Déplacements à plus de 100 km et motifs impérieux : vers un « pouvoir subjectif et discrétionnaire » ?
Par SudOuest.fr Publié le 08/05/2020 Mis à jour à 15h29
Dès lundi, les Français pourront se déplacer dans leur département ou dans un rayon de 100 km autour de leur domicile. Des exceptions seront accordées aux seuls « motifs impérieux ». De quoi parle-t-on exactement ?
Plus de liberté dès lundi, mais de nouvelles restrictions à respecter. À compter du 11 mai, les Français pourront à nouveau sortir de chez eux et se déplacer sans attestation, mais seulement dans les limites du département où ils résident, ou dans un rayon de 100 kilomètres autour du domicile, « à vol d’oiseau ». Objectif : éviter une propagation du virus en le transportant d’un territoire à un autre, dans une France partagée en deux entre départements rouges et verts.
Déjà, lors de sa présentation du plan de déconfinement à l’Assemblée nationale le 28 avril, Édouard Philippe avait annoncé la couleur : « Les déplacements à plus de 100 km du domicile ne seront possibles que pour un motif impérieux, familial ou professionnel ». Jeudi, Christophe Castaner a confirmé l’interdiction de s’éloigner de plus d’une centaine de kilomètres, « sauf motif professionnel ou familial impérieux ».
Contrôles et amende de 135 euros
Que signifie précisément un « motif impérieux » ? Ce n’est pas encore très clair, mais Christophe Castaner a donné quelques pistes : « Un motif professionnel, c’est par exemple avoir un métier qui exige la mobilité, comme chauffeur-routier », a-t-il expliqué. Édouard Philippe, lui, a cité l’exemple d’un avocat devant aller plaider loin de chez lui. Dans tous les cas, pour un motif professionnel, le salarié devra être en mesure de présenter aux forces de l’ordre une attestation de son employeur.
« Quant au motif familial impérieux, il peut s’agir d’un deuil ou de l’aide à une personne vulnérable », a ajouté le ministre de l’Intérieur. Selon la police nationale, citée par Le Parisien, sont concernés les « déplacements dont la nécessité ne saurait être remise en cause (blessures d’un proche, accompagnement d’une personne vulnérable ou non autonome, santé, décès, maison en péril…) ».
Pour ceux qui auront à franchir cette barre des 100 km, une nouvelle attestation, pas encore accessible ce vendredi à midi, va être proposée. « Des contrôles seront organisés dans les gares, les aérogares, ou sur certains tronçons d’autoroutes ou de routes à grande circulation. Ils pourront l’être aussi à l’arrivée des destinations touristiques », a prévenu Christophe Castaner. Les contrevenants s’exposeront à une amende de 135 euros.
Justificatif de domicile
Pour tenter d’y voir plus clair, de nombreux internautes adressent leurs questions à la plateforme numérique de la gendarmerie, sur laquelle un militaire répond en direct. Une internaute, Bordelaise, explique avoir perdu sa grand-mère, installée à Marseille, pendant le confinement. Peut-elle aller sur place pour se recueillir sur sa tombe et « entamer son processus de deuil ? » « Votre déplacement n’entre pas dans les motifs impérieux », lui ont répondu les militaires, rappellant qu’il doit s’agir d’un « déplacement dont la nécessité ne saurait être remise en cause ».
Un autre internaute demande s’il peut rencontrer sa mère, qui réside à plus de 100 km, chacun effectuant la moitié du trajet pour se retrouver à mi-chemin, soit un trajet de moins de 100 km. Réponse évasive face à ce cas particulier : « Le déconfinement vous interdit de faire plus de 100 km sans motif légitime, à vous de vous organiser comme vous voulez pour ne pas dépasser cette distance ». Pas un « non » clair et précis mais un simple rappel de la règle, laissant l’internaute libre de choisir.
Une troisième internaute raconte vivre à Bordeaux mais être toujours domiciliée en Normandie, à l’adresse de ses parents, sur sa carte d’identité. Comment justifier qu’elle n’est pas loin de chez elle ? « Il vous faut un justificatif de domicile à partir du 11 mai, et ce jusqu’à la mise en place de nouvelles mesures », répondent les gendarmes. Prévoir sur soi un justificatif de domicile devra être la norme jusqu’à la fin du mois de juin, en toute circonstance. Jeudi, Christophe Castaner avait précisé que celui-ci pourra prendre la forme d’une « attestation d’assurance, ou une facture, un chéquier, par exemple. »
« Libre appréciation » du policier
Pas précisément définie par un texte de loi, cette notion de « motif impérieux » laisse une large part à l’interprétation que feront les agents des forces de l’ordre au moment du contrôle. Fin avril, le think thank « Le Club des juristes » notait ainsi : « Comme il n’est pas clairement défini par le législateur, le motif impérieux reste une notion un peu floue et surtout subjective, pour un motif propre à chaque individu, au cas par cas, ce qui pose la question de son appréciation en termes de sanction. »
Des abus, ou pour le moins des incompréhensions, sont-ils à craindre ? « Laissée à la libre appréciation de chaque fonctionnaire de Police et de Gendarmerie, sans définition claire et préalable de ce que recouvre la notion même de motif impérieux », celle-ci s’apparente donc à « un véritable pouvoir subjectif et discrétionnaire », mettent en garde les juristes. Ils soulignent que « faute d’être clairement définie, l’exception du motif impérieux serait inconstitutionnelle pour certains, au point que plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité ont même été soulevées ».
Les juristes listent plusieurs cas qui pourraient être considérés comme des « motifs impérieux », mais pour lesquels des doutes subsistent :
– Visites à un proche souffrant d’isolement, ou visites de courtoisie
– Décès d’un proche et démarches à effectuer en vue d’une succession
– Retour chez eux de ceux qui se sont confinés à distance, dans une résidence secondaire par exemple
– Retour des étudiants chez leurs parents, l’année universitaire étant terminée
– Signature d’un acte notarié ou d’un acte d’avocat