappé le 8 avril à Gao au Mali (nord) par le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), principale alliance djihadiste au Sahel.
« Il n’y a pas de catégorie de ressortissants plus visés que d’autres mais personne n’est à l’abri dans ces pays, il n’existe pas d’immunité. Dans ce type d’enlèvement, c’est l’ASI qui sert sur place de relais aux autorités françaises », explique Sophie Hatt, directrice des services actifs de la police nationale, directrice de la coopération internationale.
« Anticiper les crises »
Le ministère de l’Intérieur compte actuellement 73 ASI qui couvrent au total 153 pays et, depuis septembre, les cinq continents. « Mais seule une vingtaine d’agents peut participer, faute de place, à ce stage non obligatoire mais très prisé, précise Sophie Hatt. Ici n’y a que des policiers expérimentés, des professionnels de la sécurité, de l’analyse qui, susceptibles d’être confrontés à des prises d’otage, des mouvements d’insurrection ou des tentatives de déstabilisation, devront réagir avec sang-froid, voire anticiper les crises. » La responsable explique : « Le but de ce stage est de donner à nos agents le maximum d’outils : détecter et analyser un dispositif d’explosifs, secourir un blessé d’attentat, effectuer une contre-filature pour se dégager d’une surveillance… »
Ce lundi, ne sont présents que des hommes, âgés entre 36 et 60 ans : trois commissaires, dont deux divisionnaires, neuf officiers de police et quatre gendarmes, dont un colonel et trois lieutenants-colonels. Passés auparavant par des services d’élite, ils se sont tous portés volontaires pour partir. Dès la fin de l’été, ils rejoindront leurs postes en Afghanistan, Comores, Djibouti, Venezuela, Colombie, Afrique du Sud, Burkina Faso, Liban, Egypte, Mauritanie ou encore… au Mali.
« Je connais les risques qu’on peut encourir dans ce pays mais mon intérêt pour cette zone géographique et les problématiques qui lui sont rattachées priment sur le danger », explique le commandant de police en partance pour Bamako, qui souhaite garder l’anonymat pour des raisons de sécurité. Le fonctionnaire, qui a déjà exercé au Liban, partira au Mali sans sa famille. « Le pays est en zone rouge, on ne peut pas sortir de Bamako », précise cet ancien du Raid, dont les déplacements en dehors de l’ambassade se feront sous la protection d’agents des forces d’intervention.
En attendant, l’officier de police doit se plier ce lundi à la volonté de ses faux ravisseurs et tortionnaires, qui tentent de le placer en situation de stress et de vulnérabilité. Pour créer une ambiance anxiogène, de gros baffles diffusent des rafales de kalachnikov, des bruits de trains, des aboiements de chiens. Les otages sont traînés avec rudesse, mis à genoux sur des cailloux, poussés à terre.
L’instinct de survie prend le dessus
Ils sont l’un après l’autre conduits dans une yourte, « l’atelier 1 », pour subir un interrogatoire éprouvant où les hurlements se mêlent aux menaces de mort. « Qu’est-ce que tu fais dans notre pays ? » hurle l’un des « ravisseurs » au commandant de police bientôt en poste au Mali. Le fonctionnaire a choisi de répondre en étant le plus proche de la réalité : il travaille à l’ambassade, il vit seul, il n’a pas de famille.
D’autres, au contraire, tentent de s’inventer une « légende » avec plus ou moins de réussite. « Je suis éducateur sportif », prétend un commissaire. « Tu mens, on t’a vu, on t’a suivi, tu as un chauffeur qui t’amène tous les matins et vient te chercher tous les soirs, tu es un espion, tu vas regretter de nous avoir menti. »
Les otages sont ensuite conduits les yeux bandés dans une seconde yourte, le 2e « atelier » où attachés à une chaise, les mains dans le dos, ils doivent lire face à la caméra un texte intitulé « Attaque bénie contre la France croisée ». « La France et ceux qui comme nous suivent sa voie doivent savoir qu’ils restent les principales cibles de l’Etat islamique et qu’ils continuent à sentir l’odeur de la mort pour avoir pris la tête de la croisade, avoir osé insulter le prophète, combattre l’Islam en France et frapper les musulmans en terre du Califat », poursuit un otage, lieutenant-colonel de gendarmerie. Parfois les langues fourchent, et les mots s’entrechoquent. Ce qui déplaît fortement aux ravisseurs qui redoublent de hurlements.
Au fur et à mesure du stress et de la fatigue, les traits des visages se durcissent, les comportements fluctuent. Un lieutenant-colonel tente de s’enfuir mais est aussitôt rattrapé. « Je préfère mourir que subir », se justifiera le militaire. Une première depuis la création du stage. « Cela nous a surpris, ce n’est pas forcément la bonne stratégie, mais c’est l’instinct de survie qui parle », commente le négociateur du Raid. Un autre formateur précise : « Il faut surtout essayer d’éviter d’attirer l’attention, la colère. Les premières heures sont capitales pour rester en vie, ce qui est important, c’est d’essayer de mémoriser le maximum de détails pour les restituer plus tard », explique un formateur de tir de la DCI.
Dans l’après-midi, se tiendra un débriefing auquel nous ne pourrons pas assister. « Il y a des clefs que nous ne pouvons pas dévoiler », explique le négociateur du Raid.