Une formation d’expertise sur les violences intrafamiliales
auteur : la capitaine Sophie Bernard – publié le 19 février 2020
Faisant suite au Grenelle des violences conjugales, organisé à l’automne 2019, la gendarmerie nationale a souhaité renforcer la formation de ses personnels de terrain en matière de Violences intrafamiliales (VIF), pour une meilleure prise en compte de ce fléau. Celle-ci s’organise désormais en trois niveaux, dont le degré ultime est délivré par des intervenants experts dans leur domaine.
Parmi les mesures annoncées à l’issue du Grenelle des violences conjugales, les formations initiale et continue des forces de l’ordre en la matière tient une place majeure. À travers la mise en place d’un groupe de travail « VIF », la gendarmerie a souhaité proposer une formation complète pour tous ses militaires appelés à servir sur le terrain. En lien avec le bureau formation de la direction générale, le Centre national de formation à la police judiciaire (CNFPJ) a ainsi mis en place trois niveaux différents d’enseignement.
Une formation à 3 niveaux
Dans le cadre de leur formation initiale, les élèves gendarmes suivent, depuis septembre 2019, un module dédié à cette problématique. Il y est notamment question de l’accueil spécifique des victimes de VIF, des techniques d’audition PROGREAI (Processus Général de Recueil des Entretiens, Auditions et Interrogatoires) à employer, mais aussi de la qualification juridique des infractions.
Par ailleurs, en matière de formation continue, chaque Groupement de gendarmerie départementale (GGD) devra désormais organiser, au minimum, une journée dédiée à cette thématique à destination de tous les gendarmes amenés à occuper la fonction de chargé d’accueil. Après avoir suivi un enseignement à distance en amont, concernant les prérequis, ils assisteront à cette formation, centrée sur l’accueil physique et le repérage des femmes en danger, où pourront intervenir l’Officier adjoint à la prévention (OAP), les gendarmes formés niveau expert et les Intervenants sociaux gendarmerie (ISG). Le commandant du GGD aura toute liberté pour rallonger le temps de formation, avec l’intervention de partenaires extérieurs (associations, magistrats, etc.).
Enfin, le CNFPJ délivre une formation d’expertise en VIF à des gendarmes particulièrement sensibilisés à cette problématique en brigade. Sélectionnés sur dossier, ils assistent durant une semaine à un enseignement complet, dispensé par des intervenants de grande qualité, avant de rejoindre leur GGD respectif pour former et conseiller leurs camarades sur le terrain.
« Nous en formons un par département. Il est prévu qu’ils donnent des formations en groupement mais aussi qu’ils soient les référents VIF du commandant de groupement, en l’accompagnant, par exemple, lors des rendez-vous en préfecture ou avec les différents partenaires. C’est pour cela que nous voulions leur délivrer une formation d’expertise qui soit reconnue par les partenaires extérieurs. Afin qu’ils soient crédibles, nous leur donnons un niveau de connaissance supérieur, qui sort du simple cycle de la violence », explique le capitaine Jean-Michel Breton, responsable de la formation VIF délivrée au CNFPJ.
L’expertise VIF
Durant cette semaine de stage, divers professionnels se relayent pour répondre aux questions et donner des clés à la trentaine de militaires présents. Tous experts dans leur domaine, ils ont été soigneusement choisis pour leur approche concrète du sujet et leur réseau national, permettant aux stagiaires de pouvoir s’appuyer sur les relais locaux.
Les formateurs du CNFPJ alternent ainsi avec des juristes, des intervenants sociaux, des médecins, des psychologues et des représentants d’associations nationales. Tous expliquent les subtilités liées à l’enquête judiciaire, à l’accueil des victimes, à l’évaluation du danger, mais aussi les éventuels profils d’auteurs et leur prise en charge afin d’éviter la récidive.
C’est aussi l’occasion d’évoquer certaines situations particulières liées aux VIF, comme la place de l’enfant en temps que victime ou témoin, les victimes particulièrement vulnérables à l’instar des personnes handicapées, ou encore les menaces et violences au sein des couples homosexuels.
Ces interventions permettent ainsi d’approfondir le sujet et d’aller au-delà des idées reçues : ce n’est pas toujours un homme qui frappe une femme, les femmes handicapées sont davantage victimes de violences conjugales et l’aidant peut aussi s’avérer être l’auteur, les VIF ne touchent pas que les milieux précaires, etc.
Enfin, la formation comprend également un volet communication, afin que les stagiaires puissent prendre facilement la parole et sachent organiser des instructions pour relayer ces informations avec pédagogie auprès de leurs camarades.
Une richesse d’échanges
Durant la semaine de stage, les questions et les témoignages fusent, laissant apparaître toute la complexité de ce type d’infractions pour les enquêteurs : certaines victimes sont confuses ou n’ont pas la bonne définition des termes pour décrire les faits, d’autres se rétractent… Pour autant, l’expérience porte ses fruits : « Nous nous rendons compte que nous avons adopté naturellement des automatismes qui sont complétés et validés par les intervenants. Cela nous conforte, car nous y mettons toute notre bonne volonté », explique l’adjudante Dominique Restout, affectée à la brigade de Pleurtuit (35).
L’échange entre les stagiaires et les intervenants s’avère particulièrement riche. « Le stage est intense mais c’est vraiment intéressant, notamment s’agissant de l’accueil et de la prise en compte des victimes, où il s’agit notamment de repenser l’aménagement de nos locaux, mais aussi de travailler la qualité de l’écoute », apprécie l’adjudant-chef Étienne Fournier, affecté à la brigade de Remiremont (88). « C’est aussi l’occasion d’échanger entre nous sur les différentes structures déjà existantes au sein de nos régions, comme les CLAP ou les BPF, mais aussi de rencontrer des partenaires extérieurs. »
L’expertise de ces derniers est d’ailleurs très appréciée par les militaires. « C’est très valorisant d’être sélectionné sur dossier. C’est une reconnaissance de nos pairs. Nous nous sentons privilégiés d’assister à ces conférences très intéressantes, dispensées par des pointures auxquelles nous n’avons pas forcément accès dans nos régions », concède l’adjudante Christine Kepka, affectée à la brigade de Sennecey-le-Grand (71).
Le stage touchant à sa fin, il s’agit dans un deuxième temps pour les stagiaires d’aller prêcher la bonne parole auprès de leurs camarades. « À présent, il y a une grosse attente pour que nous répercutions la formation au niveau de nos départements. Il va falloir que nous sensibilisions tous les enquêteurs chargés de l’accueil en brigade à partir de ce que nous avons pu aborder durant cette courte semaine », appréhende l’adjudante Restout. Elle pourra néanmoins compter sur le réseau développé durant la formation pour l’aider dans cette mission.