SÉCURITÉ
La réorganisation des forces de sécurité inquiète les élus locaux
Publié le 21/12/2020 • Par Mathilde Elie • dans : A la Une prévention-sécurité, Actu experts prévention sécurité, France
Le livre blanc sur la sécurité intérieure préconise un nouveau redéploiement des forces de police et de gendarmerie en se basant sur les seuils de population. D’ores et déjà, le projet provoque l’inquiétude des élus locaux, notamment en Lorraine, Bourgogne-Franche-Comté mais aussi en Lozère.
L’inquiétude est de mise dans les régions de l’est du pays. A en croire les élus locaux, 12 commissariats seraient menacés en Lorraine, 4 en Franche-Comté. La Meuse et le Jura verraient même tous leurs commissariats supprimés.
Même appréhension en Lozère, où les élus locaux ne dissimulent plus leurs crainte de voir disparaître l’unique commissariat du département, basé à Mende.
Autant d’inquiétudes et de peurs nées du Livre blanc de la sécurité intérieure, diffusé en novembre, qui doit inspirer l’action du ministre de l’Intérieur pour les années à venir et dont l’un des chapitres, passé inaperçu, préconise un nouveau redéploiement des forces de la police et de la gendarmerie nationale sur le territoire…
« S’il est hors de question de remettre en cause notre modèle qui voit agir deux forces complémentaires, il me semble essentiel de reposer la question de leur implantation territoriale, dans le sens d’une organisation plus efficiente. La question de la cohérence autour des agglomérations et dans les territoires plus ruraux, doit nécessairement être posée », a même confirmé le ministre Gérald Darmanin, dans un courrier daté du 13 novembre.
Cette problématique n’est pas nouvelle, rappelle Christian Sonrier, président de l’association des hauts-fonctionnaires de la police nationale : « Pour s’adapter aux évolutions démographiques, un important travail a été effectué en ce sens dès 2003 sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Il avait souhaité que soit étudié, dans tous les départements, les éventuels gains en matière de sécurité qui pourraient être obtenus en modifiant la carte des compétences. » Ces redéploiements avaient alors concerné 66 départements, donné lieu au transfert de 219 communes en zone police et 121 en zone gendarmerie. Mais que prévoit aujourd’hui le Livre blanc ?
S’adapter aux besoins des territoires
Actuellement, la responsabilité de la police nationale dans une commune est soumise à deux critères : une population supérieure à 20 000 habitants et une délinquance ayant les caractéristiques de celles des zones urbaines. Les auteurs du livre blanc proposent de faire évoluer les critères de répartition « d’un modèle quantitatif à un modèle qualitatif ».
En d’autres termes, il s’agit d’adopter une vision plus objective et pragmatique basée sur les besoins des territoires. « Cela doit se traduire par l’évolution du seuil de population, notent les auteurs. Ainsi, en dessous de 30 000 habitants, le principe serait de confier le territoire à la gendarmerie. Entre 30 et 40 000 habitants, attribution à la force la mieux adaptée aux caractéristiques de ce territoire et au-dessus de 40 000 habitants principe de compétence de la police nationale. » Toutefois, « le ministre doit conserver la faculté de s’écarter de ces principes au regard de toute situation particulière ».
La question du périurbain
Cette vision mathématique doit être adaptée en fonction des territoires insistent les auteurs. Selon eux, la question se pose essentiellement pour les zones périurbaines qui représentent 40 % du territoire.
« Par nature hétérogène, le périurbain ne peut plus aujourd’hui être traité dans une approche mécanique et déconnectée du cadre de vie des habitants. Au contraire, il appelle une réponse de sécurité publique différenciée et adaptée à la configuration locale. D’un périurbain à l’autre, police et gendarmerie seront alternativement en mesure d’apporter la réponse sécuritaire optimale. La qualité de cette réponse sera conditionnée par plusieurs facteurs-clés tels que l’organisation locale de la force compétente, la capacité à assurer une présence permanente, visible et rassurante, dans ces zones aux attentes différenciées, ou encore la capacité à monter en puissance de manière autonome pour gérer efficacement une situation particulière, soudaine ou prévisible. »
Evaluation et consultation des élus
Si plusieurs élus ont déjà fait part de leurs craintes de voir disparaître leur commissariat, rare service public ouvert en permanence, rien n’est encore acté. Mais certains montent au créneau.
A l’instar des maires de Verdun et de Bar-le-Duc dans la Meuse qui ont adressé un courrier au ministre de l’Intérieur.
« J’ai écrit au ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, pour lui rappeler la spécificité de notre territoire, indique lui aussi le maire de Mende (Lozère), Laurent Suau. Ici, si on n’a pas de délinquance c’est justement parce qu’on a un commissariat avec des personnels efficaces ».
A Saint-Dié (Vosges), le conseil municipal a même voté une motion pour afficher leur soutien « aux forces de la police nationale à Saint-Dié-des-Vosges dans leur mission quotidienne de maintien de l’ordre ». La Ville a réaffirmé son « attachement au commissariat de police, élément essentiel à la tranquillité publique dans notre aire urbaine ».
Le député vosgien Christophe Naegelen, un des rapporteurs de la commission d’enquête parlementaire sur les missions et les moyens des forces de sécurité intérieure se veut vigilant. « II va falloir faire du cas par cas. Je veux savoir ce qu’il va se passer sur nos territoires et aussi pourquoi on changerait quelque chose lorsqu’il n’y a pas d’utilité à le faire », glisse le député, ajoutant que les forces de l’ordre auraient préféré qu’on se penche sur d’autres problèmes plus prioritaires…
La nécessité d’un bilan
Une inquiétude compréhensible qu’il convient de dépasser selon Christian Sonrier. « Oui, il faut une assurance pour les élus que les prestations de sécurité seront, à minima, équivalentes. Mais il faut aussi que l’organisation des forces corresponde à la typographie des territoires. »
De plus, avant d’engager une deuxième vague de redéploiement, « il est important d’analyser sur la prestation de sécurité s’est améliorée ou non », poursuit-il. Le ministère de l’Intérieur préconise en effet réaliser un bilan de transferts déjà effectués « afin d’en mesurer les résultats en termes d’efficacité au regard des gains dégagés et des coûts supportés ». Cette mission d’évaluation pourrait être confiée à l’Inspection générale de l’administration (IGA), à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et à l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN).
Parallèlement à ce travail, l’association des hauts-fonctionnaires de la police nationale propose la mise en place d’un observatoire dédié. « Il ne faut pas se laisser surprendre et attendre des décennies pour s’adapter et mettre en place l’outil qui répond le mieux aux besoins de la population », explique Christian Sonrier.
A noter que cette question de l’ancrage territorial fait actuellement l’objet d’un cycle d’auditions mené par la délégation aux collectivités territoriales du Sénat qui pourrait rendre son rapport prochainement.