Audrey, cheffe des «experts» de la gendarmerie à Melun : «Si on efface une trace, on ne peut pas recommencer»
L’adjudante-chef Audrey Hennebelle, 43 ans, dirige la cellule d’identification criminelle du groupement de gendarmerie de Seine-et-Marne. Cette technicienne raconte avec enthousiasme son métier rigoureux, hors du commun.
Par Thomas Segissement Le 17 février 2021 à 16h43, modifié le 17 février 2021 à 17h05
« L’idée m’est venue en regardant les Experts à Las Vegas à la télévision. J’avais un bagage scientifique puisque j’ai une licence en biologie générale. J’ai pris des renseignements sur Internet et voilà comment je suis devenue une TIC, une technicienne en identification criminelle », sourit l’adjudante-chef Audrey Hennebelle.
Passionnée par son métier, cette femme énergique de 43 ans dirige depuis août 2019 la cellule d’identité criminelle de la gendarmerie de Seine-et-Marne. Dans leurs locaux de 120 mètres carrés à Melun, ils sont six militaires à former le groupe des experts qui sillonnent presque chaque jour les routes de ce département grand comme la moitié de l’Ile-de-France. « Nous effectuons en moyenne entre 350 et 400 interventions par an en Seine-et-Marne. »
Des heures de route dans son labo mobile tout neuf
Meurtres – « trois ou quatre par an »-, braquages, séquestrations, suicides, incendies, viols, découvertes d’ossements ou encore gros cambriolages, voilà le quotidien d’Audrey et de ses troupes. « On travaille toujours par deux, explique-t-elle. C’est une question de sécurité et d’efficacité. Il peut arriver que l’on reste jusqu’à deux heures du matin sur une scène d’infraction. Alors, c’est mieux d’être à deux pour rester éveillés et traverser la Seine-et-Marne au milieu de la nuit. On sait quand on part mais on ne sait jamais quand on revient. »
Avec ses collègues, elle privilégie la carte de la convivialité et de la solidarité. « Il y a beaucoup de pression donc c’est important de pouvoir décompresser. Si jamais on se loupe et on efface une trace, on ne peut pas recommencer. Dans notre métier, ce qui compte le plus, c’est la connaissance. » Audrey a travaillé dans une brigade territoriale au Châtelet-en-Brie durant six ans, avant de passer officier de police judiciaire. En décembre 2015, elle devient une TIC, après trois mois de formation.
«De la rigueur pour ne pas polluer la scène»
Outre les interventions sur le terrain, l’équipe s’occupe également de former des TIC de proximité, des gendarmes affectés dans les différentes unités opérationnelles afin qu’ils puissent effectuer eux aussi des missions de police technique et scientifique. En Seine-et-Marne, ils sont environ 400 TIC de proximité à avoir suivi cette formation sur deux jours.
Avec ses collègues enquêteurs, la collaboration se passe bien. « Bon, c’est vrai qu’on est des râleurs, confie-t-elle, amusée. Il faut absolument de la rigueur pour veiller à ne pas polluer la scène et que les lieux soient bien gelés. Sinon, c’est tout notre travail qui est menacé. » Etre TIC, c’est aussi faire beaucoup de « paperasse ». « En gros, pour quatre heures de travail sur le terrain, c’est le double pour sa restitution et la procédure ».
Les indices prélevés dans du papier kraft, «pas des sacs plastique, comme à la télé»
La cellule dispose de trois véhicules. Fin janvier, elle a reçu un nouveau fourgon Renault Master, réaménagé en labo de campagne. La partie centrale ressemble à un camping-car, « mais dans le frigo, on n’y trouve pas de bières », plaisante Audrey. A l’arrière, une bonne douzaine de mallettes, spécifiques à chaque prélèvement, sont rangées et dûment étiquetées. Incendie, explosion, traces ADN, moulage, trajectographie pour déterminer la distance ou encore les angles de tir, microanalyse pour tout ce qui est fibre, élément pileux, etc.
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« Contrairement à ce qu’on voit dans les séries télé, tous ces indices ne sont pas mis dans des sacs plastique, rigole Audrey. Nous, on travaille avec du papier kraft. Tout simplement parce que la lumière du jour est néfaste. »
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Retour dans les locaux de la cellule. C’est là que se trouvent les différents laboratoires, avec portes hermétiques et codes d’accès de rigueur. Ici, on ne plaisante pas avec la sécurité. Les scellés avec armes, munitions, stupéfiants ou argent, sont bien à l’abri dans une armoire fermée à clé. Audrey montre ce qu’elle appelle « le téléphone homme/mort ». « On le prend pour entrer. Si on tombe, si on s’évanouit, si on fait un malaise à cause d’un incident chimique par exemple, un message est aussitôt transmis à l’extérieur pour qu’on vienne nous secourir. » Le cas s’est déjà produit dans le Val-d’Oise, où une technicienne s’était retrouvée à terre après un mélange de produits chimiques.
Dans le labo de physique-chimie, des machines aux noms étranges
Dans une pièce, les habits d’une personne décédée récemment ont été mis dans une armoire séchante à 80 degrés. « Au-delà, à 90 °C, ça dénature l’ADN », précise Audrey. A côté se trouve le laboratoire optique, qui sert notamment pour les empreintes digitales. Audrey en profite pour expliquer comment sont examinées celles-ci. « En France, il faut douze points caractéristiques pour identifier un mis en cause, indique-t-elle. Le fichier propose dix empreintes qui pourraient correspondre à celle que nous avons prélevée. A l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) à Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), la ou le technicien va ensuite lui-même faire les comparaisons pour voir si elles matchent. »
Dans la pièce voisine, le labo de physique-chimie propose des machines aux noms étranges. Comme la « vacuum box », qui permet de faire ressortir les mots se trouvant sur la page en dessous de celle qui a été arrachée. Ou l’enceinte de fumigation, qui sert à faire chauffer la colle destinée aux empreintes laissées sur des surfaces non poreuses.
Parmi les autres missions d’Audrey, il y a aussi les séances photo à l’institut médico-légal d’Evry (Essonne) au côté du médecin légiste lors des autopsies. Plus joyeux, elle et son équipe participent à des forums des métiers et font des interventions auprès des collégiens.
Lorsqu’elle délaisse l’uniforme ou la blouse blanche, elle s’éloigne de son quotidien grâce au sport puisqu’elle dirige un club de tennis. « Un de mes collègues est prof de kick-boxing, raconte-t-elle. Ça fait du bien d’évacuer. Entre nous, on parle beaucoup. Et si besoin, un psy est à disposition et passe dans le service. »
Des interventions forcément marquantes
Si elle affirme « dormir très bien », elle reconnaît que certaines interventions l’ont marquée. L’un de ses premiers homicides, notamment, en forêt de Fontainebleau. Une femme avait été découverte calcinée dans une valise. L’ADN du mari avait été retrouvé sur des bouchons d’alcool à brûler.
Elle cite également ce vieux monsieur tabassé à Villemaréchal lors d’un cambriolage. « Il est décédé quelques jours plus tard à l’hôpital. On a réussi à trouver de l’ADN juste sur le bouton d’un tiroir. Grâce à ça, on a eu le nom d’un suspect. Il a expliqué qu’il était bien allé chez la victime pour la voler, mais c’était un autre jour. Le travail des enquêteurs de la brigade de recherches a permis quand même de le confondre, avec de la téléphonie notamment. »
La jeune quadragénaire est aussi tombée sur des situations peu communes. Comme cet habitant du sud de la Seine-et-Marne, adepte des pratiques sadomasochistes, qui a mis fin à ses jours lorsque sa « dominante » l’a quitté. « Il était allongé sur son lit, avec un masque à gaz relié à un sac-poubelle dans lequel se trouvaient des bonbonnes de dioxyde de carbone. Autour du cou, une chambre à air avec une pompe, qui lui permettait de doser son étranglement. En fait, il est mort intoxiqué. Il avait laissé une lettre mais nous avons été appelés pour vérifier qu’il s’agissait bien d’un suicide. »
Une fois la journée (ou la nuit) de travail terminée, elle fait des heures sup devant la télévision pour regarder des fictions policières. « J’aime bien les séries américaines et scandinaves, confie Audrey. Les Françaises sont moins crédibles. On ne fait pas des prélèvements sur des scènes en talons aiguilles.