Evian : un gendarme condamné après avoir détourné des contraventions
Mis en ligne le 4/02/2020 à 19:35
Par Benoît Sourd
Jugé le 4 février par le tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains, un gendarme a été condamné à un an de prison avec sursis pour avoir détourné plusieurs centaines d’euros dans l’exercice de ses fonctions. Dans cet article
- « Ce qu’on veut, c’est le mettre à terre pour trois infractions »
- Un militaire décrit comme « blagueur, fédérateur mais fainéant »
- Une victime demande des comptes
Grand et carré, lunettes rectangulaires sur le nez, le gendarme de 44 ans à l’accent méridional garde la tête basse. Dans le public, aucun uniforme. L’homme est seul face à ses responsabilités.
Les faits qui lui sont reprochés ce mardi 4 février par le tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains sont graves. Graves car ce militaire rattaché à la brigade d’Evian a profité de sa fonction pour duper tout le monde.
Ce père de famille aux vingt-deux années de carrière dans la gendarmerie est accusé d’avoir détourné des contraventions adressées à deux conducteurs et soustrait un portefeuille ramené aux objets trouvés de la brigade.
1 – 100 francs et pas de retrait de points
La première histoire mise en récit par la présidente de l’audience Annabelle Le Texier nous replonge à peine plus d’un an en arrière. Le 16 novembre 2018, le prévenu est présent sur un contrôle routier, à Lugrin. Un véhicule en excès de vitesse est arrêté. Le gendarme se charge, seul, de la verbalisation. « Vous lui demandez de payer 100 francs suisses et lui faites cadeau des 2 points qu’il aurait dû perdre sur son permis. Vous lui indiquez aussi d’effectuer une signature électronique sur un écran noir », relate la présidente. Aucun procès-verbal n’est rédigé. Le militaire conserve l’argent.
Quelques mois plus tard, en juillet 2019, le même conducteur est contrôlé. Faisant face à un autre gendarme, il s’étonne que la procédure diffère de la précédente. Rapidement, il est constaté que la verbalisation de novembre n’a pas été consignée. L’homme au volant livre alors une description physique du prévenu, ajoutant que celui-ci s’exprimait « avec un accent toulousain ». Le gendarme de la brigade d’Evian est reconnu sur présentation d’une photographie.
2 – Un portefeuille perdu
Dans le courant de l’été 2019, une femme signale la disparition de son portefeuille qui, outre différents papiers personnels, contenait un billet de 100 francs suisses. Elle va jusqu’à se rendre dans les locaux de la brigade d’Evian. Rien. Pas de trace de l’objet perdu.
Mais la voila contactée par un homme dont le père soutient avoir retrouvé le porte-monnaie puis l’avoir transmis à la gendarmerie. « Ce monsieur affirme l’avoir remis à un gendarme au fort accent toulousain. » Les intonations chantantes du prévenu, alors responsable du registre des objets perdus, auront décidément eu raison de lui.
La femme, un brin déboussolée, accompagnée de son bienfaiteur, retourne à la brigade pour demander des explications. Après avoir nié un temps, le gendarme revient rapidement avec le portefeuille en main. Seul hic, ce n’est plus un billet de 100 francs qui se trouve à l’intérieur mais cinq billets de 20 francs…
3 – Des contraventions réglées en douce
Le troisième fait remonte lui aussi à l’été dernier, plus précisément au 29 juillet. Un véhicule est contrôlé en excès de vitesse sur les coups de 21 heures. Son conducteur se rend à la brigade d’Evian, dès le lendemain. Il tombe nez-à-nez avec le quadragénaire qui lui annonce qu’il sera verbalisé pour trois infractions à hauteur de 90 euros chacune. Mais il lui glisse dans le même temps, au détour d’explications assez confuses, qu’il viendra le voir directement à Neuvecelle, sur son lieu de travail, pour le règlement.
Présent sur place le 31 juillet, il dispose de « trois souches d’encaissement volées à un collègue », à savoir les justificatifs de versements. Il lui fait payer la somme et, une nouvelle fois, l’exonère de la perte de points sur le permis.
Reconnu coupable des différents faits, le prévenu a été condamné à un an de prison avec sursis, à l’interdiction d’exercer à vie la fonction de gendarme, à cinq ans d’inéligibilité et à 2 000 euros d’amende. « Ce qu’on veut, c’est le mettre à terre pour trois infractions »
Dès sa prise de parole, la substitut du procureur de la République, Ambre Rolando, a tenu à souligner l’absence de tout représentant de la gendarmerie à l’audience. « A travers cette politique de la chaise vide, les forces de l’ordre ont tenu à témoigner de leur indifférence à l’égard du prévenu, qui ne représente aucunement les valeurs de la gendarmerie. » Durant ses réquisitions, le ministère public a mis en doute la franchise du prévenu qui soutient avoir agi sur un coup de tête. « J’ai un peu de mal à croire à cette histoire ‘‘d’impulsion’’. Monsieur a agi de manière réfléchie en allant récupérer les souches d’encaissement de son collègue (lire ci-dessous) ». S’appuyant sur ces faits « simples mais graves », Ambre Rolando a requis une peine de 12 mois de prison avec sursis, une amende de 5 000 euros dont 2 000 euros avec sursis et a notamment demandé à ce que le prévenu ne puisse plus exercer la fonction de gendarme.
Pour la défense du prévenu, Maître Thomas Pianta a insisté sur le fait qu’en dehors de ces accusations, la justice n’avait jamais entendu parler de son client. « Ce qu’on veut aujourd’hui, c’est le décapiter, le mettre à terre pour trois infractions. Je pense que l’on peut trouver une solution mesurée. Quand quelqu’un est fautif dans ses fonctions, il y a nécessairement l’envie d’être sévère mais le préjudice est faible et il est réparé (lire ci-dessous). » Un militaire décrit comme « blagueur, fédérateur mais fainéant »
A la barre du tribunal, le prévenu reconnaît les différents faits. Il explique avoir agi « sous l’effet d’impulsions ». « C’était un coup de tête. Soyez sûr d’une chose, c’est que je suis conscient de la gravité des faits. Ces actes sont inadmissibles pour un gendarme » a-t-il assuré, mêlant son témoignage à la présentation d’excuses adressées aux victimes, à la gendarmerie et aux magistrats.
Des agissements qui semblent se justifier au travers de problèmes financiers actuellement traversés par ce père de famille, qui se décrit lui-même comme étant quelqu’un « qui a toujours vécu au-dessus de ses moyens ».
Le portrait du quadragénaire, dressé par l’un de ses supérieurs, est peu reluisant : « Il vous décrit comme un blagueur, plutôt fédérateur mais fainéant ». Son manque de motivation et d’organisation a déjà fait l’objet de plusieurs rappels en interne. Plus grave, l’homme avait écopé de 20 jours d’arrêt après avoir été à l’origine de l’évasion d’un prisonnier à Bourg-en-Bresse. « Je m’occupais du transfèrement. On était deux. On a déposé la personne dans la cellule et j’ai demandé aux juges si on pouvait s’absenter rapidement pour aller chercher à manger. Quand on est revenu, il n’était plus là », a-t-il révélé aux juges. Une victime demande des comptes
L’une des victimes, le chauffeur qui avait réglé ses trois contraventions directement auprès du gendarme, s’est portée partie civile. L’homme a réclamé la somme de 350 euros, qui lui a été allouée suite à la délibération du tribunal.
Comme expliqué par le conseil de la défense, Maître Thomas Pianta, l’équivalent de l’argent détourné avait déjà été rassemblé avant l’audience, assurant que tout préjudice serait réparé.