Coronavirus : les gendarmes «en alerte sur les trafics de chloroquine»
Vente de matériel médical, cybercriminalité, violences conjugales… Le général Jean-Philippe Lecouffe, sous-directeur de la police judiciaire de la gendarmerie nationale, dresse un état des lieux de la délinquance liée au Covid-19.
Par Jean-Michel Décugis et Jérémie Pham-LêLe 25 mars 2020 à 20h03
Le général de division Jean-Philippe Lecouffe est à la tête de la sous-direction de la police judiciaire de la gendarmerie nationale. Une entité qui oriente, coordonne et contrôle l’activité judiciaire des gendarmes des brigades et sections de recherches et offices centraux traitant la grande criminalité. Il décrypte les évolutions de la délinquance liée à la crise du coronavirus, des vols de masques à la cyberescroquerie, en passant par le trafic de médicaments, la possible «ubérisation » de la vente de drogue ou le risque d’une augmentation des violences conjugales.
Observez-vous un transfert de la délinquance depuis l’épidémie de Covid-19 ?
JEAN-PHILIPPE LECOUFFE. Depuis l’épidémie, et encore plus depuis le confinement, on constate une forme d’observation et d’attente dans le milieu de la délinquance traditionnelle. Il y a, par exemple, une nette baisse des cambriolages dans les résidences principales, baisse toutefois contrastée par les atteintes qui demeurent contre les entreprises, les magasins, où le taux d’occupation est moindre. Les délinquants ne sont pas immunisés contre le virus, donc ils observent et cherchent des solutions. Mais ils ne pourront pas rester sans revenus trop longtemps. On a vu d’ailleurs des attaques contre des DAB (NDLR : distributeurs automatiques de billets) dans l’Oise, l’Essonne ou en Rhône-Alpes ces derniers jours. A côté de cela, il n’y a pas de délinquance nouvelle à ce stade, mais plutôt une délinquance d’opportunité, qui s’adapte à l’événement en exploitant la thématique du Covid-19.
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Quelles réalités recoupent cette délinquance d’opportunité ?
Il y a, par exemple, les escroqueries à la décontamination de logements ou les vols et trafics de masques et matériel médical, parfois vendus à des prix prohibitifs. Nous n’avons pas identifié des filières ou organisations pour l’instant, mais le phénomène est encore tout récent. Les ventes de masques relèvent souvent de gens qui ont accès aux stocks et ne respectent pas les interdictions. En Haute-Savoie, la gendarmerie a saisi lors d’une perquisition mardi 5600 masques FFP2 achetés par une société de décolletage à des sociétés d’ambulance. C’est de la vente sous le manteau.
En cybercriminalité particulièrement, la gendarmerie a appelé à la vigilance en ces temps de crise sanitaire…Newsletter – L’essentiel de l’actuChaque matin, l’actualité vue par Le ParisienJe M’inscrisVotre adresse mail est collectée par Le Parisien pour vous permettre de recevoir nos actualités et offres commerciales. En savoir plus
Oui, il faut appeler les internautes à être encore plus prudents que d’habitude. Nous n’avons pas suffisamment de recul pour parler d’explosion de la cybercriminalité, mais ce qui est certain, c’est qu’il y a une menace beaucoup plus grande que d’habitude, liée à l’exploitation du Covid-19, à la surface d’attaque et à la vulnérabilité des cibles. Beaucoup plus de personnes travaillent sur des ordinateurs, parfois personnels, en télétravail à domicile, sans disposer des moyens de protection d’un service informatique d’entreprise. Nous observons des attaques par rançongiciels ou des hameçonnages avec vol de données. Par exemple, des envois d’e-mails livrant un point de situation détaillé sur le Covid-19, ou évoquant l’actualité autour de la chloroquine, avec une pièce jointe. Dès que celle-ci est ouverte, l’internaute se retrouve avec un virus, qui ne sera pas le coronavirus, mais qui récupérera vos données. Nous surveillons aussi tout ce qui est manipulation de l’information à propos du virus sur les réseaux pour détecter les « fake news ».
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Les entreprises et structures publiques sont-elles aussi menacées ?
Il y a effectivement eu des cas de pharmacies ou entreprises ayant commandé des masques à des sociétés fantômes, souvent localisées à l’étranger, et n’ayant jamais reçu leurs marchandises. Quant aux systèmes de l’Etat et aux structures hospitalières qui pourraient être la cible d’attaques, nous sommes très vigilants, car nous savons qu’il y a des vulnérabilités.
Avez-vous constaté des trafics de médicaments, notamment de chloroquine ?
L’OCLAESP (Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, NDLR), un service d’enquête qui lutte contre les atteintes à la santé publique, a lancé une veille sur la vente de produits pharmaceutiques sur Internet en lien avec le Covid-19, en collaboration avec le C3n (Centre de lutte contre les criminalités numériques, NDLR), chargé de la lutte contre la cybercriminalité. Il s’agit de détecter toute vente suspecte d’antipaludiques, comme la chloroquine évidemment, ou de faux vaccins, voire d’ordonnances falsifiées. Nous sommes en alerte sur ces trafics. Nous avons d’ores et déjà détecté des sites qui vendent des masques. Pour la vente de médicaments antipaludiques, il est certain que nous allons en identifier. La vente de produits pharmaceutiques est réservée aux professionnels de santé, c’est pourquoi nous avons aussi alerté les grands laboratoires pharmaceutiques pour qu’ils exercent aussi une veille. Un programme de coopération sur ce thème, hébergé à Europol, a été mis en place au niveau européen pour qu’on puisse s’alerter mutuellement entre Etats.
Qu’en est-il des trafiquants de drogue ?
Ce qu’on pressent compte tenu du confinement, c’est qu’une partie de la vente de la drogue se reporte sur le Darknet. Les consommateurs ne vont plus se déplacer physiquement, ils vont essayer de passer par des systèmes de livraison avec des dealers qui peuvent se déplacer parce qu’ils bénéficient d’autorisation de circulation. Il y aura une probable « ubérisation » du business.
Faut-il craindre une hausse des violences conjugales liées au confinement ?
Les violences faîtes aux femmes restent une priorité. Je veux être clair : même en période de confinement, les services de gendarmerie continuent à intervenir quand ils reçoivent des appels d’urgence de personnes en danger ou en détresse. Il n’y a pas de rupture de service dans ce domaine. Je rappelle que la gendarmerie possède une brigade numérique l’on peut contacter 24 heures/24 sur Internet. Nous suivons de près les situations délicates. Pour l’instant, et sous toute réserve, nous avons constaté une hausse des interventions, mais pas d’augmentation des homicides conjugaux. Il y a eu un cas en Charente-Maritime d’homicide d’une femme, tuée par son mari qui s’est suicidé ensuite, durant le confinement. Mais il n’y avait pas eu de signalement de violences conjugales antérieur.